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sentiment ne pouvait la suivre. L'analogie de race entre la population indigène et les nouveaux venus était aussi prononcée qu'en Gaule et en Espagne. La connaissance du latin se répandit rapidement et elle fut très favorisée par le développement du christianisme qui, dans tout le monde romain, suivit la même marche et fut accompagné au début par les mêmes persécutions. L'idéal de l'indigène fut de ressembler le plus possible au Romain, d'acquérir le droit de suffrage, le port de la toge, l'exercice des magistratures. Après quelques générations, l'assimilation était commencée; une immigration latine l'aidait largement, colons et gens d'affaires venaient d'Italie en nombre important; les grandes familles romaines achetaient des terres en Afrique ; nous dirions aujourd'hui qu'elles y plaçaient des capitaux, que leurs mandataires les faisaient valoir. Les Numides prenaient des noms romains, sans toutefois renier leur origine dont ils ne rougissaient nullement, car elle ne leur était pas reprochée et ne leur enlevait aucun droit. L'un d'eux, Septime Sévère, s'assit sur le trône des Césars.

L'Afrique, la Tunisie actuelle, était devenue une province consulaire, un gouvernement civil. Elle était couverte, à l'ouest, par des gouvernements militaires, et ce régime évitait les conflits d'attribution en horreur à l'ordre romain; le régime du protectorat se continua jusqu'au règne de Caligula et ne s'éteignit que par un caprice de ce tyran, jaloux du dernier roi numide, jaloux aussi de son lieutenant en Maurétanie: il proclama l'annexion et

instaura prématurément le régime civil qui causa bien des querelles.

Mais dans l'ensemble, la domination des empereurs fut bienfaisante et l'Afrique romaine, grenier de la métropole, vécut dans une prospérité dont témoignent les ruines nombreuses que nous y admirons aujourd'hui, malgré les déplorables dévastations des invasions barbares, longtemps accrues par le développement de notre civilisation, aveugle à ses débuts. Relevée de ses ruines, Carthage était sans conteste le port le plus important du monde entier; nous reconstituons la vie des grandes villes et celle des bourgades les moins importantes, grâce aux documents anciens, et surtout aux inscriptions votives ou funéraires aujourd'hui réunies par dizaines de mille. L'Afrique chrétienne donnait à la catholicité saint Augustin et Tertullien, pour ne citer que les plus célèbres; mais elle avait déjà donné sous les Antonins, Cornélius Fronto, maître et ami de Marc Aurèle, et toute une école de rhéteurs qui faisaient l'admiration de Rome, où plusieurs ont vécu. C'est, en effet, surtout par l'éloquence que brillaient les Africains, par l'éloquence et la philosophie plutôt que par la poésie. Les contes et les romans trouvaient des maîtres tels qu'Apulée, émule de son contemporain Lucien. Apulée nous apprend qu'en Afrique on cultivait un genre que nous croyons bien moderne, celui de la Conférence, et « il ne néglige pas de nous dire qu'aucune philosophie avant lui n'avait réuni autant de monde, et de faire des tableaux amusants de

tous ces gens qui se poussent et se serrent sans parvenir toujours à se placer » (1). Et il s'adressait à des auditeurs moins indulgents que vous n'êtes en ce moment, car il pouvait leur dire : « Qui de vous me pardonnerait de faire un solécisme? Qui ne se fâcherait, si je prononçais mal une seule syllabe? »

Donc l'Afrique romaine était, au milieu du cinquième siècle de notre ère, un pays très civilisé, puisqu'on y faisait des conférences et même des tournées de conférences; un pays très s mblable à l'Italie du Nord, à la Gaule et à l'Espagne. Mais il faut reconnaître qu'il restait très agité. A la guerre de Jugurtha avaient succédé d'autres soul vements; pendant la guerre civile entre Marius et Sylla, entre César et Pompée, les partis s'étaient disputé l'Afrique comme une riche proie. Puis les soulèvements recommencèrent. La IIIe légion Augusta, qui représentait l'unique force militaire de l'Empire en Afrique, avait un effectif de 27 000 hommes au total; les légionnaires jouissaient d'une solde, d'un confortable et d'honneurs qu'envient leurs successeurs d'aujourd'hui; des troupes auxiliaires les aidaient, ainsi que des irréguliers levés dans le pays, le goum actuel. La tactique ressemblait beaucoup à celle que Bugeaud a employée pendant la conquête de l'Algérie et dont nous usons parfois au Maroc la forte colonne contre une rébellion organisée; les petits détachements qui rayon

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(1) Gaston BOISSIER, l'Afrique romaine, p. 282.

nent ensuite pour assurer et étendre la soumission

du pays.

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Mais malgré notre admiration pour l'œuvre de nos devanciers, nous devons constater qu'ils s'arrêtèrent devant la montagne et le désert et que les habitants de certains massifs la grande Kabylie et l'Aurès restèrent indépendants, ainsi que les Gétules nos Touaregs qui nomadisaient dans le Sahara actuel. Même après la pacification, le brigandage sévissait, et sa répression était difficile. En Gaule, au contraire, aucune montagne, aucune forêt n'abritait de population insoumise ; des Alpes au Rhin, tous reconnaissaient les lois de l'Empire. Osons dire qu'en Afrique les Romains n'ont pas été assez Romains.

Au cinquième siècle, les Vandales de Genséric passent le détroit, appelés par le comte Boniface, avec les Alains et quelques Goths. Cette invasion germanique couvre de ruines tout le pays civilisé et établit à Carthage un empire barbare qui dure plus d'un siècle (415-531). Les envahisseurs étaient chrétiens mais sectateurs d'Arius ; ils persécutèrent les catholiques avec une intolérance farouche. Des soulèvements berbères achevèrent la désolation de toute l'Afrique septentrionale. Enfin, l'empereur Justinien envoya son général Bélisaire rétablir l'autorité de Byzance et, pendant une nouvelle période, plus que séculaire (531-642), l'Afrique essaya de se relever de ses ruines.

Les Arabes.

Voici venir les Arabes qui vont étendre leur domination de la mer Rouge à l'Océan. Les Berbères avaient absorbé tout ce que les Romains avaient épargné de Carthaginois et tout ce que l'Italie avait envoyé de Latins pour coloniser l'Afrique ; les Vandales et les autres barbares germains avaient disparu de même sans laisser de traces; entre temps, des Juifs nombreux s'étaient fixés parmi eux, à la suite des révolutions de Palestine et de la prise de Jérusalem par Titus; les Byzantins, mélange levantin de Grecs, de Slaves et d'Arméniens, vont être absorbés de même. Cette race composite possède dans son sein les éléments les plus divers qui y attirent toutes les autres et en facilitent l'absorption. Elle est prête à recevoir toutes les empreintes extérieures, tout en restant elle-même. Brave, énergique, très résistante, elle cède parfois d'un seul coup; elle s'offre loyalement, sans réserve apparente, et elle accepte les lois, les coutumes, la religion et la langue même des vainqueurs. Mais le fond de la race persiste, immuable à travers les transformations momentanées; le besoin d'indépendance, les coutumes anciennes et la langue berbère reparaissent. Leur historien arabe Ibn-Khaldoun, que son orthodoxie n'empêche pas de s'élever souvent jusqu'aux vues générales, les caractérise ainsi « Les Berbères ont toujours été un peuple puissant, redoutable, brave et nombreux; un vrai

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