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de l'île Notre-Dame, au quai d'Alençon. « Au plainpied des grands appartements du premier étage, du côté de la rivière, est un jardin en terrasse, qui paraît beaucoup plus grand qu'il ne l'est en effet par l'aspect extérieur qui l'environne et qui peut être regardé comme une des vues la plus riante et la plus intéressante qui soit à Paris » (Blondel). Tout à côté, vers le grand bras du fleuve, c'était l'hôtel Bretonvillier avec son corps de bâtiment en arc, encerclant la moitié d'un jardin fort surélevé, presque suspendu, qui se continuait vers la pointe de l'île. La vue, absolument dégagée de toutes parts, en prolongeait indéfiniment l'étendue. En plein Marais, rue du Chaume et rue Vieille-du-Temple, ce sont les hôtels de Soubise et de Rohan qui frappent le plus par le développement des bâtisses, la pureté du style et le magnifique jardin commun qui les relie. Au faubourg SaintGermain, on remarque l'hôtel de Luynes bâti vers 1650 pour Marie de Rohan-Montbazon, duchesse de Chevreuse, avec son jardin de 26 toises sur 45, richement orné de parterres, bosquets, cabinets de verdure, etc., et l'hôtel de Conty, rue Saint-Dominique, avec son somptueux jardin sur les rues de Bourgogne et de l'Université. Une terrasse avec un pavillon dominait la rue de l'Université : « La situation en est très agréable, étant élevée sur une terrasse contenue par un talus de gazon. » Le plus somptueux était sans doute l'hôtel de Condé, immense ville dans la ville, occupant un vaste terrain rues de Condé et

Monsieur-le-Prince. Le grand jardin venait finir sur la rue de Vaugirard par une terrasse.

En réunissant ces renseignements épars, en construisant une demeure imaginaire faite de la cour Condé, du bâtiment Longueville, du jardin Lambert ou Bretonvillier, on est presque sûr d'offrir à Célimène un logis digne d'elle. La reconstitution est sans doute tout arbitraire: mais nous ne poursuivons pas ici des recherches scientifiques et ne sommes aucunement liés par l'obligation de ne connaitre que le vrai. Notre but est de recréer, autour de personnages isolés, l'atmosphère qui, dans la vie courante, entourait ceux de leurs contemporains qu'on pouvait considérer comme leur ressemblant. Les types de Molière nous apparaissent aujourd'hui comme des chênes splendides, se profilant sur un horizon désert: la forêt nourricière semble avoir été fauchée autour d'eux. Et c'est cette forêt vivante, avec ses murmures, son odeur, sa couleur qu'il faut ressusciter, pour que les géants séculaires y reprennent la royauté dont on les avait dépouillés.

L'arrangement matériel du décor, qui dérive du principe très simple : « Célimène n'est chez elle que dans une demeure digne, en 1666, des femmes de son rang", peut naturellement varier à l'infini. Il en sera proposé un, plus loin, qui n'a rien de définitif. Ce pour quoi il est cependant permis de réclamer une adhésion sans réserve, c'est l'idée fondamentale qui lui sert de base de toute nécessité, autour de Céli

mène, doit surgir le monde familier du logis. Il faut que la mise en scène lui restitue le cadre qui lui manquait et que le public soit forcé, en toute bonne foi, de convenir que cette restitution est bien un acte de justice et non le résultat d'une fantaisie.

L'habitation, au surplus, si consciencieuse qu'en soit la figuration scénique, ne suffirait pas à produire l'effet souhaité. L'ameublement, un ameublement minutieusement étudié, doit fournir au décor de la chaleur et presque de la vie. On sait que le dixseptième siècle se montrait assez chiche de décoration mobilière; les riches lambris, les médaillons, les étoffes de prix tendues dans des encadrements, les glaces lourdes de dorures, les tableaux de maîtres, les tapisseries se rencontraient sans doute partout mais il semblait que l'attention fût toute portée, si l'on peut dire, vers l'ornementation des parois ou des plafonds, et que celle du sol fût encore rudimentaire. Il est manifeste que, dans ce domaine, le goût a graduellement simplifié la décoration murale, au point de la remplacer parfois, de nos jours, par un dénuement voulu, pour charger la partie rigoureusement mobilière de l'ameublement. Question de confort sans doute, de laquelle nos aïeux ne prenaient aucun souci.

Quoi qu'il en soit, il est un premier point acquis: les appartements où Célimène reçoit témoignent de son opulence, de sa haute naissance on y verra donc, aux murs et au plafond, tout ce que l'art clas

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