Cet événement inspira des craintes à El-Montacer, seigneur de Touzer, qui, s'étant méfié de son prisonnier Ibn-el-Khalef, sle fit mourir dans le lieu où on le détenait et de la manière la plus cruelle. Toutes les villes du Djerîd rentrèrent ainsi sous l'autorité du -sultan. LA VILLE DE CABES EST INCORPORÉE DANS LE ROYAUME DU SULTAN. Pendant ce siècle et une partie du siècle dernier, Cabes, ville de l'empire hafside, était demeurée au pouvoir des BeniMekki, famille célèbre dont nous retracerons, dans un chapitre spécial, l'origine, la généalogie et l'histoire. Leur autorité à Cabes commença de la manière suivante : en l'an 6231 (1226), quand l'émir Abou-Zékérïa Ier reçut le commandement de cette ville, les Beni-Mekki entrèrent à son service et lui montrèrent le plus grand dévouement. Invités par lui à le seconder contre son frère Abou-Mohammed-Abd-Allah, et à le soutenir dans la révolte qu'il méditait et pour laquelle il avait rassemblé des troupes, ils y consentirent et le reconnurent pour souverain. Devenu maître de l'Ifrîkia, Abou-Zékérïa récompensa cette famille en lui accor"dant le droit de présider le conseil administratif de Cabes. Plus tard, l'empire fut affaibli par de fréquentes révoltes et par la perte de ses provinces occidentales; l'autorité du gouvernement ne se fit plus sentir dans les régions éloignées de la capitale, et les Beni-Mekki visèrent à l'indépendance. Pour accomplir ses projets ambitieux, cette famille ne cessa de susciter des révoltes. et d'aider les insurgés à porter la guerre jusque sous les murs de Tunis; et cela surtout pendant que les Hafsides étaient trop accablés d'affaires pour s'occuper soit d'elle, soit des autres 1 Il faut lire 624; voy. t., page 297. 2 Le texte arabe porte bi-thar; il faut probablement lire bi-ithar. familles du Djerîd. Cet état de choses avait continué pendant de longues années, favorisé par le démembrement de l'empire et par l'acharnement que le prince de Bougie et de Constantine déployait contre la capitale. Quand le sultan [Abou-Yahya-Abou-Bekr] se fut rendu maître des provinces de l'Ifrîkïa, de graves occupations l'empêchèrent de songer aux Beni-Mekki: il eut surtout à combattre le seigneur de Tlemcen qui se plaisait à lancer des armées contre Tunis, à mettre le siége devant Bougie, à envoyer en Ifrîkïa des troupes abd-el-ouadites afin de soutenir les Arabes dans leurs révoltes et les autres princes hafsides dans leurs prétentions au trône. A cette époque le commandement de Cabes appartenait à Abd-el-Mélek-Ibn-Mekki - Ahmed - Ibn - Abd-el- Mélek, auquel son frère Ahmed servait de coadjuteur. Ces deux chefs entretenaient des liaisons secrètes avec Abou-Tachefîn, seigneur de Tlemcen, et ils ne cessaient de l'encourager à marcher sur Tunis. Quelquefois même, ils profitaient de l'éloignement du sultan pour s'emparer de la capitale, ce qui arriva effectivement, quand ils y amenèrent Abd-el-Ouahed-Ibn-el-Lihyani 2. La prise de Tlemcen par le sultan Abou-'l-Hacen et la chute des Beni-Zîan donnèrent au sultan Abou-Yahya-Abou-Bekr assez de loisir pour s'occuper des chefs djerîdiens, ces esprits turbulents qui passaient leur vie dans la rébellion. L'expédition qui le mit en possession de Cafsa remplit d'effroi les Beni-Mekki, et leur chef Ahmed courut auprès du sultan Abou-'l-Hacen pour implorer son intercession. Avant de s'y présenter, il eut la précaution de faire rappeler au souvenir de ce monarque l'accueil hospitalier et les riches