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III

LA CONQUÊTE ET L'ORGANISATION DU MAROC (1)

Le Maroc forme le versant atlantique de l'Afrique septentrionale. Trois chaînes de montagne sensiblement parallèles à la côte - moyen Atlas-grand Atlas petit Atlas le séparent du Sahara et de l'Algérie. D'où l'unité de ce pays, d'où son histoire. La Tunisie, qui lui semble symétrique dans la Berbérie, est accessible de partout, par ses côtes accueillantes sur la plus belle des mers et par toutes les routes qui sillonnent ses plaines; seule la trouée de Taza, la route de Fez à Oudjda, ouvre la porte du Maroc, défilé encaissé entre des montagnes abruptes; la côte atlantique est inhospitalière, et borde l'immense océan redouté des anciens navigateurs. Aussi la race berbère, mélange initial de beaucoup d'autres, n'a-t-elle subi que peu des contacts si nombreux, quelques-uns si profonds, qui ont marqué dans l'antiquité le resté du Moghreb.

Les Carthaginois y eurent quelques comptoirs, Tengris, qui est maintenant Tanger, et Sala le

(1) Conférence prononcée à la Société des Conférences, le 7 mars 1923.

Salé qui est en face de Rabat. Les Romains ont colonisé en partie la Maurétanie tingitane, mais ils ont évité la montagne et se sont arrêtés dans le Sud aux environs de Rabat : leur capitale Volubilis présente des ruines dignes du peuple-roi, mais on recherche vainement dans le reste du Maroc les traces imposantes que leur longue domination a laissées en Tunisie et en Algérie. Les Byzantins n'occupèrent que Tanger et Ceuta.

Au septième siècle, la première incursion arabe s'étend sur toute l'Afrique septentrionale, mais il en reste peu de traces. Au huitième, les Arabes reviennent; ils ne montent pas dans la montagne, mais l'Islam en commence l'ascension. A la turbulence des nouveaux convertis, ils donnent en aliment l'Espagne à conquérir; la discorde naît, les sectes déchirent les croyants, les Arabes sont vaincus, mais ils ont laissé chez les Berbères la religion du Prophète et la soif des conquêtes.

Un descendant du prophète, Idriss, réunit quelques tribus et fonde la dynastie des Idrissides (neuvième et dixième siècles) qui bientôt dégénère et disparaît dans les querelles entre Omméiades et Fatimides. C'est alors qu'apparaît Yousouf Ben Tache fine, l'homme de la tente saharienne, ardent guerrier et religieux austère, qui, venu des bords du Sénégal, fonde à Marrakech la première dynastie berbère, celle des Almoravides. Appelé en Espagne par les Arabes amollis, il y promène sa garde noire, et il règne de l'Ebre au Sénégal, de l'Atlantique à la Mitidja. Ses successeurs dégénérés disparaissent

sous l'assaut d'une autre dynastie berbère, celle des Almohades, qui descend de la montagne pour la réforme des mœurs et le retour à la pureté de la foi primitive. Son fondateur Abd-el-Moumène reprend tout l'empire des Almoravides et l'étend jusqu'à Tripoli. Ce fut un grand souverain, organisateur, charitable et relativement tolérant. L'un de ses successeurs bâtit la Giralda de Séville, la Tour Hassan de Rabat et la Koutoubia de Marrakech, témoignages encore visibles d'une civilisation avancée. Les premiers Almohades eurent toutefois le tort d'appeler de la Tunisie les Arabes hilaliens qui l'avaient envahie, et d'introduire ainsi au Maroc cet élément d'anarchie (1). Mais il fallait une main de fer pour gouverner à cette époque un empire aussi étendu; il s'émietta bientôt l'Espagne s'en détacha, puis les royaumes de Tunis et de Tlemcen.

