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contre son imprévoyance, et qu'elle augmenta encore l'impopularité de l'entreprise : le président du Conseil devient Ferry le Tunisien, comme il sera plus tard Ferry le Tonkinois.

Aussitôt la résistance s'organisa. Elle partit du sud, où l'action des troupes françaises n'avait pas eu le temps de se faire sentir, gagna Gabès et Sfax, puis la ville sainte de Kairouan. En même temps, la situation empirait en Algérie. Le gouvernement nomma le général Saussier commandant du 19e corps à Alger, qui envoya la colonne Négrier mettre fin à l'insurrection des Ouled sidi Cheik et à celle de Bou Amama, et qui prépara en même temps des opérations actives en Tunisie. L'amiral Garnault va bombarder Sfax et le prend d'assaut. Gabès est emporté; l'escade française se montre sur toute la côte. Mais l'intérieur reste troublé. Le gouvernement a compris sa faute et médite de la réparer, mais il lui faut attendre les élections avant d'agir.

La Chambre est élue le 4 septembre. Aussitôt, la nouvelle expédition s'organise. Elle disposera de 50 000 hommes, assurés par la création d'un bataillon de marche dans 84 régiments de la métropole ; cet artifice laissait intacte la mobilisation. La concentration est achevée à la fin de septembre, et c'était bien tard, car depuis trois semaines l'aqueduc de Tunis était coupé et les trains arrêtés sur la ligne ferrée entre Bône et Tunis.

Le général Saussier prend comme objectif la ville sainte de Kairouan, fondée par Sidi Okba. Une

colonne part de Tebessa, dans la province de Constantine, le 16 octobre, sous les ordres du général Forgemol; une autre de Tunis le 17, sous le commandement du général Logerot; une troisième colonne de Sousse, avec le ravitaillement de l'ensemble, commandée par le général Étienne. Le 26 au matin, la colonne de ravitaillement arrive la première devant Kairouan; ses cavaliers reconnaissent la ville sainte et font le tour de l'enceinte crénelée qui domine au loin la plaine dénudée : les portes sont fermées, mais la garnison paraît fort tranquille. Un interprète s'approche et frappe une porte du pommeau de son sabre; la porte s'ouvre, le drapeau blanc est hissé, la ville se rend sans conditions. Le général Saussier arrive dans l'aprèsmidi avec la colonne de Tunis, le général Forgemol le lendemain avec la colonne de Tebessa.

Le grand coup était porté : ce grand déploiement de force organisée avait suffi. Les colonnes volantes parcourent ensuite toute la Régence sans rencontrer de résistance. Quelques bandes sont rejetées dans le territoire turc de Tripolitaine, d'où elles harcèleront encore longtemps les postes du sud, mais elles sont sans communication avec l'intérieur, et à la fin de l'année la Régence est entièrement soumise.

En résumé, c'est l'occupation de Chypre par l'Angleterre qui l'a amenée à faire envisager à la France l'occupation de la Tunisie. L'hésitation du gouvernement français a duré près de quatre ans ; elle était motivée par l'état de l'opinion publique.

Il a fallu l'action tenace du baron de Courcel pour la faire cesser en France; les querelles du consul italien à Tunis et les incursions des Kroumirs ont déclenché le mouvement que M. Jules Ferry a osé décider.

La première opération militaire a été bien préparée et bien exécutée. Le gouvernement a commis une faute en réduisant prématurément les effectifs ; il a accru son impopularité au lieu de la faire cesser et il a dû ensuite agir avec des forces beaucoup plus considérables. Le choix d'un chef énergique et expérimenté a assuré le succès complet de cette seconde expédition.

* *

Le traité du Ksar Saïd ou du Bardo, qui a institué le protectorat français sur la Tunisie en mai 1881, reste encore sa charte constitutionnelle ; le bey règne et les troupes françaises occupent et protègent ses États, la France garantit l'exécution des traités passés antérieurement avec les puissances étrangères et assure la représentation diplomatique à l'extérieur. Le résident général est l'intermédiaire entre le gouvernement français et les autorités tunisiennes « pour toutes les affaires communes aux deux pays. » Enfin, l'article VII a spécifié que <«<les deux gouvernements fixeront, d'un commun accord, les bases d'une organisation financière de la Régence qui soit de nature à assurer le service de la dette publique et à garantir les droits des créanciers de la Tunisie. » Le traité a été complété, ou

plutôt expliqué, en 1883, par une convention maintenant l'administration indigène, sous réserve d'un contrôle exercé par l'autorité française.

Le résident général, représentant de la France, est le ministre des Affaires étrangères du bey et président du Conseil des ministres et chefs de service; il est assisté d'un haut fonctionnaire des Affaires étrangères délégué à la Résidence générale ; le général commandant la division d'occupation est ministre de la Guerre, le vice-amiral préfet maritime de Bizerte est ministre de la Marine; ils sont sous la direction du Résident général ainsi que tout le personnel métropolitain. Le directeur des finances est Français, ainsi que les directeurs de services qui n'existaient pas dans l'ancienne organisation tunisienne : travaux publics, enseignement, agriculture. Le premier ministre tunisien réunissait sous sa direction l'Intérieur et la Justice; il a fallu tolérer longtemps cette confusion des pouvoirs exécutif et judiciaire, qui répugne à l'ordre européen, mais qui est bien dans l'esprit du Coran; comme elle a dans la société musulmane encore plus d'inconvénients que dans la nôtre, le Résident général actuel a réussi à la faire cesser sans heurt et a ensuite supprimé le secrétaire général français qui tenait dans sa main toutes les affaires indigènes, non sans quelques inconvénients assez sérieux. La magistrature française assure la justice à nos nationaux et aux nationaux étrangers.

Auprès des fonctionnaires tunisiens et des chefs arabes, un corps de contrôleurs civils français s'as

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sure que l'administration du pays applique les décrets du bey et les ordres de l'autorité supérieure et veille discrètement au maintien de l'honnêteté financière et des lois de l'humanité. Cette tâche délicate est fort bien remplie.

A toutes les époques, la nécessité de consulter les négociants français s'est imposée dans les ports étrangers, et dès 1577 les dix principaux d'entre eux se réunissaient en « Assemblée du corps de la nation >> toutes les fois que le consul jugeait à propos de les convoquer « pour le bien général et particulier ». Chaque année, ils élisaient un « député de la Nation », de compétence très étendue, véritable adjoint permanent du consul, qui l'accompagnait aux audiences du bey « dans toutes les occasions utiles ». Cette organisation existait d'ailleurs dans toutes les échelles de Barbarie comme dans celles du Levant, et on saisit toute l'autorité et toute la compétence qu'elle conférait au représentant du roi de France.

« L'Assemblée du corps de la nation » persista après l'établissement du protectorat. Mais le nombre de nos nationaux et la diversité des affaires traitées la rendit bientôt insuffisante. Le ministre-résident Cambon la remplaça à Tunis par une chambre de commerce. Le développement de la colonisation amena la création successive d'autres chambres de commerce, puis de chambres d'agriculture, de chambres mixtes réunissant les deux attributions, enfin d'une chambre des intérêts miniers. En 1892 les délégués de ces chambres formèrent

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