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peuple comme il y en a tant d'autres, les Arabes les Persans, les Grecs et les Romains... On a vu, des Berbères, des choses tellement hors du commun, des faits tellement admirables, qu'il est impossible de méconnaître le grand soin que Dieu a eu de cette nation. >>

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Si nous voulons connaître les vainqueurs et les nouveaux maîtres des Berbères, écoutons comment les juge l'un des leurs, le même Ibn-Khaldoun : « Le naturel farouche des Arabes en a fait une race de pillards et de brigands. Toutes les fois qu'ils peuvent enlever un butin sans courir un danger ou soutenir une lutte, ils n'hésitent pas à s'en emparer et à rentrer au plus vite dans le désert. Vous reconnaissez la razzia. Les habitudes et les usages de la vie nomade ont fait des Arabes un peuple rude et farouche. La grossièreté des mœurs est devenue pour eux une seconde nature... Si les Arabes ont besoin de pierres pour servir d'appui à leurs marmites, ils dégradent les bâtiments afin de s'en emparer; s'il leur faut du bois pour en faire des piquets ou des soutiens de tentes, ils détruisent les toits des maisons pour en avoir. Par la nature de leur vie, ils sont hostiles à tout édifice... Ajoutons que, par leurs dispositions naturelles, ils sont toujours prêts à enlever de force le bien d'autrui, à chercher les richesses les armes à la main, et à piller sans mesure et sans retenue (1). »

(1) IBN-KHALDOUN, Prolégomènes, tome Ier de la traduction de Slâne, p. 309 et suiv.

Les Arabes, en effet, préludèrent à leur conquête par une série de formidables razzias. La dernière expédition, celle d'Okba, le mena jusqu'au bord de l'Atlantique, où il fit piaffer son cheval en s'écriant : <«< Allah! Tu m'es témoin que je ne puis aller plus loin ! » Mais au retour, Okba fut vaincu et massacré par les Berbères révoltés (683), qui s'organisèrent. Après quelques succès, un autre envahisseur, Zobeïr, subit le même sort (688-690). Les Berbères traversèrent une période d'anarchie profonde, mais ils se réunirent sous l'autorité d'une femme, descendante de leurs anciens rois, dont la tribu était convertie au judaïsme; les Arabes l'appellent la Kahena (la devineresse). D'abord victorieuse, cette reine des Berbères ne put résister aux armées arabes qui se renforçaient constamment et, après une lutte héroïque, elle périt glorieusement dans le dernier combat (696-703).

Mais la résistance restait vive : «< Conquérir l'Afrique est chose impossible, écrivait un gouverneur arabe au Khalife; à peine une tribu berbère est-elle exterminée qu'une autre vient prendre sa place. » Toutefois Mouça Ben Nocéir, son successeur, y arriva en quelques années et lança les turbulents Berbères contre l'Espagne. Mais les querelles déchiraient l'Islam ; en Orient, chiites et sunnites, orthodoxes et puritains kharédjites en venaient aux mains; à Bagdad, la dynastie des Abbassides succédait à celle des Oméides; en Espagne, Arabes et Berbères engageaient d'interminables combats; en Afrique, les Berbères embrassent l'hérésie kharéd

jite où ils voyaient un moyen de garder leur indépendance tout en restant musulmans : une foule de petits royaumes berbères s'érigeaient de tous côtés et l'anarchie était complète.

Elle cessa quand le Khalife de Bagdad HarounAl-Rachid eut nommé comme gouverneur IbrahimBen-Agleb, qui commença la réconciliation et même la fusion entre les Arabes et les Berbères. Son fils assit son autorité menacée par la milice syrienne en créant une garde noire d'une bravoure et d'une fidélité à toute épreuve. Ses successeurs aglabites la conduisirent à la conquête de la Sicile et se défendirent contre les invasions venant de l'Égypte. Des gouverneurs arabes nommés par le Khalife succédèrent à cette dynastie, qui a donné quelques chefs remarquables et quelques monstres, puis une dynastie fatémide (descendant d'Ali, époux de Fathma, fille du Prophète) se déclara indépendante et étendit son pouvoir sur le Moghreb Central et Oriental (Algérie et Tunisie, 910-923).

