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instruit et curieux, a voyagé dans ces contrées, et a gouverné la Numidie. Il aurait même été révoqué à cause de ses exactions, mais ce sont les historiens qui le disent, et peut-être sont-ils suspects de malveillance envers un brillant confrère. Quoi qu'il en soit, Salluste nous a conservé une tradition recueillie par le roi Hicmpsal II, qui a écrit une Histoire des Numides. Le pays avait été peuplé par les Gétules et les Lybiens, sauvages qui se nourrissaient de viande et paissaient l'herbe comme des animaux ; après la mort d'Hercule en Espagne, son armée, manquant de chef, se dispersa; les Perses, les Mèdes et les Arméniens passèrent le détroit et se mélangèrent aux indigènes africains, donnant naissance aux Numides et aux Maures.

Hiempsal a vraisemblablement enregistré une de ces fables dont l'imagination fertile des Grecs a peuplé leur histoire et celle de tous les autres peuples. Elle repose sur ce fait qu'il s'est produit, en Afrique septentrionale, un brassement des races les plus diverses qui s'y sont fondues ensemble, pour former le peuple berbère. Dans le Djurdjura et dans l'Aurès, en Algérie, la variété des types humains, où la coloration des cheveux va du blond roux au noir, et la pigmentation de la peau du blanc rose au brun très foncé, indique la diversité des origines; les blonds sont très nombreux dans certaines tribus marocaines; on a remarqué que l'assemblée des notables, la Djemma kabyle, ne diffère du conseil municipal d'un village français que par les vêtements. Les documents égyptiens parlent de bar

bares libyens qu'ils représentent avec le teint blanc, les cheveux blonds et les yeux bleus. Cette race paraît s'être étendue de l'Europe occidentale au Sahara, du mont Sinaï jusqu'aux Canaries, où l'on retrouve des Guanches qui étaient assurément des Berbères.

Dans l'Atlas et le Souss marocains, dans tout le Sahara, jusqu'au Niger, on parle la même langue dans des dialectes à peine différents, et cette langue s'écrit en caractères libyques, qui forment l'alphabet te finah des Touaregs. Cette similitude de langue et cette existence d'un alphabet distinct de tous les autres alphabets connus, sont des indices d'une organisation ancienne qui implique une certaine unité et un commencement de civilisation : l'Europe a attendu le contact avec l'Asie avant d'avoir une écriture.

En se tenant aux faits certains, il est possible d'affirmer que l'Europe méridionale et occidentale et l'Afrique du Nord ont été peuplées en partie par les mêmes races; les Ibères et les Celtibères de l'Espagne sont les cousins des Berbères.

C'est vers le douzième siècle avant l'ère chrétienne que l'Afrique septentrionale entre dans l'histoire avec les premiers établissements des Phéniciens sur ses côtes. Resserré entre le Liban et la mer, ce peuple commerçant devient rapidement navigateur et dans ses métropoles, Tyr et Sidon, se tint bientôt la « Foire des Nations », dont parle le prophète Isaïe un vaste marché de tous les échanges; sans arts, sans littérature, leur civilisation est toute de transi

tion, et il est bien difficile d'en trouver les traces. Il semble toutefois qu'ils ont perfectionné beaucoup des industries déjà connues des Égyptiens, celles du verre et de l'airain, par exemple. A ce point de vue, leur rôle estɔonsidérable, car ils ont propagé dans toute la Méditerranée les connaissances de l'Orient, et ils ont tiré des alphabets égyptiens, d'abord idéographiques et syllabiques, les vingtdeux lettres d'où dérivent les nôtres.

Les Grecs, rivaux des Phéniciens, essaiment dans la Méditerranée septentrionale; leur seul comptoir africain est Cyrène. Les deux peuples navigateurs se rencontrent en Sicile et y luttent longtemps; Carthage, colonie phénicienne, a remplacé Tyr en décadence: elle fait alliance avec Xerxès contre les

Grecs, puis avec Rome contre Pyrrhus, roi d'Épire.

