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lui et son souverain; les scorpions de la calomnie vinrent ramper autour de sa couche et troubler son repos; dégoûté enfin de sa position, il s'enfuit à Constantine avec l'intention de pousser Abou-l-Abbas à s'emparer de Tunis. Ce prince lui fit un trèsbon accueil et promit d'envahir l'Ifrikïa aussitôt qu'il aurait terminé avec Bougie. On verra plus loin que les hostilités avaient éclaté entre lui et son cousin, le seigneur de cette ville.

Après la fuite d'Abou-Abd-Allah-Ibn-Tafraguin, le sultan Abou-Ishac tourna encore son attention vers l'état de son royaume et prit pour chambellan Ahmed-Ibn-Ibrahim-el-Baleki', membre du corps des intendants provinciaux et ancien serviteur d'Abou-Mohammed-Ibn-Tafraguîn. Il confia l'administration de la guerre et le commandement de l'armée à Mansour-Sertha, affranchi d'origine européenne. Devenu d'un accès facile pour les grands dignitaires de l'empire et pour les employés du gouvernement, il s'entretenait volontiers avec eux et même avec les percepteurs des impôts et les principaux domestiques du palais; dans ses communications avec tous ses officiers, il continua jusqu'à sa mort de se passer d'intermédiaire.

---- MORT DE SON

LE SULTAN ABOU~'L-ABBAS S'EMPARE DE BOUGIE,
COUSIN [ABOU-ABD-ALLAH], SEIGNEUR DE CETTE VILLE.

L'émir Abou-Abd-Allah, devenu enfin maître de Bougie, y déploya une telle sévérité qu'il encourut la réprobation générale. Ses sujets indignés le prirent en haine et rapportèrent leurs affections sur son cousin Abou-'l-Abbas, seigneur de Constantine, dont la conduite était sage, le caractère droit et l'administration paternelle, Ces deux princes avaient dejà eu, du vivant de leurs pères, plusieurs disputes au sujet de la frontière de leurs états respectifs, et il en était résulté des troubles et des.

1 Variante: Yaleki.

2 Variante: Seridja.

conflits à main armée. Abou-'l-Abbas, pendant qu'il vivait à l'étranger et qu'il déployait, auprès de son protecteur, le sultan Abou-Salem, les qualités les plus louables, avait souvent eu occasion de réprimander son cousin dont les extravagances choquaient tout le monde. Ses bons conseils ne servirent qu'à aigrir le cœur d'Abou-Abd-Allah qui, étant enfin rentré en possession de Bougie, commença, de propos délibéré, à souffler encore les brandons de la discorde. Il y réussit au gré de ses désirs, mais Yacoub-Ibn-Ali, qui s'était engagé à le soutenir, lui refusa son concours, passa du côté d'Abou- 'l-Abbas et mit en déroute un corps de troupes qui était sorti de Bougie pour insulter le territoire de Constantine.

de

Dans une seconde expédition, Abou-Abd- Allah se mit luimême en campagne avec les Aulad-Mohammed et un corps troupes zenatiennes, après avoir vu les Aulad-Sebâ-Ibn-Yahya abandonner son drapeau. Le sultan Abou-l-Abbas mit cette armée en déroute, la poursuivit depuis Setîf jusqu'à Tagrert et ne repartit pour Constantine qu'après avoir parcouru et dévasté la province de Bougie. Les habitants de cette ville cédèrent enfin à la haine qui les animait contre leur souverain, et le voyant rentrer chez eux en fugitif, ils invitèrent secrètement le sultan Abou-l-Abbas à se mettre encore en campagne. Il leur promit de marcher l'année suivante sur Bougie, et effectivement, en l'an 767 (1365-6), il réunit à son armée les troupes de ses alliés douaouidiens, les Aulad-Mohammed, et se dirigea sur cette ville. Les Aulad-Sebâ vinrent aussi se joindre à lui, eux qui, par ancienne habitude et par esprit de voisinage, avaient toujours soutenu le gouvernement de Bougie.

Abou-Abd-Allah espéra conjurer l'orage par des propositions de paix et, dans ce but, il se rendit à Lebzou avec une petite bande d'amis dévoués. Le lendemain, au point du jour, les troupes d'Abou-'l-Abbas arrivèrent à l'improviste, culbutèrent les partisans de l'émir de Bougie et s'emparèrent de son camp. Ce fut en vain que le malheureux prince essaya de regagner sa ville; poursuivi de près, il fut bientôt atteint, et il mourut criblé de coups de lances. Le vainqueur poussa en avant et, le 19

Chaban, 767 (3 mai 1366), il parut devant Bougie, pendant qu'on y célébrait la prière du vendredi.

Comme je demeurais alors dans la ville, je sortis au devant de lui avec une députation des notables. Il m'accueillit de la manière la plus gracieuse et me donna à entendre qu'il serait heureux de m'avoir à son service. Je restai près d'un mois à la cour de ce monarque qui était maintenant devenu maître de tous les états dont se composait le royaume de son aïeul Abou-Zékérïa 1, mais je concus alors des craintes pour ma sûreté et je démandai l'autorisation de m'éloigner. Le sultan y consentit avec une grâce, une bonté et une générosité extrêmes. J'allai sur le champ trouver Yacoub-Ibn-Ali et, de chez lui, je me rendis à Biskera, où Ibn-Mozni me donna l'hospitalité. Je restai dans cette ville jusqu'à ce que les nuages de l'adversité se fussent dissipés, et ayant ramené la fortune qui m'avait abandonné, je m'adressai encore au sultan Abou-'l-Abbas, treize ans après l'avoir quitté, et j'obtins l'autorisation d'aller le voir. Il me reçut avec de grands égards et daigna verser sur moi quelques rayons de ce bonheur dont il etait toujours entouré. Je reparlerai de ceci dans mon autobiographie 2.

