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ses partisans s'accrut tellement que Malek-Ibn-Woheib', président du corps des savants qui assistaient aux réunions de l'émir Ali-Ibn-Youçof, recommença ses dénonciations. Jouissant d'une certaine réputation comme augure et astrologue, il ne manqua pas d'indisposer son patron contre le Mehdi, et, comme les devins avaient prédit qu'un roi de race berbère devait nécessairement paraître en Maghreb et changer la forme de la monnaie aussitôt qu'il y aurait une conjonction des deux planètes supérieures, ce prince s'attendait déjà à quelques malheurs. « Protège l'empire contre cet aventurier, lui disait Ibn-Woheib; >> c'est assurément l'homme de la conjonction et du dirhem carré; >> celui dont il est question dans ces méchants vers en patois » qui courent maintenant de bouche en bouche:

» Mets-lui les fers aux pieds; ou bien, un jour,
» Il te fera entendre un tambour!

» J'ai la conviction que c'est lui qui est l'homme an dirhem » carré2. »

Frappé de ces paroles, Ali-Ibn-Youçof envoya plusieurs cavaliers à la recherche du Mehdi, qui échappa cependant à leur poursuite. Abou-Bekr-Ibn-Mohammed-el-Lemtouni, gouverneur de la province de Sous, gagna alors quelques individus de la tribu des Hergha et les chargea d'assassiner leur compatriote; mais les amis de celui-ci, ayant eu connaissance du complot, le transportèrent sur une montagne où ils avaient l'habitude de se réfugier et ôtèrent la vie aux traîtres.

dans la théologie dogmatique et dans la scolastique. Il est à regretter que nous n'ayons pas la traduction berbère de cet écrit; El-Marrekchi nous assure, dans son Histoire des Almohades, que le fondateur de cette secte s'exprimait en langue berbère avec une élégance extraordinaire.

1 Voy. sur Abou-Abd-Allah-Ibn-Woheib, natif d'Espagne et vizir d'Ali-Ibn-Youçof, le t. n de ma traduction des Vies des Hommes illustres, d'Ibn-Khallikan, p. 265, et les auteurs qui y sont cités

• Les monnaies almohades, tant celles de la dynastie d'Abd-el-Moumen que celles des Hafsides, portent sur chaque face deux inscriptions dont l'une remplit un carré au centre de la pièce.

La même année, c'est-à-dire en 515, Ibn-Toumert somma les populations masmoudiennes à prendre l'engagement de soutenir la doctrine de l'unité divine, de le protéger lui-même et de combattre avec les armes tous ceux qui donnent à Dieu une forme corporelle. Les personnages les plus marquants de toutes ces tribus, accompagnés des dix principaux disciples du Mehdi 2 et de plusieurs autres, vinrent lui prêter le serment demandé. Parmi eux se trouvèrent Abou-Hafs-Omar-Ibn-Yahya [aïeul des Hafsides], Abou-Yahya-Ibn-Iguît 3, Youçof-Ibn-Ouauoudin et IbnYaghmor, membres, tous les quatre, de la tribu des Hintata. Avec eux se présentèrent aussi Abou-Hafs-Omar-Ibn-Ali-Asnag, (le sanhadjien) Mohammed-Ibn-Soleiman, Omar-Ibn-Tafraguîn et Abd-Allah-Ibn-Melouyat, tous membres de la tribu des Tînmelel. La tribu des Hergha en entier se rallia à la cause de l'imam et entraîna, par son exemple, l'adhésion des Guedmioua et des Guenfîça.

Quand tous ces chefs lui eurent prêté le serment de fidélité, îl changea son titre d'imam en celui de Mehdi, et donna alors le titre de Tolba (étudiants) à ses compagnons et celui d'ElMowahhedin (Almohades, unitaires) à ses partisans. Quand il eut

1 Ses émissaires commencèrent par préparer les esprits pour l'arrivée du Mehdi, de celui qui devait remplir toute la terre de sa justice. Ils citèrent les traditions dans lesquelles il est question de lui, et, quand ils virent le peuple parfaitement convaincu de l'excellence de ce saint personnage et disposé à le bien accueillir, ils laissèrent faire le reste à IbnToumert. Dans une allocution aux Berbères, celui-ci fit remonter son origine à Mahomet et finit par déclarer qu'il était lui-même le Mehdi impeccable. (El-Marrekchi.)

