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fréries dont les adeptes, les Khoans, se reconnaissent à la répétition de certaines prières (le Dirk), et obéissent aveuglément aux commandements de leurs chefs religieux. Loin de former des éléments d'ordre, ces nouveaux groupements, indépendants les uns des autres et de toute autorité centrale, accroissent l'anarchie. La Berbérie est donc hors d'état de résister à une force étrangère.

Les Turcs.

Or, deux puissances font leur apparition sur ses côtes les Espagnols et les Turcs. Elles s'y établissent et y luttent entre elles, ayant les autochtones, tantôt pour ennemis, tantôt pour alliés. Charles-Quint, qui a pris et ruiné Tunis, échoue devant Alger, malgré les forces considérables qu'il avait rassemblées et la faiblesse de la garnison (octobre 1541).

Les luttes en Italie et en Flandre détournèrent de l'Afrique l'Espagne, que sollicitait à l'extérieur la conquête du Nouveau-Monde, source de profits plus faciles et plus grands. Philippe II y renonça complètement et l'histoire des possessions espagnoles, abandonnées à leurs propres forces sans renforts, sans solde, sans ravitaillement, est déplorable. Pourtant, la vaillance de cette race chevaleresque jeta de temps en temps un court rayon de gloire, notamment aux divers sièges d'Oran et de Mers-El-Kebir. Après la bataille de Lépante,

l'occasion était pourtant favorable; le vainqueur, Don Juan d'Autriche, prit Tunis deux ans après, sans l'assentiment de son frère Philippe II; il aurait voulu y être proclamé roi, et jugeait cette couronne digne du fils naturel de Charles-Quint; mais son royal frère refusa de le soutenir et la garnison de Tunis, laissée à ses propres forces, fut faite prisonnière par le Pacha d'Alger.

Malgré l'aide, souvent très efficace, des tribus berbères ou berbères arabisées, la méconnaissance de l'ennemi et du pays s'étale dans le récit de toutes ces expéditions : elle était d'autant plus impardonnable si on réfléchit au voisinage de l'Afrique et aux longues luttes des Espagnols contre les Maures.

Les Turcs, venus par mer, s'étaient établis d'abord sur les côtes, à Tunis, à Alger, à Oran; puis dans l'intérieur ils tiennent Titeri (Médéah) et Constantine. Des beys commandaient au nom de la Porte, dans les villes, sous le gouvernement d'un Bey Lar Bey (Bey des Beys), puis d'un pacha résidant à Alger, depuis les Barberousse. Le sultan de Stamboul, craignant de voir son représentant à Alger proclamer son indépendance, le changeait fréquemment, tous les trois ans depuis la fin du seizième siècle. Le pouvoir du pacha s'appuyait sur une milice analogue à celle des janissaires, les Yoldachs, qui, dans chaque ville, formait un groupement, le Oudjak (fourneau), et ce groupement finit par constituer le gouvernement lui-même.

Car les miliciens, les Yoldachs, se fatiguèrent d'obéir à un chef venu de Constantinople, complè

tement ignorant du pays, et finirent par élire leur chef de gouvernement, qui fut le dey. Le dey était assisté de ministres et d'un conseil, le Dirvan, formé d'anciens militaires, dont les attributions et l'autorité variaient selon le caractère du dey. Par suite du développement qu'avait pris la course, d'où dépendait la prospérité d'Alger, la corporation des reis, ou capitaines de navires, avait pris une grande importance. L'administration municipale avait à sa tête le Cheik-El-Blad, sorte de maire, qu'assistait un Conseil de ville.

