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l'avait prévu Polignac, était plus anxieuse d'éloigner la France d'Anvers que d'Alger, dont l'attention générale se détournait.

Mais il a paru nécessaire de s'étendre quelque peu sur cette expédition, qu'une diplomatie, résolue, adroite et prévoyante, a longuement préparée; au point de vue militaire, elle reste comme un modèle de précision dont on a trop peu cherché à se rapprocher; malgré les tâtonnements inévitables, son exécution est digne de la même admiration.

Quand le maréchal de Bourmont reçut l'ordre de changer de cocarde et de drapeau, il obéit stoïquement. Le 17 août 1830, à 8 heures du matin, le drapeau blanc fleurdelysé descendait lentement sur la kasbah d'Alger, où il flottait depuis le 5 juillet; riche aussi d'une gloire ancienne, le drapeau tricolore fut hissé. Il devait présider à l'achèvement d'une tâche vaillamment commencée. Il est bien que, ce jour-là, sur la terre d'Afrique, les canons de l'armée et de la flotte les aient salués tous les deux.

La conquête de l'Algérie eut des commencements bien laborieux et bien pénibles. Oran et Bône avaient été occupées de nouveau. Mais ce dernier port, témoin de luttes parfois héroïques, était en contact avec les tribus kabyles, et il fut évacué à plusieurs reprises. Blida et Médéa étaient le but de colonnes assez fréquentes, opérations souvent heureuses, mais qui restaient sans lendemain. La première cause en était l'insuffisance des forces laissées sur la côte d'Afrique au début, elle s'explique par

l'incertitude de la situation européenne. Mais après le Congrès de Londres, cette cause avait disparu sans que les effectifs augmentassent. A la naissance d'une jeune colonie, la suite dans les idées est indispensable, et il importe avant tout de laisser au personnel directeur le temps de prendre l'expérience du pays et des habitants; or, le général Clauzel, qui avait succédé au maréchal de Bourmont dans le commandement de l'armée d'Afrique, fut remplacé, au bout de sept mois, par le général Berthezène, qui vit ses forces réduites à une division d'occupation d'environ douze mille hommes et rentra en France après dix mois de commandement. De 1830 à 1840, le commandement changea neuf fois de titulaire, et il y eut plusieurs intérims. Le choix du gouvernement portait d'ailleurs sur des officiers généraux qui, presque tous, ont marqué leurs traces par des mesures de détail, assez heureuses, mais aucun d'eux n'était en état de mener une opération telle que la pacification d'un grand pays.

Personne au gouvernement n'eut la conception d'ensemble qui devait présider à une organisation générale; au début, l'idée d'un chef unique et responsable s'imposait. Or, on voit le général commandant à Oran correspondre directement avec le ministre de la Guerre et prévenant ensuite tardivement le général qui commande à Alger; le président du Conseil, Casimir Périer, assume la direction des Services civils, alors embryonnaires, qui deviennent indépendants du commandement militaire d'Alger,

et même du ministre de la Guerre, et cet homme d'ordre ne se doute pas que son intervention va organiser le conflit d'autorité et l'anarchie. C'est seulement en 1834 que le gouverneur général fut nommé, avec tous les pouvoirs militaires et civils.

La cause première de tous ces retards dans l'œuvre commencée, c'est l'indécision du Parlement. Il eut dans son sein, jusqu'en 1840 et même après, quelques intransigeants qui réclamaient l'évacuation d'abord les fanatiques qui répudiaient l'héritage de la Restauration, sans vouloir en faire. l'inventaire; puis les apôtres du recueillement nécessaire dans la situation de l'Europe; enfin les théoriciens de l'économie politique qui déclaraient que toute colonie était funeste à la métropole. En face d'eux se dressaient les rares partisans de la conquête totale, l'infime minorité des clairvoyants. Entre les deux, la masse des indécis cherchait le juste milieu et prônait une occupation restreinte que les uns limitaient à Alger, les autres à quelques ports de la côte et à leurs environs immédiats, les plus hardis à quelques plaines fertiles. Les commissions parlementaires se succédaient en Algérie et leurs avis, résultat de compromis, fixaient des limites très étroites à l'occupation. Chacune de nos entreprises coloniales a fait renaître la même querelle, envenimée par la politique intérieure, la hideuse politique, qui nous a infligé tant de retards, coûteux en vies humaines et en argent. Le même problème s'est posé aux temps modernes à d'autres peuples que le nôtre; il est vieux comme la civi

lisation. Une loi inéluctable veut que tout peuple ayant pris pied sur un continent barbare aille jusqu'à la mer ou jusqu'aux frontières d'un autre pays civilisé; parfois le gouvernement central essaie d'arrêter la pénétration, mais il se trouve dans la situation d'un homme qui voudrait maintenir une lourde masse sphérique sur un plan incliné : il lui faut déployer beaucoup plus de force pour arrêter le mouvement, que pour le diriger. Maspéro en a donné la raison dans son Histoire ancienne des peuples de l'Orient : « C'est en vain que les États policés prétendent demeurer en paix avec des nations barbares auxquelles ils touchent. Sitôt qu'ils ont décidé d'enrayer leurs progrès, et de s'imposer des bornes qu'ils ne dépasseront plus, leur modération prend couleur de faiblesse ou d'impuissance, les vaincus reviennent à l'assaut et ramènent la civilisation en arrière ou l'obligent à marcher outre. Les Pharaons n'échappèrent pas à cette fatalité de la conquête (1)..... »

Mais en France, sous la monarchie de Juillet, l'hésitation des Chambres se communiqua forcément au gouvernement. Il faut attendre 1836 et l'arrivée au pouvoir d'un véritable homme d'État pour qu'elle cesse; encore, pour ramener sa majorité, doit-il prendre quelques précautions oratoires qui tiennent compte de son état d'esprit : « Certainement si Alger était à conquérir, oh! je ne le

(1) Histoire ancienne des peuples de l'Orient classique, t. I, p. 490. Le premier Empire Thébain.

conseillerais pas à la France, mais en fin nous y sommes. Lorsque l'expédition d'Alger fut résolue sous la Restauration, je fus du nombre de ceux qui la blâmèrent, et je crois que je rendrai le véritable sentiment de la France à cette époque, lorsque je dirai que tout le monde y vit avec effroi l'intention d'aller y forger des armes pour les reporter sur le continent français et attenter à nos institutions... J'applaudis au résultat, quoique j'eusse blâmé l'entreprise. Messieurs, les sentiments que j'éprouvai étaient ceux de toute la France et le sont encore. Il y a un sentiment profond que je défie les ennemis les plus acharnés de l'occupation de venir braver à la tribune; je les défie de venir dire « Abandonnez Alger! » Élargissant le débat, Thiers concluait : L'occupation restreinte, l'occupation réduite est un non sens. >>

Il ne s'agissait plus que de trouver le chef qui fût en état de conquérir, de pacifier et d'organiser. Ce chef était sur place; c'était le général de brigade Bugeaud, qui combattait alors en sous-ordre dans l'armée d'Afrique. Hostile à la conquête, il avait pris position à la Chambre des députés dont il faisait partie, mais, comme soldat, indiquait les moyens nécessaires pour arriver au résultat si le gouvernement en avait la volonté. Il a fait la guerre en Espagne, il a réfléchi, il s'est renseigné, et, dès son débarquement, il veut employer un nouveau système de guerre et avant tout donner aux troupes la mobilité. Il ne garde que les bagages indispensables et renvoie toutes les voitures, et même l'ar

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