immeuble à soi; ce n'est d'ailleurs pas d'une simple habitation qu'il s'agit, mais d'un vaste bâtiment, avec cour antérieure, communs, jardin à l'arrière, encadré ou non d'ailes suivant les cas. Les hôtels de ce genre sont nombreux à Paris au temps où le Misanthrope apparaît pour la première fois sur la scène. Quelques-uns subsistent encore et l'on rêverait volontiers à la scène des portraits lorsque le hasard d'une visite à travers Paris vous conduit, par exemple, dans le salon de Mme de Sévigné, rue des Francs-Bourgeois. La demeure doit comprendre, en effet, au fond de la vaste cour d'entrée, qui est séparée de la rue par un haut portail et par les communs, un rez-dechaussée surélevé où l'on accède par quelques degrés formant perron; ce rez-de-chaussée avec ses vastes fenêtres voûtées, ses immenses salles, fait sans doute penser à quelque palais officiel plutôt qu'à un domicile privé. Il est manifeste qu'une jeune femme courtisée, élégante et gracieuse, n'y réunit pas ses amis tous les jours; ce sont des suites de salons qui se prêtent aux bals, aux fêtes, aux grandes réceptions sitôt qu'on y est moins d'une centaine, c'est le désert. Le rez-de-chaussée contient, en plus de ces suites d'appartements à la décoration fastueuse et solennelle, une pièce d'un usage journalier, la salle à manger. Elle ouvre presque toujours sur le jardin, se termine souvent en rotonde donnant sur un perron et occupe en général le centre du bâti ment, le point d'où la vue embrasse la plus grande étendue. Le premier étage sert principalement à l'habitation, et à la réception intime accessoirement. Les chambres y sont assez vastes, hautes surtout. La mode n'est pas encore aux petits appartements exigus où se plurent les derniers Bourbons. Auprès de ces pièces, une masse de réduits incommodes, arbitrairement distribués, souvent sans air ni lumière; enfin, quelques pièces réservées à la vie de tous les jours, sortes de lieux de réunion familière, ressemblant sans doute à ce boudoir de Mme de Grignan que Mme de Sévigné appelait « votre petit grippeminaud ». Dénommées cabinets, ces pièces pouvaient servir, soit de bibliothèque (ordinairement « l'arrière-cabinet »), soit de point de rendez-vous commun et journalier (le « cabinet paré »), soit encore de salon pour une réunion peu nombreuse (le grand cabinet »). Le cabinet paré, richement décoré, mais sans recherche de l'apparat, ne ressemblait évidemment pas à quelque confortable salon de nos jours, où la préoccupation du bien-être fait quelquefois oublier les exigences du goût. Pourtant, au milieu des tentures, des objets d'art (1), des meubles de prix, l'atmosphère s'y fait douce, accueillante. Et (1) L'habitude prise, dès le dix-septième siècle, de placer au bas des reproductions d'oeuvres d'art la mention : " L'original est dans le cabinet... etc. » atteste que la coutume de réunir en une salle ainsi appelée les collections rares, était constante. l'on y voit volontiers Célimène au milieu de sa cour. Du côté du jardin, ce premier étage se prolonge sur une aile, parfois deux. On y trouve une galerie, avec des tableaux, une salle de bal, un oratoire, parfois une grande chapelle; souvent les pièces principales, au lieu d'ouvrir sur la rue par une fenêtre, donnent sur une terrasse à colonnades d'où part un escalier extérieur conduisant au jardin. Ce dispositif est surtout recherché sur les points où la vue sur Paris est étendue; ces terrasses, avec leurs plantes grimpantes, sont appréciées pour leur fraîcheur et deviennent des belvédères pour l'été. Enfin, le jardin lui-même, avec quelques hautes futaies, frappe surtout par l'arrangement méthodique des parterres, la distribution tout artificielle des agréments de verdure ». « Le jardinage n'est pas plus exempt de la proportion des formes, écrit Blondel (1), que toutes les autres parties de l'architecture; la distribution d'une salle de verdure, d'un salon, d'un cabinet, celle des parterres, des esplanades, des vertugadins, des talus, des gradins et généralement toutes les parties qui composent un jardin de propreté doivent être soumises aux règles de l'art et aux lois du bon goût qui exigent une simplicité noble dans la composition d'un plan. C'est pourquoi, à l'exception des petites pièces qui sont aux bosquets ce que les garde-robes sont aux princi de mou pales pièces des appartements, il faut peu vement dans les contours mais seulement de la variété et de l'opposition dans la hauteur des palissades et l'on doit, autant que possible, affecter de l'inégalité dans le plain-pied des salles, soit en pratiquant des boulingrins, soit en élevant des vertugadins, des talus, des gradins ainsi qu'il s'en remarque dans les jardins exécutés sur les dessins du fameux Le Nôtre, entre lesquels celui des Tuileries à Paris et le grand parterre du Tibre à Fontainebleau sont capables d'inspirer le goût et la simplicité qu'il convient d'observer dans le jardinage en général. Blondel écrivait cent ans après le Misanthrope: mais les principes de l'art horticole n'avaient pas varié et beaucoup de jardins parmi ceux dont son ouvrage donne les plans étaient encore en 1752 ce qu'ils étaient en 1660. Ces jardins privés, scrupuleusement entretenus, faisaient la parure de certains quartiers. Les terrasses en étaient généralement placées à des angles de rues d'où la vue pouvait s'étendre. On devine le pittoresque et la couleur du spectacle que devait offrir la ville, aperçue ainsi d'un point heureusement choisi fouillis inextricable de ruelles, de palais et d'églises, emmelés de masses de verdure ou de vastes espaces vides, apparition fugitive du fleuve entre deux monuments, ou auprès d'une tour, c'était toute la vie de la cité qui s'étalait, dans sa grâce et sa beauté, une beauté dont se rend à peine compte : notre temps de civilisation outrée, mais qu'une vieille gravure, silencieusement contemplée au fond de quelque arrière-boutique, suggère encore aujourd'hui à un esprit non prévenu. Pour avoir une idée approximative de ce qu'eût pu être la demeure de Célimène, il y a intérêt à passer rapidement en revue les hôtels qui, au dernier tiers du dix-septième siècle, étaient, à Paris, considérés comme dignes d'admiration. Voici, par exemple, l'hôtel de Toulouse et son vaste parc sur la rue de la Vrillière on cite ses parterres à la française, les bosquets surélevés qui le terminent au fond et l'adroite perspective qui en double, pour le regard, la profondeur; l'hôtel du Châtel, rue de Richelieu, avec son jardin de huit arpents, ses jets d'eau, ses boulingrins, sa serre; place Vendôme, on remarque l'hôtel Croizat, dont la galerie ouvre sur une magnifique terrasse; dans la rue Saint-Thomas-du-Louvre, c'est l'hôtel de Longueville qui retient l'attention : comme on a pu prétendre, sans l'ombre de raison d'ailleurs, que Célimène était Mme de Longueville, cette demeure-ci offre un attrait particulier. Bâti sur les dessins de Métézeau, l'immeuble avait été précédemment l'hôtel de Lavieuxville jusqu'en 1620, puis l'hôtel de Luynes, puis l'hôtel de Chevreuse, enfin l'hôtel d'Épernon. Certaines pièces décorées par Mignard étaient fort admirées des connaisseurs. Un autre hôtel, particulièrement bien situé, était l'hôtel du Président Lambert, occupant la pointe orientale |