ABOU-HAMMOU ET LES BENI-ABD-EL-OUAD MARCHENT CONTRE BOUGIE. LEUR DÉFAITE.

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ILS PERDENT TEDELLIS.

L'émir Abou-Abd-Allah s'étant trouvé dans l'impossibilité de soutenir en même temps une guerre entre son cousin Abou-'lAbbas et une autre contre les Beni-Abd-el-Ouad, auxquels il avait enlevé Tedellis, s'était décidé à faire la paix avec ceux-ci en leur rendant la ville dont il venait de faire la conquête. La place fut en conséquence remise au général de l'armée qui en faisait lesiége. A la suite de cet arrangement, l'émir Abou-Abd-Allah envoya une ambassade à Tlemcen, auprès d'Abou - Hammou,

4 Voy. t. 1, p. 418.

2. Voy. t. 1, pp. XLV, LI, LIL.

sultan des Beni-Abd-el-Ouad et, sur la demande de ce prince, il lui donna sa fille en mariage. La fiancée emporta avec elle un trousseau magnifique et voyagea avec une escorte digne de sa haute naissance.

Lors de la prise de Bougie et de la mort d'Abou-Abd-Allah, tué sur le champ de bataille, Abou-Hammou en fit paraître un vif mécontentement et, sous le prétexte de venger son beaupère, il organisa une expédition contre Bougie. En quittant Tlemcen, il emmena avec lui des forces imposantes; on y remarqua plusieurs milliers de troupes abd-el-ouadites, les divers corps de l'armée, la milice et des nomades arabes'.

Pendant qu'il s'approchait du territoire de Hamza, les BeniYezîd, commandés par Abou- 'l-Leil-Ibn-Mouça-Ibn-Zoghli, reculèrent devant lui et allèrent prendre position sur cette partie de la chaîne de montagnes occupées par les Zouaoua qui domine la plaine de Hamza. Sommé de faire sa soumission, le chef arabe répondit par l'arrestation des envoyés. Parmi eux se trouva Yahya, petit-fils d'Abou-Mohammed-Saleh, qui, ayant abandonné le parti du sultan Abou-'l-Abbas pour celui d'Abou-Hammou, avait reçu de celui-ci la commission de guetter et de surprendre Abou-'l-Leil. Cette tâche paraissait d'autant plus facile que Yahya et Abou-'l-Leil étaient voisins, originaires du même pays. Le chef yezidien fit aussitôt trancher la tête à son ennemi et l'envoya à Bougie. Ne pouvant soumettre un tel adversaire, AbouHammou passa outre et alla camper sous les murs de Bougie. Pendant plusieurs jours il dirigea des attaques contre la ville et, ayant rassemblé des ouvriers, il fit construire des machines de siége.

Le sultan Abou-'l-Abbas s'était enfermé dans Bougie, mais son armée, sous les ordres de Bechir l'affranchi, restait en observation à Tagrert. Un cousin d'Abou-Hammou, nommé AbouZian-Ibn-Othman-Ibn-Abd-er-Rahman, se trouvait alors dans le camp hafside. Ayant quitté le Maghreb pour des raisons que

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nous indiquerons ailleurs, ce prince s'était rendu à la cour d'Abou-Ishac, à Tunis, et sa haute naissance lui avait valu l'accueil le plus distingué de la part du chambellan Abou-Mohammed-Ibn-Tafraguîn. L'émir Abou-Abd-Allah s'étant emparé de Tedellis, l'invita à venir le trouver, voulant lui confier le gouvernement de cette place et tenir ainsi en échec le sultan AbouHammou. De cette manière il espérait se garantir contre les Beni-Abd-el-Ouad et avoir toute liberté d'envahir le territoire territoire de Constantine. Abou-Zian accepta cet offre avec empressement et quitta Tunis, mais, en passant par Constantine, il fut arrêté par le sultan Abou-'l-Abbas et retenu dans une captivité honorable. Abou-'l-Abbas, devenu maître de Bougie et informé qu'Abou-Hammou venait pour l'attaquer, leva les arrêts de son prisonnier et, l'ayant comblé de cadeaux et de prévenances, il lui fournit les insignes de la royauté, le reconnut comme souverain de Tlemcen et le fit partir avec l'armée de Bechîr. Il espérait que les Beni-Abd-el-Ouad abandonneraient Abou-Hammou pour Abou-Zîan, sachant que ce peuple était fatigué de la tyranie de leur souverain et que les Zoghba, Arabes du Maghreb central qui s'étaient joints aux troupes de Tlemcen, commençaient à craindre les conséquences de leur démarche. En effet, ces Arabes entrèrent en négociations avec Abou-Zian et prirent l'engagement de trahir leurs alliés aussitôt que le combat serait engagé.

Le 5 du mois de Dou-'l-Hiddja, 767 (15 août 1366), pendant que les Abd-el-Ouadites dirigeaient une attaque contre Bougie, les Zoghba lâchèrent pied et entraînèrent ainsi la défaite des assiégeants. Les défilés qui avoisinent la ville s'encombrèrent tellement de fuyards que beaucoup de monde y mourut écrasé. Les bagages, les femmes, les armes, les bêtes de somme et une quantité d'objets de toute espèce tombèrent au pouvoir des Hafsides. Les trésors d'Abou-Hammou eurent le même sort, et ses femmes, ayant cherché la protection d'Abou-'l- Abbas, furent livrées par lui à Abou-Zian. Abou-Hammou fut renversé de cheval en essayant de fendre la presse, mais il parvint à s'échapper, grâce au dévouement de son vizir Amran-Ibn-Mouça

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