Les derniers Almohades furent détrônés par une dynastie nouvelle, celle des Mérinides, originaires du Tafilalet, qui reconstitua leur empire. Elle périclita à son tour. A la fin du quinzième siècle, l'occu

(1) Dernières paroles d'Abd-el-Moumène à son fils : « Éloignez de l'Ifrykia les Arabes, transportez-les en Moghreb et en Espagne, et employez-les comme corps de réserve dans toutes vos guerres » (1163). Dans les mêmes circonstances, son successeur s'exprime ainsi : « De toutes les actions de ma vie, je n'en regrette que trois : la première, c'est d'avoir introduit dans le Moghreb les Arabes de l'Ifrykia ; la deuxième c'est d'avoir bâti la ville de Rabat, pour laquelle j'ai épuisé le trésor public; la troisième, c'est d'avoir rendu la liberté aux prisonniers d'Alarcos, parce qu'ils recommenceront » (1199).

pation des principaux ports par l'Espagne et le Portugal provoqua un mouvement à la fois religieux et national, qui eut pour conséquence un changement de dynastie. Les chérifs saadiens, venus aussi du désert pour rétablir la religion et chasser les chrétiens, firent d'abord la guerre sainte.

Mais, au début du dix-septième siècle, les Marabouts voulurent rétablir à leur tour la pureté de la foi périodiquement menacée et suscitèrent une nouvelle dynastie, celle des chérifs alaouïtes, qui règnent actuellement sur le Maroc. Cette dynastie lui donna dès le début un grand souverain, Moulay Ismaïl, contemporain de Louis XIV et son imitateur. Son œuvre considérable s'étendit à tous les domaines; il a conquis et pacifié tout le Maroc, au moyen de sa garde noire, puissant instrument de guerre et aussi de politique ; son parc et son palais de Meknès copient Versailles et il demanda la main de la princesse de Conti, fille de Mlle de Lavallière et du grand roi. Mais ce long et grand règne n'eut pas de lendemain. Il faut attendre le règne de Moulay Hassan pour retrouver quelque grandeur dans l'empire.

En 1845, après la victoire de l'Isly et l'action de notre flotte à Tanger et à Mogador, le traité de Tanger avait réglé les rapports de la France avec le Maroc. Mais la frontière occidentale de l'Algérie n'avait été déterminée que dans la partie septentrionale et le Sultan du Maroc était bien incapable de faire régner l'ordre dans les tribus qui l'avoisi

naient. Le droit de suite, à plusieurs reprises (1), nous avait amenés à aller poursuivre les pillards et à les châtier sur le territoire marocain, et nos colonnes devaient ensuite se replier. Notre ministre des Affaires étrangères préférait d'ailleurs renoncer au droit de suite exercé sur place et présenter nos réclamations à Fez par la voie diplomatique : or, si la bonne volonté du Sultan était intermittente, son impuissance par contre était constante. Son pouvoir ne dépasse pas le Blad-el-Maghzen (Pays du gouvernement) qui, au dix-neuvième siècle, est limité aux ports, aux trois capitales, et à quelques tribus de la plaine : le reste du Maroc est le Blades-Siba (Pays de l'insoumission).

En 1903, le gouverneur général de l'Algérie, M. Jonnart, fut attaqué au col de Zénaga par une petite bande et, à la suite de cet incident, le colonel Lyautey fut chargé de pacifier le Sud Oranais (2) :

(1) 1852, colonne du général Montauban contre les BeniSnassen.

1859, expédition du général de Martimprey contre les Beni-Snassen.

1870, colonne du général de Wimpfen sur le Haut-Guir. De 1892 à 1898, le Sultan essaie de rétablir l'ordre et y réussit à peu près, mais l'occupation du Touat et du Tidikelt par la France en 1900-1901 change son attitude; ses émissaires excitent les tribus au lieu de les calmer; le poste de Timimoun est attaqué par les Beraber. L'assassinat d'un Français oblige la France à une démonstration navale. En 1902 trois accords règlent la police de la frontière, y délimitent une zone neutre et y ouvrent des marchés.

-For

(2) Création du poste de Colomb-Béchar en 1903 tassa et Berguent en 1904 Organisation du territoire d'Aïn-Sefra.

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