2 Les historiens nous fournissent des listes, plus ou moins complètes, des dix principaux disciples. Nous avons sous les yeux cinq de ces listes, mais il n'y en a pas deux qui soient d'accord.

› Dans le manuscrit d'El-Marrekchi, ce nom est écrit Yigguît.

♦ Le mot mehdi est le participe passé de la première forme du verbe heda (diriger). — Voy., sur le personnage que les musulmans désignent par ce nom, l'Introduction du t. 1, p. xxv, et l'Appendice a и de ce volume.

gagné cinquante compagnons, il en forma une classe à part qu'il nomma Aït-Khamcin (la bande des cinquante)1.

Abou-Bekr-Ibn-Mohammed-el-Lemtouni, gouverneur de Sous, se mit en marche pour attaquer les novateurs dans le pays des Hergha; mais la tribu ainsi menacée fit un appel à ses sœurs, les Hintata et les Tînmelel, et, avec leur secours, elle mit en déroute l'armée almoravide. Cette victoire, que le Mehdi leur avait prédite, fut le commencement des succès qui marquèrent la carrière des Almohades; elle attira sur eux l'attention des autres tribus et les porta à reconnaître l'autorité de l'imam. Les troupes lemtouno-almoravides marchèrent encore contre eux à plusieurs reprises; mais, dans chacune de ces tentatives, elles essuyèrent une nouvelle défaite.

2

Trois années après la prestation du serment par les peuples masmoudiens, Ibn-Toumert se transporta dans la montagne des Tînmelel et fixa son séjour au milieu d'eux. Il y bâtit, à la source de la rivière Nefis, une maison pour y passer le reste de ses jours et une mosquée dans laquelle il devait présider à la prière. Ayant résolu de porter la guerre chez les tribus masmoudiennes qui tardaient à reconnaître son autorité, il commença par les Hezerdja, les battit en plusieurs rencontres et les réduisit à l'obéissance. Ensuite il attaqua et soumit les Heskoura commandés par Abou-Derca-el-Lemtouni, et ayant été poursuivi par les Beni-Ouazguît, pendant qu'il se retirait, il les chargea à la tête de ses Almohades et leur fit éprouver de grandes pertes tant en tués qu'en prisonniers.

Notre auteur n'a pas osé raconter la conduite d'Ibn-Toumert pendant les premiers temps de son séjour chez les Masmouda : ses lecteurs auraient vu que le fondateur de la secte almohade n'était qu'un fourbe et un scélérat. Ihn-el-Athir n'avait pas les mêmes motifs pour se taire, et, dans ses Annales, il nous fournit assez de renseignements à ce sujet; renseignements dont Ibn-Khaldoun a eu connaissance et auxquels il fait quelques fois allusion. Nous reproduirons quelques extrails d'Ibn-el-Athir dans l'Appendice n° v de ce volume. Dans le Cartas, on trouve quelques détails semblables.

• Tinmelel signifie la blanche. Ce nom convient parfaitement à une montagne dout la cîme est toujours couverte de neige.

S'étant ensuite dirigé contre la ville de Ghodjdama dont les habitants, après s'être rendus et avoir reçu pour gouverneur le cheikh almohade, Abou-Mohammed-Atïa, venaient de se mettre en révolte et massacrer cet officier, il la prit d'assaut et la livra à la fureur du soldat. Revenu à Tînmelel, il y resta jusqu'à l'affaire d'El-Bechîr et de la séparation opérée entre les Almohades et les hypocrites '.