Carthage a colonisé à son tour les côtes d'Espagne et l'amiral Hannon a fondé, sur le littoral de l'Atlantique, 300 comptoirs, parmi lesquels Tingris (Tanger) et Sola (Salé, en face de Rabat), et dont le plus méridional est en Guinée. Elle tient la Sardaigne, la Corse enlevée aux Phocéens, toutes les îles de la Méditerranée. Elle grandit toujours; mais en face d'elle une rivale grandit aussi, Rome, et la lutte s'engage pour la possession de la Sicile.

La première guerre punique, qui dura trente-huit ans, a pour enjeu cette belle île, et c'est Rome qui l'emporte. La guerre des Mercenaires, racontée par Flaubert dans Salammbô, succède à celle-ci, et Carthage se tourne vers l'Espagne où s'étend sa puissance. Mais elle y rencontre de nouveau sa rivale

et la deuxième guerre punique s'engage. Un général de génie, Hannibal, conduit à travers les Pyrénées et les Alpes une armée de Berbères renforcée de quelques contingents gaulois; après les batailles du Tessin, de la Trebbie, du lac Trasimène (218), vient l'éclatante victoire de Cannes, qui met Rome au bord de l'abîme (216). Elle est sauvée par la grandeur d'âme et la virile énergie de ses habitants, mais l'ennemi reste à ses portes, et elle demeure à la merci d'un revers.

Enfin Scipion obtient de porter la guerre en Afrique, de rendre coup pour coup, et de menacer Carthage, qui, moins bien trempée moralement que sa rivale, rappelle Hannibal pour la défendre. Les deux grands capitaines s'affrontent dans la bataille décisive de Zama où l'ordre romain, par sa cohésion et sa discipline, triomphe de l'armée punique.

La civilisation phénicienne a joué en Afrique le même rôle qu'à Tyr et à Sidon, celui d'intermédiaire; d'un caractère essentiellement mercantile, elle n'avait jamais considéré les peuples qui entouraient ses comptoirs, que comme les clients de son industrie.

Elle use largement des Berbères comme mercenaires, dans ses armées, où ils rencontrent tous les soldats du monde méditerranéen, sous les ordres des chefs grecs qui ont imposé leur langue dans les commandements militaires. Les Berbères parcoururent ainsi l'Espagne, la Gaule, l'Italie, et conquirent toutes les îles de la Méditerranée occidentale; les survivants rapportent dans leurs foyers des

souvenirs éclatants et confus et une prodigieuse vision du monde, avec ses diversités et ses analogies. Mais à aucun moment leurs maîtres ne tentent le moindre essai d'organisation parmi les peuples épars, en s'établissant au milieu d'eux. C'est par imitation, par influence, que quelques Berbères adorent les dieux de Carthage en même temps que les leurs, et qu'ils parlent parfois la langue punique.

La politique romaine était tout autre. Le peuple roi annexait les dieux des vaincus sans les leur enlever, et Tanit continue d'être adorée à Carthage, tout en prenant place au Capitole sous le nom de « la Déesse céleste »; « Baal Hammon » devient Saturne, et même Saturnus Augustus sous l'Empire, et ses temples se multiplient en Afrique. Pour les Romains, les religions sont locales; les vainqueurs invoquaient les dieux des vaincus, et, pour être certains de n'en pas oublier, ils les priaient tous à la fois sous le nom de Dieux Maures (Dii Mauri ou Maurici) pour le salut de l'empereur et le succès de leurs armes. Aussi le culte devient un lien de plus entre tous les habitants d'une même terre, quelles que soient leur race et leur condition.

La conquête s'était faite aux dépens de Carthage; les autochtones avaient pris part à la lutte dans chacun des deux camps, mais s'étaient tournés vers les Romains en très grande majorité, en sorte que ce n'était pas contre les Berbères que les Romains avaient eu à prouver leur force; leur victoire reste pure de ces châtiments terribles dont elle s'accompagnait trop souvent dans l'antiquité, et nul res

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