cadeaux que la famille Mekki avait faits à une dame de la maison royale des Merinides et à toute son escorte pendant qu'elle traversait Cabes avec la caravane qui se rendait à la Mecque. Aussi, trouva-t-il Abou-'l-Hacen bien disposé en sa faveur, et il eut le plaisir de le voir écrire une lettre 1 Dans le texte arabe, il faut lire : Beni-Abi-Hafs. 2 Voy. t. 1, p. 476. dans laquelle il se prévalut de son rang comme sultan et de son titre de gendre pour invoquer la clémence de son beau-père, Abou-Yahya-Abou-Bekr, en faveur du seigneur de Cabes. Le sultan hafside ayant pris connaissance de cette communication, renonça à ses projets de vengeance et pardonna aux Beni Mekki. Après la mort d'Abou-Yahya-Abou-Bekr, le torrent du désordre et de la rébellion déborda encore; l'empire se démembra de nouveau, et le seigneur de Tunis fut hors d'état de mettre les insurgés à la raison. Les Beni-Mekki et les chefs djeridiens reprirent leurs habitudes d'indépendance; et, au refus d'obéissance et de tribut, ils joignirent l'audace d'appuyer le seigneur de Bougie dans ses guerres contre le royaume de Tunis. Quand notre seigneur Abou-l-Abbas eut rétabli l'unité de l'empire et soumis une grande partie des forteresses qui s'étaient révoltées, les gouverneurs des places fortes du Djerîd s'écrivirent pour se faire part de leurs appréhensions et pour organiser une vigoureuse résistance à la catastrophe qui les menaçait. Abdel-Mélek-Ibn-Mekki, rompu depuis longtemps aux habitudes de rébellion et partisan déclaré de tous les révoltés, se distingua parmi ses collègues, par la fermeté de sa conduite. La mort de son frère et coadjuteur Ahmed l'avait rendu seul maître de Cabes, depuis l'an 765 (1363-4). A la suite d'une correspondance avec les autres chefs, il fut décidé que l'on répandrait de l'argent parmi les Arabes, afin de les pousser contre le sultan, et qu'ils offriraient leur appui au seigneur de Tlemcen pour l'encourager à tenter la conquête de l'Ifrîkïa. .. De tous côtés, on répondit à l'appel des séditieux, et le seigneur de Tlemcen auquel ils avaient expédié un courrier, leur fit espérer son concours. Pendant que ce prince leur prodiguait des fausses promesses, le sultan Abou-'l-Abbas s'occupait de préparer avec précaution les moyens de châtier ses ennemis. Quand il eut pris toutes ses mesures, il vainquit les Aulad-Abi-'l-Leil qui s'étaient engagés à protéger les révoltés; il s'empara ensuite de Cafsa, de Touzer et de Nefta. On reconnut alors que le seigneur de Tlemcen n'était pas assez puissant pour les aider, et Abd-el-Mélek-Ibn-Mekki se hâta d'écrire au sultan et de lui offrir, avec sa soumission, tous les arriérés de l'impôt qu'il lui devait. Il demanda, en même temps, l'envoi d'un officier qui serait autorisé à recevoir cet argent. Le sultan lui expédia un commissaire et repartit pour sa capitale, afin d'y attendre le résultat. Ibn-Mekki différa, sous divers prétextes, l'exécution de ses engagements et finit par renvoyer l'officier avec de belles paroles. Bientôt après, ses affaires prirent une mauvaise tournure, et les Beni-Ahmed, tribu debbabienne qui habitait la campagne de Cabes, se mirent en révolte et marchèrent contre lui. Ils commencèrent par investir sa ville et, ayant obtenu de l'émir Abou-Bekr, seigneur de Cafsa, l'appui d'un corps de troupes, commandées par un caïd, ils pressèrent le siége avec une grande activité. Ibn-Mekki passa alors à l'improviste chez plusieurs habitants de la ville qu'il