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reconnaissants au pays où ils ont trouvé protection et accueil cordial. Leur attitude pendant la dernière guerre a été très bonne.

La méthode et la suite dans les idées ont longtemps manqué à la colonisation de l'Algérie. Par deux fois l'Afrique a parcouru le cycle complet qui va de la colonisation étatiste et officielle à la colonisation individuelle et libre, et toutes les expériences ont été refaites au moins deux fois. Ce fut toujours la terre des projets. Les débuts ont été entravés par l'insécurité et aussi par l'influence de l'État qui craignait d'engager sa responsabilité en encourageant les colons. Les nouveaux arrivants étaient la proie des spéculateurs; dans les environs des villes, les terrains changeaient de propriétaires en montant de prix, mais restaient incultes.

Un peu plus loin, les titres de propriété pullulaient de telle sorte que dans la plaine de la Mitidja on vendait une étendue de terre qui dépasse sept fois sa superficie. Pourtant, un certain nombre de domaines s'y créent, fort étendus, et les capitaux commencent à s'engager, mais ces initiatives individuelles se ralentissent au bout de quelques années.

Il paraît démontré que le colon ne peut réussir sans un appui sérieux de l'État, qui délivrera des concessions ou bien constituera la propriété européenne, assurera sa sécurité et aidera les débuts de sa mise en valeur : c'est la colonisation officielle qui, tentée par le maréchal Clauzel et le maréchal Vallée, est organisée complètement par le maréchal Bugeaud à partir de 1841. Des villages sont établis

autour d'Alger, sur trois lignes concentriques. Le maréchal Bugeaud projetait une colonisation militaire à la romaine qui eût couvert les frontières du territoire exploité par les colons civils. Mais ses projets ne reçurent jamais l'approbation du gouvernement. Après lui, la colonisation officielle continua par l'arrivée des ouvriers provenant des ateliers nationaux fermés en 1848, et par la création de centres urbains serrés autour des garnisons importantes, Orléansville, Miliana, Médéa, Sidi-BelAbbès, etc. En 1851, la population française et la population européenne étrangère atteignirent chacune 65 000 habitants environ.

Le régime des concessions est ensuite modifié, il permet l'accession à la propriété, donc l'hypothèque ou même la vente. Les immigrants sont groupés de préférence par nationalité ou par province française; peu à peu l'État tend à restreindre son con

cours.

Puis apparaît chez Napoléon III la conception fausse du royaume arabe, qui, avec l'Empire français, n'a guère de commun que la personne du souverain. La frontière s'établit entre le territoire de colonisation et le territoire des tribus, et on leur reconnaît des droits de propriété auxquels elles n'avaient jamais songé. De grandes compagnies deviennent propriétaires de domaines considérables à charge d'exécuter des travaux importants qui leur sont aussi utiles qu'à la collectivité, mais qui nécessitent une surveillance constante; ce système n'obtient que des résultats insignifiants.

La troisième République revient à la colonisation étatiste. Elle offre des terres aux Français d'Alsace et de Lorraine qui fuyaient la domination de l'étranger et ce geste généreux correspondait à un sourd instinct de conservation qui s'était éveillé dans la race menacée. Il fallait durer... Par voie de conséquence, on revient au programme de Bugeaud. Puis les grands rapports parlementaires interviennent, avec l'envoi de commissions qui ont le grand avantage de faire voyager les membres du Parlement, et je n'essayerai pas d'en raconter l'histoire.

Mais un regard rapide nous montre les progrès accomplis, à travers tant de vicissitudes. Permettezmoi de vous donner quelques chiffres, où j'essayerai de ne pas me noyer tout en les mettant à l'échelle. Il y a en Algérie des ports nombreux et bien outillés; celui d'Alger, qui paraissait trop vaste il y a trente ans avec ses travaux nouveaux, va tripler d'étendue grâce à 180 millions de travaux. Ce sera le plus beau de tout le continent africain. Trois mille kilomètres de chemin de fer sillonnent le territoire, avec des milliers de kilomètres de routes magnifiques. Des travaux hydrauliques captent les torrents des montagnes, en utilisent la force et surtout la fécondité cette œuvre, commencée depuis deux mille ans, vient de recevoir une nouvelle impulsion. Nous avons vu que la population européenne est de 800 000 habitants; son activité économique s'exprime dans le commerce général de la France, qui est d'une cinquantaine de milliards, par un chiffre de 4 milliards et demi, donc supérieur à cette

proportion! La production du blé est de 2 millions et demi d'hectolitres; le vin donne 4 millions et demi d'hectolitres valant près de 300 millions! L'alfa nous donne la pâte à papier, dont le besoin est de plus en plus impérieux; le commerce des fruits est en voie d'accroissement, mais il pourrait être beaucoup plus considérable. Les mines de fer, de phosphate, de lignite, sont en exploitation florissante, mais elles sont susceptibles d'un grand développement.

Il y a là une source de richesses considérables que le travail obstiné met au jour, augmente sans cesse, créant des produits nouveaux et aussi des sources de consommation nouvelle, donc une multiplication d'échanges qui s'accroît constamment.

Mais je n'ai point parlé des indigènes, qui sont près de cinq millions, et dont le nombre augmente plus rapidement que celui des Européens. En ce moment une barrière les sépare de nous, qu'il faut constater à regret, l'Islam, mais qu'on ne peut songer à supprimer. Dans quelle mesure l'Islam peut-il évoluer et prendre la forme de civilisation qui est la nôtre? C'est le secret de l'avenir. Mais nous pouvons aider cette évolution par notre attitude conciliante, respectueuse du dogme, par nos égards pour l'indigène dont le travail aide largement à nos efforts pour l'exploitation de ce sol.

Il faut que les populations arabes et berbères sentent bien nos sentiments pour elles; elles nous ont donné 170 000 soldats qui ont figuré au premier rang dans nos divisions de choc et ont large

ment versé leur sang avec le nôtre. Nous ne l'oublierons jamais. Cent mille indigènes de l'Afrique du Nord servent dans notre armée active, au même titre que les soldats français. Ce sont là des liens permanents. Par la connaissance de notre langue, par l'assistance médicale, nous devons continuer à les rapprocher de nous. C'est un problème bien compliqué et bien angoissant que de faire vivre sur la même terre deux populations aussi différentes que l'européenne et l'indigène, qui doivent croître ensemble et se développer dans un commun idéal.

Les Romains avaient résolu ce problème, infiniment plus simple à leur époque. Osons dire avec tout le respect et toute la reconnaissance dus à ces grands maîtres, que nous les avons dépassés : en trente ans, toute l'Algérie était conquise, mais le cœur des Berbères reste à prendre, la durée de notre œuvre est à ce prix.

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