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pagne, et dix de montagne, tout à fait insuffisantes pour faire brèche, rien qui ressemblât à un équipage de siège.

L'antique Cirta avait été bâtie sur une citadelle naturelle aux pentes rocheuses, presque verticales; un pont romain, El-Kantara, assurait ses communications par-dessus le Rummel. Sur une seule face, une pente terreuse assez raide était à peu près accessible, mais des fortifications imposantes la défendaient. Le bey Ahmed tenait la campagne avec les Arabes des tribus voisines; son lieutenant BenAïssa défendait la place avec des janissaires recrutés dans tout l'Orient et à Tunis, les Maures de la ville et d'importants contingents kabyles.

La colonne emporta quelques constructions hors de l'enceinte; l'artillerie put enfoncer la première porte, mais les reconnaissances montrèrent que la seconde restait intacte. Toutes les surprises de nuit échouèrent sous un clair de lune d'une parfaite clarté. Le 25, les munitions étaient épuisées et les vivres se faisaient rares. Après avoir enlevé une partie du convoi, la cavalerie arabe inquiétait le camp. Après une dernière tentative désespérée, il fallut se décider à la retraite.

Les premières marches furent terribles. Manquant de pain et surtout de cartouches, exténués par les fatigues subies sans préparation depuis le départ de Bône, décimés par la maladie et par le feu, les soldats subirent l'une des plus rudes épreuves des campagnes d'Algérie, où elles ne manquèrent pas. La faim, le froid, la vue des têtes

coupées augmentaient leurs angoisses. Le maréchal Clauzel montra une calme intrépidité et un sangfroid admirable; toutes ses qualités militaires s'étaient retrouvées devant le danger. Le duc de Nemours se portait sans affectation jusque sur la chaîne des tirailleurs, restant là « comme il devait y être, comme un homme qui ne s'en aperçoit pas », dit un témoin.

La troupe la plus solide se trouva naturellement à l'arrière-garde, car il fallut bien constater quelques défaillances. C'était un bataillon du 2e léger, qui avait à sa tête le commandant Changarnier, qui sut maintenir un ordre tel que son carré arrêta à plusieurs reprises la cavalerie arabe, grâce à des feux bien ajustés à courte distance. Sa résolution intrépide et son coup d'œil sauvèrent la colonne d'un désastre. Maussade et quelque peu frondeur en temps ordinaire, il trouvait dans les circonstances extrêmes, les mots qui vont au cœur des soldats et changent en héros les plus hésitants. Après la dernière charge de la journée, en se remettant en marche avec tous ses blessés, le commandant dit à ses hommes, radieux : « Mes amis, nous ne sommes que trois cents et ils sont six mille; eh bien ! ils ne sont pas assez nombreux pour nous ! >>>

Mais tous n'avaient pas son sang-froid. Le surlendemain, le maréchal disait dans sa tente à quelques officiers « Si je recevais une blessure, je me hâterais de mettre aux arrêts tous les officiers supérieurs en grade à Changarnier, ou plus anciens que lui. Si je suis tué, ma foi, dépêchez-vous de vous

insurger et de décerner le commandement à Changarnier, sinon, vous êtes tous... perdus. »

La colonne, enfin délivrée de l'ardente poursuite des Arabes et des pillards kabyles, laissa un poste à Guelma où le colonel Duvivier sut improviser une base de ravitaillement et un centre d'influence qui servit grandement l'année suivante.

Bugeaud, ayant momentanément quitté son commandement à Oran pour occuper son siège de député, mit l'opinion publique en présence de l'inévitable alternative ou la conquête totale, ou l'abandon total : « Il n'y a pas de système moyen... On ne fait pas une demi-guerre ; il faut la paix ou la guerre avec toutes ses conséquences. On dit qu'on ne veut pas de retraite; il faut donc savoir organiser la victoire. >>

Mais le ministère Molé venait de prendre le gouvernement et adoptait le système de l'occupation restreinte et du progrès pacifique. Le général de Damrémont succéda donc au maréchal Clauzel avec des instructions en conséquence. Toutefois, pour ménager le général Bugeaud qui eût été indiqué comme gouverneur général, il fut renvoyé à Oran avec les attributions les plus étendues : il était complètement indépendant du gouverneur général au point de vue militaire, et au point de vue politique ne lui devait que des informations de pure forme.

Les deux demi-gouverneurs prirent leurs fonctions en avril 1837. Les relations avec Abd-el-Kader, leur voisin commun, devaient forcément amener entre eux un conflit. Bugeaud le trancha d'autorité

en traitant avec l'émir, sans aucune entente avec le gouverneur général, qu'il se contenta de prévenir en des termes fort secs.

Ce fut le traité de la Tafna. par lequel l'émir reconnaissait la souveraineté de la France en Afrique, mais recevait l'administration directe de territoires encore plus étendus que ceux que le traité Desmichels lui avait reconnus. Bugeaud avait cru nécessaire d'assurer momentanément la tranquillité à l'ouest d'Alger, pendant l'opération projetée sur Constantine, pour réparer l'échec de l'année précédente, et le gouvernement ratifia le traité, après une discussion assez pénible à la Chambre.

La deuxième expédition sur Constantine fut préparée avec le plus grand soin par le général de Damrémont qui en prit le commandement; le duc de Nemours fut placé à la tête d'une des quatre brigades. Le corps expéditionnaire ne comprend pas plus de 9000 hommes sur les 43 000 qui occupent l'Algérie. Cet effectif n'est guère supérieur à celui qui a entrepris le premier siège, mais il comprend une grosse artillerie qui est largement approvisionnée. Les troupes, allégées de leur chargement dans la mesure du possible, étaient pleines d'entrain.

Le 6 octobre à midi, elles étaient devant Constantine et les travaux d'approche commençaient aussitôt. Un temps affreux gênait fort l'établissement des batteries. Leur feu, bien qu'il eût démonté la plupart des batteries turques, restait insuffisant

:

pour ouvrir une brèche praticable et il fallait changer l'emplacement des pièces. Mais le conseil de guerre réuni en arrive à délibérer sur la levée du siège le manque de fourrage et le froid avaient causé la mort d'animaux en assez grand nombre, et les moyens de transport allaient se trouver insuffisants pour enlever les blessés assez nombreux; en cas d'échec, la situation eût été affreuse et d'ailleurs il ne restait plus que six jours de vivres. Heureusement, le général de Damrémont, qui avait eu le tort de laisser s'ouvrir une pareille discussion, se décida pour la continuation du siège.

Le 11 octobre, la brèche était ouverte et la place, sommée une dernière fois de se rendre, fit cette belle réponse : « Si les chrétiens manquent de poudre, nous leur en donnerons; s'ils n'ont plus de biscuit, nous partagerons le nôtre avec eux; mais tant que l'un de nous sera vivant, ils n'entreront pas dans Constantine. » Le lendemain matin, en reconnaissant la brèche, le gouverneur général de Damrémont était tué d'un boulet turc. Il tomba la veille de la victoire.

Le général Vallée, commandant l'artillerie, était le plus ancien et le remplaça, et prit les dispositions pour l'assaut. Le 13 octobre à une heure du matin, le tir en brèche reprit et les débris la rendirent bientôt praticable. Au point du jour, le tir reprit pour enlever les obstacles que la défense y accumulait, puis la mitraille la nettoya. A 7 heures, le duc de Nemours donna le signal de l'assaut.

Le colonel de Lamoricière, à la tête de la première

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