Les Zirides berbères remplacèrent les Fatémides, mais leur autorité se limitait à l'Ifrykia, la Tunisie actuelle. C'est sous le dernier gouverneur de la dynastie ziride, El Moïs, que le Khalife lança contre l'Ifrykia l'invasion hilalienne, qui la ravagea de fond en comble. Ces tribus d'Arabes pillards, parquées sur le Haut Nil, en punition de leurs méfaits, furent chargées de venger l'injure faite par le gouverneur ziride, qui s'était révolté contre le Khalife fatémide du Caire. Les Berbères ne surent pas s'unir à temps contre l'envahisseur et subirent une ter

rible défaite. Ces envahisseurs n'étaient certainement pas plus de 200 000, et ils ne purent modifier profondément le fond de la race, comme on l'a dit quelquefois, mais ils ajoutèrent un élément de désordre à tous ceux qui existaient déjà dans l'Afrique du Nord.

Je passe sur l'établissement de la dynastie des Almoravides au Maroc qui, venus du Sénégal, étendirent leur puissance sur l'Espagne jusqu'à l'Èbre. Leurs successeurs, les Almohades, régnèrent sur tout le Moghreb, qui fut ensuite partagé entre les Hafsides de Tunis, les Zeyanites de Tlemcen et les Mérinides du Maroc. Ces trois dynasties étaient d'ailleurs berbères, comme les Almoravides et les Almohades, et il n'est pas permis de croire que l'invasion hilalienne amena la prépondérance de l'élément arabe. En même temps, les Normands enlevaient la Sicile aux musulmans et fondaient quelques établissements sur la côte africaine. C'est leur héritier Charles d'Anjou qui décida son frère saint Louis à diriger la dernière croisade contre Tunis (1270), au lieu de secourir les chrétiens de Palestine. Le saint roi croyait d'ailleurs que le sultan Hafside, dont les messages étaient très amicaux, embrasserait facilement le christianisme : « Je consentirais volontiers, disait-il, à passer le reste de mes jours enchaîné dans une prison, si je pouvais obtenir ce résultat de convertir le roi de Tunis et son peuple à la religion chrétienne. » Mais après leur débarquement, les croisés s'établirent dans les ruines de Carthage pour y attendre Charles d'Anjou. Cette

inaction funeste coûtait la vie au roi et à de nombreux croisés. Charles arriva le 25 août, le jour même où son frère mourait et, après quelques escarmouches assez heureuses, les croisés acceptèrent de se rembarquer, moyennant le paiement de 210 000 onces d'or.

Au quatorzième et au quinzième siècles, des relations assez fréquentes s'établissaient entre chrétiens et musulmans d'Afrique; malgré la course des pirates africains, le commerce maritime garde une certaine activité, car des traités, d'ailleurs parfois violés, protègent les navires des républiques italiennes et des royaumes de France et d'Espagne. Mais les tribus berbères subissaient de plus en plus l'influence des nouveaux venus; déjà musulmanes, elles s'arabisaient par le langage et les mœurs, sans que l'élément arabe prît une prépondérance politique. Au seizième siècle, les empires berbères se sont émiettés, ruinés par l'influence dissolvante des Arabes hilaliens : cet élément a été en grande partie absorbé par la population autochtone, mais il agit à la manière d'un toxique. Un nouveau dissolvant apparaît : l'influence maraboutique; venus de l'Ouest, surtout de Sid-Jilmissa le Tafilalet actuel - et de la Seguiet - El-Hamra, de saints personnages prêchent le Coran et l'interprètent ; groupent autour d'eux des disciples puis des tribus entières; grâce à l'amoindrissement du pouvoir central, et à l'absence de clergé régulier, leur influence s'accroît sans cesse. Bientôt leur action changera de forme; ils fonderont les grandes con

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