soupçonnait d'être en correspondance avec l'ennemi et leur ôta la vie. Par cette action il indisposa le peuple et faillit se perdre, mais il parvint ensuite à gagner une bande de brigands arabes de la tribu des Beni-Ali, et, par la promesse de leur donner autant d'argent qu'ils voudraient, il les décida à surprendre de nuit le camp des assiégeants. Ce coup de main fut si bien dirigé que l'armée combinée se dispersa après avoir perdu beaucoup de monde. La nouvelle de cet événement décida le sultan à marcher contre Cabes. Dans le mois de Redjeb, 784 (oct.-nov., 1379), il forma un camp sous les murs de la capitale et, après y avoir passé quelques jours afin de solder ses troupes et d'en faire l'inspection, il donna à ses alliés, les Aulad-Mohelhel, et à leurs confédérés de la tribu de Soleim le temps d'arriver. Il se porta alors sur Cairouan où il compléta toutes ses dispositions, et de là il marcha sur Cabes. Les chefs des Debbab, tribu soleimide qui fréquentait les environs de cette ville, s'empressèrent d'aller à sa rencontre pour faire leur soumission. Parmi eux se trouvèrent Khaled-Ibn-Sebâ-Ibn-Yacoub, cheikh des Mehamîd, et son cousin, Ali-Ibn-Rached. Encouragé par leurs représentations, il accourut pour mettre le siége devant Cabes après avoir fait sommer Ibn-Mekki de se rendre. Ce chef astucieux renvoya les messagers avec des assurances de repentir et de soumission, puis, ayant fait emballer ses trésors et charger ses montures, il quitta la ville et passa chez les Debbab. Son fils Yahya l'y accompagna ainsi que son petit-fils, Abd-el-Ouahed-Ibn-Mekki, dont le père était mort depuis plusieurs années. Le sultan se hâta d'arriver à Cabes où il fit son entrée, dans le mois de Dou-'l-Câda 781 (février-mars 1380), et s'étant aussitôt emparé des maisons et des palais appartenant à IbnMekki, il accueillit la soumission des habitants et leur donna pour gouverneur un de ses officiers. Déjà, un peu avant son arrivée, il avait rencontré une députation qui lui apportait la soumission d'Abou-Bekr-Ibn-Thabet, seigneur de Tripoli; aussi, quand il eut occupé Cabes, il envoya des agents auprès d'IbnThabet pour éprouver son obéissance et obtenir la ratification de ses promesses. En quittant Cabes, Ibn--Mekki passa chez les Arabes nomades, où il mourut au bout de deux ou trois jours. Son fils et son petit-fils se rendirent à Tripoli et, ne pouvant obtenir d'Ibn-Thabet la permission d'y entrer, ils allèrent à Zenzour, village qui dépend de cette ville, et se mirent sous la protection des Djouari, population debbabienne. Le sultan ayant effectué la conquête de Cabes et terminé toutes ses dispositions, reprit le chemin de la capitale. Il y arriva vers le commencement de l'an 782 (avril-mai 1380) et reçut une ambassade qui lui apporta, de la part d'Ibn-Thabet, une quantité d'effets et d'esclaves comme équivalent de la contribution imposée sur ce chef. Quand il se fut réinstallé dans Tunis, il accueillit favorablement une députation envoyée par les AuladAbi-'l-Leil, qui vint lui déclarer que cette tribu s'abandonnait à à sa merci et à sa miséricorde. Leur cheikh, Soula-Ibn-Khaled, se présenta alors et fit sa soumission à l'exemple d'Abou-Sânouna, cheikh des Hakim, qui s'y était rendu avant lui. Sur la demande du sultan, ils lui donnèrent leurs fils comme ôtages et, depuis ce temps, ils lui sont restés fidèles ainsi que la fortune et la victoire. Nous sommes maintenant au commencement de F'année 783 (avril 1381). |