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colonne, plante le drapeau des zouaves dans les décombres, sur la brèche, que franchissent les différents éléments, pour se répandre dans la ville selon les dispositions arrêtées par l'ordre d'attaque. Ils progressent lentement, dans un affreux chaos de rues barrées par des barricades, et de maisons éventrées. Une terrible détonation retentit, suivie de plusieurs autres : ce sont les dépôts de poudre qui sautent, renversant les assaillants sous les décombres. Les vêtements en flammes, la figure brûlée par les grains de poudre, Lamoricière sort de la fournaise, presque aveugle.

La seconde colonne pénètre par la brèche, sous les ordres du colonel Combes, mais par détachements successifs, afin d'éviter l'encombrement. Elle emporte une forte barricade, Combes reconnaît une seconde barricade; il va rendre compte au général et au prince, et il ajoute : « Ceux qui ne sont pas blessés mortellement pourront se réjouir d'un aussi beau succès; pour moi, je suis heureux d'avoir encore pu faire quelque chose pour le roi et pour la France. Mais vous, colonel, s'écrie le duc de Nemours, vous êtes donc blessé? Non, monseigneur, je suis mort. » Et il tombe pour ne plus se relever.

La lutte de rues se poursuivait quand le général Rulhières alla remplacer le colonel Combes dans le commandement de l'assaut. Ce fut lui qui reçut un parlementaire apportant la reddition de la ville, terrorisée à la perspective du sac et du massacre que les habitants jugeaient inévitables. Il suffit de quelques heures pour la rassurer, de quelques jours

pour qu'elle commençât à se relever de ses ruines. La mort du général de Damrémont laissait vacant le poste de gouverneur général, et Bugeaud était sur place, à Oran. Mais l'emploi d'une forte personnalité, surtout si elle est particulièrement désignée pour la fonction qu'il s'agit de pourvoir, répugnera toujours à une autorité centrale qui craindra de paraître abdiquer entre ses mains et voudra garder l'illusion de tout diriger de loin. Le ministère se tira du cas imprévu qui se présentait en nommant le général Vallée gouverneur général par intérim. Il hérita dù bâton destiné au général de Damrémont et prit alors ses fonctions à titre définitif.

Le nouveau maréchal passait pour le premier artilleur de l'Europe. C'était un caractère très droit, très tenace dans ses résolutions, qu'il prenait lentement; il avait du commandement, don asscz rare, qu'il exerçait avec une certaine rudesse. Mais il n'était nullement préparé à ses nouvelles fonctions, et les accepta à regret, après des instances réitérées ; bien qu'instruit et très travailleur, il pouvait bien difficilement, à soixante-quatre ans, assimiler des matières toutes nouvelles pour lui, et son esprit absolu lui enlevait la souplesse de conception indispensable dans une période de transformation.

Les discussions sur le traité de la Tafna montraient bien que la lutte était inévitable avec Abdel-Kader. A son secrétaire français, Léon Roches, il disait sa volonté d'observer le traité, mais citait le Coran qui dit : « La paix avec les infidèles doit

être considérée par les musulmans comme une trêve pendant laquelle ils doivent se préparer à la guerre. » Et il ajoutait : « Lorsque l'heure de Dieu aura sonné, ils me fourniront eux-mêmes des causes plausibles de recommencer la guerre. » Quand le Sultan du Maroc, Chérif (de la famille du Prophète) et chef de l'Islam dans le Moghreb, lui eut envoyé un burnous d'investiture, il sentit que la guerre sainte était toute proche; une colonne de ravitaillement ayant passé sur une partie du territoire contesté, il la commença et le renforcement de l'armée d'Afrique devint nécessaire.

Mais le maréchal, toujours fidèle à son système, se bornait à l'occupation restreinte, en multipliant les postes détachés et les blockhaus, et ses opérations consistaient surtout en colonnes de ravitaillement. On lui doit quelques belles routes militaires qui ont contribué après lui à la mobilité des colonnes et à la colonisation. Dans l'organisation militaire, son hostilité envers les troupes indigènes, trop nouvelles pour lui, ne s'atténua qu'à cause du déplorable état sanitaire où la stagnation réduisit les troupes trop dispersées. Il eut jusqu'à 72 000 hommes sous ses ordres et, à part le beau combat dont le col de Mouzaïa fut le théâtre, il ne sut pas les employer. C'était le théoricien de la défensive qui croyait soumettre l'Afrique par les retranchements.

Bugeaud disait à la tribune de la Chambre des députés : « Voulez-vous rester imperturbablement en Afrique? Eh bien! il faut y rester pour faire quelque chose; jusqu'à présent on n'a rien fait,

absolument rien. Voulez-vous recommencer ces dix ans de sacrifices infructueux, en expéditions qui n'aboutissent qu'à brûler des maisons et à envoyer bon nombre de soldats à l'hôpital? Vous ne pouvez continuer quelque chose d'aussi absurde... Il y a un système qu'il faut absolument abandonner, c'est le système de la multiplication des postes retranchés. Je n'en connais pas de plus déplorable; il nous a fait un mal affreux. C'est le système de la mobilité qui doit soumettre l'Afrique... Il faut être avare de retranchements et n'établir un poste que quand la nécessité en est dix fois démontrée. »

Mais Thiers avait pris le pouvoir, et pour la première fois le ministre de la Guerre réclamait des opérations actives; il désignait le général de Lamoricière pour commander la division d'Oran sans prendre l'avis du gouverneur général, et Lamoricière commençait à remuer son monde. Le système des camps retranchés et des blockhaus avait fait ses preuves pendant trois années de commandement succédant d'ailleurs à une semblable inertie. Le 29 décembre 1840, le ministère Soult-Guizot remplaçait le maréchal Vallée par le général Bugeaud dans le gouvernement général de l'Algérie.

La nomination du général Bugeaud devait être accueillie avec défiance par les colons et par les troupes d'Algérie; il avait exprimé avec force sa répugnance à l'œuvre que la France poursuivait, et le traité de la Tafna avait paru pour beaucoup comme le commencement d'un abandon. Aussi le

maréchal Soult, ministre de la Guerre et président du Conseil, fit suivre l'annonce de sa nomination par cette dépêche officielle : « Le général Bugeaud ne tardera pas à partir pour Alger. On ne doit pas inférer de sa nomination que l'occupation sera restreinte; la campagne qui doit s'ouvrir au printemps prouvera le contraire. >>

Le nouveau gouverneur général, à son débarquement, rassure la population civile dans une proclamation. Il rappelle, sans les désavouer, ses opinions antérieures, et il ajoute : « Le pays est engagé, je dois le suivre... Il faut que les Arabes soient soumis, que le drapeau de la France soit seul debout sur cette terre d'Afrique. Mais la guerre, indispensable aujourd'hui, n'est pas le but. La conquête serait stérile sans la colonisation. Je serai donc colonisateur ardent... L'agriculture et la colonisation sont

tout un... »

Et il dit à l'armée : « Vous avez assez souvent vaincu les Arabes, pour les vaincre encore; mais c'est peu de les faire fuir, il faut les soumettre... Je serai attentif à ménager vos forces et votre santé... C'est par des soins constants que nous conserverons nos soldats... >>

Dans l'organisation militaire, il marche à grands pas dans la voie qu'il s'est tracée dès 1836. D'abord la mobilité des colonnes par la substitution des animaux de bât, à tous les charrois, l'allégement du fantassin, l'infanterie montée à mulet. Puis la suppression des deux tiers des postes et l'abandon de la défense en cordon les places, au lieu de rester

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