sique de ce temps a produit de plus magnifique. Quant à la disposition des meubles sur le plancher, il est certain qu'elle ne peut évoquer, comme nous le désirons tous secrètement, au théâtre, la douce intimité du foyer. Le grand siècle a partout quelque chose de conventionnel et de guindé; et déjà le luxe, en 1666, paraissait s'allier à l'ennui. Toutefois, l'exemple des palais royaux où les sièges étaient très rares, nul n'ayant le droit de s'asseoir devant le roi (1), n'est pas absolument concluant. Il n'y a pas de raison pour supposer que les grands personnages de l'aristocratie fussent tenus d'imiter servilement en ceci la demeure royale, et au prix de leur commodité. D'ailleurs, la gravure nous a conservé certains intérieurs où se voient des tables, recouvertes de tapis, des consoles, des encoignures; des cheminées ornées de vases, de bustes; des écrans; des sièges bas auprès des chenets; des meubles de collection, d'origine italienne souvent, des faïences, des objets d'orfèvrerie, d'argenterie, d'étain; toutes sortes de miroirs, ronds, ovales, bombés, etc. (2). Voilà les éléments d'une décoration qui, avec la somptuosité obligatoire, peut fort bien acquérir, aux mains d'un homme de goût, l'aspect de l' « habité ». - (1) Il en sera de même à Versailles; les coffres serviront d'appui aux courtisans trop fatigués. Mais tout le monde devra rester debout en principe. Les princesses auront, seules, l'honneur du « tabouret ». (Voir Paul LACROIX, Institutions, usages et costumes. Paris, Didot, 1880, in-8°, p. 201.) (2) Voir Paul LACROIX, ouvrage cité, p. 562 et 563. Reste le costume. Et cette difficulté demeure certainement une des difficultés maîtresses de la mise en scène, car c'est sur cette question que les traditions. sont le plus farouchement établies. Sur le décor et l'ameublement, le parti pris de la tradition est tout négatif ici, elle a des positions acquises et nous allons lui demander des sacrifices. Tous les personnages du Misanthrope sont inscrits dans la mémoire collective du public avec un certain vétement. Il semble que ce vétement fasse corps avec eux, qu'il soit, sinon la condition de leur immortalité, du moins le complément forcé de leur caractère. Et l'on encourrait peut-être des anathèmes en prétendant priver Célimène de sa parure ou Acaste de ses fanfreluches. ll va de soi que les données du texte et de l'histoire ne sauraient en aucun cas être contredites: Alceste est « l'homme aux rubans verts »; Clitandre, avec ses grands canons et sa rhingrave; Arsinoé, avec son ajustement d'une austérité voulue; tous, jusqu'à Basque et à Dubois, ont passé à la postérité enfermés dans leur costume comme dans un écrin. Est-il utile de le modifier, de le varier? Est-ce possible? En ce qui concerne ce second point, le doute est à peine permis. Rien de plus aisé, étant donné l'esprit nouveau dans lequel la pièce est représentée, que de montrer les différents personnages sous plusieurs aspects. Il suffit, en effet, que le public ait vu une fois Alceste en vert et Acaste en rose tendre pour que la fidélité au texte soit respectée. Mais quelle que utilité, objectera-t-on, y a-t-il à innover en cette matière? Qu'ajoutera au Misanthrope la bigarrure de costumes nouveaux auxquels le public ne s'attend pas et qui risquent de le déconcerter? Peut-être plus qu'on ne pense est-il dans l'ordre des choses : huit personnages, appartenant à la plus brillante société de Paris, en un beau jour d'été où le roi est présent dans sa capitale, traînent devant nos yeux pendant les douze heures du jour sans rien changer à leur toilette? Célimène, notamment, qu'on nous présente comme une raffinée, conservera, au deuxième acte, pour recevoir, au quatrième, pour conduire son manège de coquetterie, au cinquième, pour