Malgré ce morcellement d'autorité, la domination turque était arrivée à une organisation qui dura jusqu'à la conquête française. La force militaire était constituée par la milice des Yoldachs, qui n'atteignit jamais 20 000 hommes, et qui n'était plus que de 1978 en juillet 1830; des fantassins réguliers servaient à leurs côtés, les Kabyles Zouaoua, dont nous avons fait nos premiers zouaves. Puis des colonies militaires étaient établies en grand' garde sur les frontières; les Abid noirs, les Zemoul (gens de Zemalas, campement), les Douairs (pluriel de Daira, cavalier); elles formaient des tribus nouvelles, guerrières et obéissantes, qui maintenaient l'autorité du dey. Enfin les populations soumises devaient, outre l'impôt, fournir en cas de besoin un contingent irrégulier, le goum.

Les Turcs avaient soin de se ménager des alliés utiles dans les marabouts de toute sorte de toute origine; ces personnages religieux, étrangers à la région de leur prédication, étaient d'excellents

agents de renseignements et d'influence politique. Pas d'État sans budget. Les impôts sur les tribus étaient d'abord ceux qui sont prescrits par le Coran : l'achour. dîme sur les produits agricoles, et la zekat, impôt sur les troupeaux ou bêtes de somme; puis le hokar, fermage des terres du Maghzen (gouvernement), enfin le gharama ou lezma, capitation sur les nomades, les gens des oasis ou leurs palmiers.

A Alger, d'autres produits s'ajoutaient aux impôts coraniques : le quint (cinquième), sur les prises des corsaires, les tributs et cadeaux imposés aux nations européennes pour se mettre à l'abri des attaques barbaresques; enfin la vente des esclaves et les contributions maritimes.

Il est difficile d'évaluer les ravages des pirates barbaresques, mais quelques chiffres sont assez significatifs. Le nombre des captifs au dix-septième siècle était en permanence de 30 à 40 000 à Alger seulement; l'ordre de Notre-Dame de la Merci en 1635 avait racheté à lui seul 37 720 esclaves chrétiens; son rôle d'intermédiaire lui ouvrait les bagnes, où les captifs étaient d'autant plus maltraités que leur apparence permettait d'en espérer une plus forte rançon. Il avait obtenu d'y ouvrir des chapelles et des hôpitaux, secourant le corps et l'âme. Parfois, quand les fonds tardaient à arriver ou pour garantir un échange, les religieux prenaient les fers d'un captif pour assurer sa délivrance : cet acte admirable était prescrit par les règles de ces ordres religieux, dont l'abnégation et la patience forçaient l'admiration des Musulmans.

Je ne raconterai pas les luttes entre Alger, Tunis et Constantine, les révoltes des Berbères dont le flot tumultueux vint battre à plusieurs reprises les murs de ces villes, les essais de conquête turque au Maroc, qui resta heureusement indépendant. L'autorité des pachas ne fut jamais que nominale dans ces massifs montagneux de la Kabylie et de l'Aurès et, à la fin du dix-huitième siècle, l'affaiblissement de la Porte avait sa répercussion en Berbérie. Le dey d'Alger était choisi parmi les plus vieux et les plus nuls des soldats, afin qu'il n'eût pas l'idée ni la possibilité de rétablir une autorité gênante ; les beys de Tunis s'étaient affranchis de leur autorité; jaloux des beys de Constantine, de Titeri et d'Oran, ils faisaient assassiner ceux d'entre eux qui montraient quelque valeur, y voyant des possibilités d'indépendance. La Berbérie subissait au commencement du dix-neuvième siècle une véritable régression. L'Europe, constamment divisée et en proie à de longues guerres, ignorait tout de cette situation, et les nations les plus fières, comme l'Angleterre, payaient un tribut au dey d'Alger pour protéger leurs navires contre les corsaires.

Pourtant, en 1815, pendant le congrès de Vienne, une course imprudente enleva plus de 200 captifs en Sardaigne et les puissances européennes décidèrent qu'aucun de leurs nationaux ne pourrait être réduit en esclavage. Après un bombardement fort sérieux, une escadre anglo-hollandaise imposa un traité rédigé en conséquence (août 1816). Mais la course durait toujours et plusieurs démonstrations

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