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ambitieux et très insuffisant. Nous allons former des générations de déclassés qui ne voudront plus retourner dans leur milieu indigène où cette connaissance du français, qui leur a coûté plusieurs années d'étude, leur est absolument inutile, et que feronsnous de ces jeunes gens pleins de prétentions, qui auront cru accumuler des connaissances abstraites et qui les expriment par des mots dont le sens réel n'a pu pénétrer dans leur cerveau?

Le raisonnement et l'expérience ont réalisé une organisation de l'enseignement qui porte le germe du développement que nous comptons donner à la société indigène. Les écoles primaires de village enseignent la lecture et l'écriture de la langue malgache, la connaissance très sommaire du français usuel, l'histoire et la géographie de la Grande Ile, dont les rapports avec la France sont naturellement mis en lumière; les lois de l'hygiène, et aussi celles de la morale, les notions élémentaires de l'agriculture, c'en est assez pour élever le niveau de la masse. Au second degré, dans des écoles régionales, les meilleurs sujets se perfectionneront dans l'étude du métier de leur choix; puis les écoles normales formeront des instituteurs, les écoles professionnelles des ouvriers d'art et des contre maîtres, les cours spéciaux des médecins auxiliaires et des sagesfemmes, les écoles administratives des fonctionnaires. L'éducation et l'enseignement de la masse indigène paraît ainsi assurée, en même temps que le recrutement d'une élite qui reste assez près d'elle pour la faire progresser et qui trouve

dans la colonie même l'emploi de ses facultés.

Mais les écoles privées trouvaient quelques difficultés à suivre ces programmes; la colonie, qui leur consacrait le tiers puis le quart de son budget de l'instruction publique, cessa toute subvention en 1904, à la suite d'un vote de la Chambre des députés émis le 22 janvier 1903. A ce moment, les écoles officielles comptent 23 000 élèves, les écoles privées 16 000. En outre, il faut indiquer que les écoles d'églises ouvertes près de chaque sanctuaire catholique ou protestant donnent les premiers rudiments à 200 000 indigènes. Le général Galliéni envisageait une nouvelle transformation du peuple malgache et l'accession d'une élite à la culture européenne, «< sans toutefois, disait-il, contrarier leur évolution naturelle correspondant à leur caractère, à leurs mœurs, à leurs traditions et à leur âge social. >> Mais en 1905 le moment arriva où le grand colonisateur devait remettre ses pouvoirs. Madagascar était entièrement pacifiée et organisée. Depuis deux ans déjà, les pertes par le feu se réduisaient à une dizaine de blessés et les neuf dixièmes du territoire étaient administrés en provinces civiles. Grâce à ce fait que Madagascar était une fle, et par conséquant nettement délimitée et sans frontières à garder, grâce à la confiance du gouvernement, qui ne manqua jamais au chef qu'il avait choisi, grâce à l'absence de cohésion dans la résistance des indigènes de races très différentes et d'armement assez primitif, il suffit de neuf années à cet illustre chef, homme complet, pour arriver au résultat.

Je ne diminuerai pas ses successeurs en remarquant qu'ils ne l'ont pas fait oublier. Chaque fois que l'un d'entre eux a essayé de quitter les routes qu'avait tracées le maréchal Galliéni, les faits l'ont brutalement rappelé au bon sens et à la réalité. Le rôle de la jeune colonie pendant la grande guerre mérite une mention particulière : outre sa contribution financière appréciable et un apport notable à l'alimentation de l'armée et de la population, elle a fourni 41 000 combattants et 5 000 travailleurs, tous volontaires. Tous se sont montrés excellents, et le bataillon de chasseurs malgaches, après de nombreuses citations à l'ordre de l'armée, est devenu un régiment; 18 000 Malgaches servaient dans l'artillerie lourde. Grâce à l'organisation de l'enseignement, dû au maréchal Galliéni, toutes les spécialités militaires, y compris les radiotéléphonistes, pouvaient s'y recruter, et les soldats malgaches étaient soignés par des médecins militaires de leur race. L'œuvre de l'assistance médicale indigène a été continuée, et sur 400 000 enfants d'âge scolaire, 93 000 étudient dans les écoles officielles, 37 000 dans les écoles privées (1). Ces remarquables résultats brillent surtout quand on les compare aux chiffres obtenus dans nos autres colonies. Madagascar, pour un peuple de 3 millions d'habitants, instruit 130 000 enfants; l'Afrique équatoriale, pour la même population, en instruit 1 500,

(1) L'effort de Madagascar pendant la guerre. Conférence par le gouverneur général Garbit, colonel d'artillerie de réserve (chez Challamel).

et l'Afrique occidentale, pour 14 millions d'habitants, a 23 000 élèves (1).

Il faut le répéter sans cesse, l'enseignement et l'assistance médicale sont les nobles devoirs de la nation protectrice envers les peuples protégés. Dans l'Afrique noire en particulier, malgré quelques louables efforts, ces tâches ne sont pas suffisamment remplies, la dernière surtout : il faut avoir le courage de l'avouer et se mettre résolument au travail. Le peuplement et la civilisation de l'Afrique en dépendent.

(1) L'enseignement dans les colonies françaises depuis la guerre,» par Paul CROUZET, inspecteur du conseil de l'instruction publique aux colonies. (Revue universitaire du 15 avril 1924.)

FIN

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