fuir, épouvantée, devant la solitude qui« effraye une âme de vingt ans », le même équipement magnifique? Quand les portes s'ouvrent à deux battants, elle fait une entrée triomphale, sûre de sa beauté, fière de la richesse de sa parure mais est-ce vraiment le fait d'une femme d'esprit et de goût de demeurer tout le jour ainsi « en scène », « à la parade » ? Ne conviendrait-il pas que Célimène cessât par moments de réunir sur sa personne tous les attraits de la mode et d'apparaître, tel un Mascarille féminin, comme une réclame pour « la bonne faiseuse »? Passe encore pour le deuxième acte: Alceste a rencontré, au dehors, Célimène dans sa chaise et l'a raccompagnée; il est déjà assez singulier que, sortie « pour quelques emplettes », la jeune veuve se soit, dès le matin, si fastueusement empanachée. On reconnaît k que la scène des portraits ne se conçoit que jouée par une femme en grands atours; mais plus tard, au quatrième acte, qui se place vers cinq heures, et au cinquième qui a lieu dans la soirée, serons-nous condamnés à revoir toujours la méme Célimène, semblablement caparaçonnée? N'était-ce pas assez des unités de lieu et de temps? A-t-on donc inventé, pour multiplier la géne, l'unité de costume? On le croirait presque. Célimène, c'est la seule conclusion qui ait le sens commun, devrait, au minimum, adopter pour le dénouement un vetement également riche, si l'on veut, mais moins éclatant. Les « rubans verts " d'Alceste se défendent mieux, sans doute, encore qu'au premier acte une mise simple, pour les trois personnages, semble convenir mieux à l'heure de l'action et au sujet. Acaste et Clitandre, très élégants aux deuxième et troisième actes, pourraient, lorsqu'ils reviennent, au cinquième, se faire moins remarquer par leur toilette. Arsinoé, qui, au troisieme acte, est venue, en carrosse, faire une visite, surprendrait agréablement le public en se montrant, au dénouement, différemment ajustée. Philinte, avec son velours grenat, n'inspire rien moins que la bonne humeur; il a on ne sait quoi de funèbre et d'ennuyeux; on le souhaiterait, au premier acte, simplement habillé, aux autres, plus élégant, mais dans un ton bien tranché, s'opposant par exemple avec le vert, un bleu foncé ou un violet, ou un rouge sombre. Quant à Éliante, son vetement, dans la mise en scène actuelle, parait un non-sens. Voici une jeune femme, riche et bien née selon toute apparence, comme Célimène; et on nous la présente pauvrement vêtue, comme la cousine sans fortune qu'on garderait dans la maison pour y tenir un office de gouvernante! Pendant que Célimène éblouit tout le monde, Éliante s'efface au point d'abdiquer presque le droit qu'a toute femme de se parer; pourquoi ce contraste? On s'accorde à reconnaître que, de ces deux femmes, l'une étant folle et l'autre sage, la sage doit se signaler par la réserve de sa mise; est-ce une raison pour s'abstenir de toute élégance? A côté de Célimène, éclatante, on souhaiterait voir une Eliante ayant, comme nous dirions aujourd'hui, simplement du chic ». Il est fâcheux de recouvrir la raison d'un manteau sans attrait; à la scène des portraits où-ne l'oublions pas Éliante reçoit au même titre presque que sa cousine, il faudrait que son habillement témoignât de quelque étude et offrît un ensemble de nature à plaire; par contre, aux quatrième et cinquième actes, on s'accommoderait volontiers de plus de simplicité. Quant à Oronte, dont on fait généralement un grand seigneur ridicule, somptueusement mis, on regrette encore de le voir, au dénouement, réapparaître, tout doré de pied en cap, sous le même costume qu'au premier acte. Ces changements paraîtront peut-être arbitraires; ils résultent pourtant tout naturellement de la logique des choses si l'on veut bien songer que le principe |