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ambassadeur à Paris, recevait des instructions de plus en plus comminatoires, entremêlées de dures semonces. Ainsi excité, son zèle alla très loin. Il insistait toujours pour obtenir des déclarations écrites liant non seulement le prince de Polignac, mais ses successeurs : « En refusant, disait-il au prince, vous exposez grandement les relations de nos deux pays, et vous risquez de provoquer un conflit armé. Je ne puis vous suivre sur ce terrain, monsieur... Quant à vous donner par écrit les déclarations que nos autres alliés ne nous demandent pas, je vous ai dit souvent que c'était impossible. Au moins, donnez-moi copie des instructions au général de Bourmont. Pour cela, mylord, reprit sèchement le prince, c'est une preuve de confiance qui se donne peut-être, mais qui ne se demande pas. »

Ainsi éconduit avec autant de fermeté que de courtoisie par le ministre des Affaires étrangères, lord Stuart essaya le même procédé d'intimidation sur le ministre de la Marine, qu'il jugeait plus facile à émouvoir par la perspective d'une guerre navale. Il lui témoigna sa conviction que les préparatifs militaires et maritimes étaient simplement destinés à effrayer le dey. Le baron d'Haussez lui répondit : « Le roi veut que l'expédition se fasse et elle se fera. Vous pensez donc qu'on ne s'y opposera Sans doute; qui l'oserait?

pas?

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les premiers.

Qui? Nous Mylord, reprit M. d'Haussez, avec

une émotion qui approchait fort de la colère, je n'ai jamais souffert que vis-à-vis de moi, simple indi

vidu, on prît un ton de menace. Je ne souffrirai pas davantage qu'on se le permette vis-à-vis du gouvernement dont je suis membre. La France se f... de l'Angleterre. Elle fera dans cette circonstance ce qu'elle voudra, sans souffrir de contrôle, ni d'opposition. Votre influence était basée sur vos trésors, vos vaisseaux, votre habitude de domination. Tout cela est usé. Vous ne compromettrez pas ce qui vous reste d'influence en allant au delà de la menace. Si vous voulez le faire, je vais vous en donner les moyens. Notre flotte est déjà réunie à Toulon, et prête à mettre à la voile. Elle s'arrêtera pour se rallier aux Baléares. Elle opérera son débarquement à l'ouest d'Alger. Vous voilà informé de sa marche. Vous pouvez la rencontrer si la fantaisie vous en prend; mais vous ne le ferez pas (1)..... »

Mais, au départ de la flotte, lord Stuart revint chez le prince de Polignac avec une nouvelle note très longue de lord Aberdeen. L'Angleterre, disaitelle, ne saurait admettre pour la Régence que la suzeraineté du sultan : « Si le principal objet de cette expédition doit être la conquête d'Alger plutôt que la réparation des injures reçues et le châtiment du dey, le soussigné soumet à la sérieuse considération du prince de Polignac l'effet qui doit résulter d'un exemple qui dispose ainsi des droits d'une tierce personne contre laquelle aucune plainte n'a été portée. »

(1) D'HAUSSEZ, Mémoires, t. II, p. 157. (DARCY, op. cit., p. 130, 131.)

Après avoir parcouru négligemment cette manière d'ultimatum, le prince la rendit à l'ambassadeur avec une indifférence parfaite. Et comme lord Stuart insistait à plusieurs reprises pour avoir une autre réponse qu'un simple accusé de réception, le ministre lui répondit vivement : « Écrivez à votre cour que vous m'avez présenté votre note et que je ne l'ai pas lue.» «Notre entretien tomba brusquement, ajoute lord Stuart dans sa dépêche à son ministre, car je n'étais guère satisfait de la réponse de Son Excellence. >>

Il était si peu satisfait qu'il alla se plaindre à Charles X lui-même, dans une audience qui fut longue et mouvementée. Ulcéré par ses échecs répétés depuis plusieurs mois, sentant sa situation compromise et son orgueil blessé à vif, l'ambassadeur d'Angleterre semble avoir oublié dans cet entretien qu'il parlait au roi de France. Il fit entendre des récriminations violentes, des menaces même. Mais le vieux souverain l'arrêta d'un mot qui rétablissait toutes les distances : « Monsieur l'ambassadeur, lui dit-il, tout ce que je puis faire pour votre gouvernement, c'est de ne pas écouter ce que je viens d'entendre. >>

Après la prise d'Alger, une demande d'explications très hautaine du gouvernement anglais fut renvoyée à lord Stuart avec cette annotation du roi : « Pour prendre Alger, je n'ai considéré que la dignité de la France; pour le garder ou pour le rendre, je ne consulterai que son intérêt. » La guerre paraissait inévitable, et le duc de Laval jugea

nécessaire de prendre directement les instructions du roi ; dans son audience de congé, lord Aberdeen lui dit : « Je vous dis adieu avec plus de peine que de coutume, car je crains bien que nous ne soyons plus destinés à nous revoir ; jamais la France, même au temps de la République et de l'Empire, ne nous a donné de pareils sujets de plainte. Mylord, repartit le duc de Laval, je ne saurais ni dire, ni prévoir ce que vous pouvez espérer de la modération de la France; mais ce que je sais, c'est que vous n'en obtiendrez rien par la menace. »

Lord Aberdeen sentait la poudre, mais le vainqueur de Waterloo, alors président du Conseil, était beaucoup moins belliqueux que son ministre des Affaires étrangères. Wellington n'ignorait pas que, si les escadres anglaises se concentraient dans la Méditerranée, si les munitions et les approvisionnements de toute nature s'entassaient à Gibraltar, les troupes françaises se concentraient sur la frontière des Pays-Bas. Bois-le-Comte, directeur politique aux Affaires étrangères, rous dit de son ministre Polignac : « C'est en Belgique qu'il voulait chercher la sûreté de notre expédition et des compensations accessoires, si quelque résolution violente de l'Angleterre compromettait nos intérêts en Afrique »; le prince de Polignac avait vu que le point vulnérable de l'Angleterre, c'est Anvers. Une action contre la flotte française amenait donc inévitablement une guerre européenne, et l'Europe voulait la paix : le témoignage des ambassadeurs anglais, qui cherchaient vainement à l'exciter contre l'éven

tualité d'une occupation française, était unanime à cet égard. Les puissances alliées n'eussent point pardonné à l'Angleterre de déchaîner de nouveau la guerre en Europe dans le seul but d'empêcher la conquête d'Alger par la France dont elles sentaient tous les avantages au point de vue européen.

Le gouvernement français n'avait d'ailleurs aucune idée préconçue sur le régime à instaurer à Alger; on a peine à le croire, mais les témoignages sont trop formels et trop concordants pour laisser le moindre doute à cet égard. La correspondance diplomatique est là, avec ses pièces officielles et ses commentaires officieux; les mémoires des ministres Guernon-Ranville et d'Haussez ont été publiés ; nous avons le long rapport présenté le 29 mai par le prince de Polignac au Conseil sur la question d'Alger; il examine en détail toutes les solutions possibles et ne conclut pas; s'il indique une préférence, c'est pour un partage de la côte barbaresque entre toutes les puissances : « Ce serait un des partis qui pourraient le plus convenablement être proposés. >> Devant l'hésitation générale, le roi décida : « Laissons faire l'armée, il sera temps de reprendre la question, quand Alger sera à nous. »

La Conquête française.

L'armée se préparait avec activité. Le général de Bourmont, ministre de la Guerre, avait formé trois divisions de 10 000 hommes chacune, avec un régi

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