Ayant alors formé le projet de porter la guerre chez les Lemtouna, peuple auquel les Almohades donnaient le nom d'ElDjichem 2, il marcha contre eux à la tête des Masmouda, les mit en déroute aux environs de Guîg et les poursuivit jusqu'à Aghmat, où il trouva tous les contingents lemtounides rassemblés sous les ordres de Beggou 3 -Ibn-Ali-Ibn-Youçof et d'Ibrahim-Ibn-Taâbbast. Dans le combat qui s'ensuivit, celui-ci perdit la vie, et les Almohades repoussèrent leurs adversaires jusqu'à Maroc. L'armée du Mehdi, composée d'environ quarante mille fantassins et quatre cents cavaliers, prit alors position à El-Bahfra et mit AliIbn - Youçof dans la nécessité de lever encore une nouvelle armée afin de pouvoir les déloger. Le quarantième jour de leur arrivée, il les attaqua auprès de la porte d'Aîlan et les força à prendre la fuite après leur avoir tué et fait prisonnier une foule de guerriers. El-Bechir, le compagnon du Mehdi, ne reparut plus, et les Heilana furent presque tous exterminés. Dans cette journée, Abd-el-Moumen déploya la plus grande bravoure.

1 Ibn-Khaldoun se donne bien garde de nous raconter cette affaire : il avait à ménager les Hafsides. Ibn-el-Athîr nous en fait connaître tous les détails. Voy. l'Appendice no v.

• Dans les manuscrits, on trouve ce mot écrit, sans voyelles, ainsi : djchm et hchm, comme dans le texte arabe imprimé. La première leçon me paraît être la bonne le mot eddjichem s'emploie en berbère, ainsi que le mot tahhan en arabe, comme un terme d'injure. Le mot analogue en français s'applique au mari dont la femme se prostitue à un autre homme. La grande liberté dont les femmes jouissaient chez les Almoravides a été sans doute la cause qui porta les premiers Almohades, gens grossiers et fanatiques, à en désigner les maris par ce sobriquet.

› Variante: Meggher.

Il mourut sur le champ de bataille.

Quatre mois plus tard, le Mehdi mourut. Il avait donné à ses partisans le nom d'Almohades (unitaires), afin de déconsidérer les Lemtouna [Almoravides] auxquels il reprochait un éloignement pour l'interprétation allégorique du Coran qui les avait conduits à l'anthropomorphisme. Il menait une vie très-sobre et n'approchait jamais des femmes. Il portait un vieux manteau rapiéceté, et, par la mortification des sens, comme par la pratique de la dévotion, il était parvenu à un haut degré de perfection spirituelle. La seule opinion hétérodoxe qu'on lui attribue est celle de l'impeccabilité de l'imam, doctrine dans laquelle il se rencontrait avec les Chiîtes imamiens'.

REGNE D'ABD-EL-MOUMEN

1

LIEUTENANT ET SUCCESSEUR DU

MEHDI.

En l'an 522 (1428), le Mehdi mourut après avoir légué l'autorité souveraine à son principal disciple, Abd-el-Moumen-IbnAli, personnage dont nous avons déjà parlé dans la notice des Koumia. On l'enterra dans la mosquée attenant à la maison qu'il habitait à Tînmelel, et comme on craignait que la désunion ne, se mit parmi les Almohades à cause de la jalousie que la nomination d'un étranger pourrait causer aux Masmouda, l'on s'abstint de publier la mort de leur chef jusqu'à ce que tous les cœurs fussent bien pénétrés de la foi unitaire. Au rapport des historiens, ce secret, important, fut gardé pendant trois années. Dans l'intervalle, ses disciples intimes prétendaient qu'il était malade, et, ils continuèrent à célébrer la prière selon la forme qu'il avait établie, et à reciter, comme de son vivant, les offices journaliers et les sections du Coran. Ils firent aussi accroire au peuple que leur maître avait concédé à eux seuls le droit d'entrer chez lui pour le soigner. C'était là, autour de son tombeau et dans la présence de sa sœur Zeineb, que les survivants des dix

Toy. l'Appendice n° u..

Voy. p. 252 du premier volume de cet ouvrage.

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