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jusqu'à Bougie, où un petit nombre seulement put se réfugier [avec leur général]. Les débris de cette armée se rendirent alors auprès de leur souverain.

Le sultan Abou-Einan apprit la nouvelle de cette défaite avec une colère extrême : il ouvrit le bureau de la solde, envoya ses vizirs dans les provinces pour lever des troupes, passa son armée en revue et remédia à tout ce qui manquait dans l'équipement du soldat. Sur la plainte de Mouça-Ibn-Ibrahîm, qui accusa Abd-Allah-Ibn-Ali, commandant de Bougie, d'avoir négligé de lui porter secours, il infligea à cette officier un châtiment sévère et le remplaça par Yahya-Ibn-Meimoun-Ibn-Amsmoud. Quelques mois se passèrent avant qu'il eut terminé l'organisation de son armée.

Pendant ces péparatifs, le prince Abou-Yahya-Zékérïa s'était rendu à Tunis, par l'ordre d'Abou-'l-Abbas, pour demander secours au sultan Abou-Ishac; mais il ne put ensuite rejoindre son frère à cause des graves événements qui étaient survenus dans l'intervalle. Abou-Einan, ayant enfin rassemblé toutes ses troupes, fit partir le vizir Farès-Ibn-Meimoun- Ibn-Ouedrar à la tête de l'avant-garde et, dans le mois de Rebîa 758 (mars ou avril 1357), il se mit en campagne avec le reste de l'armée. Arrivée près de Constantine, à la suite d'une marche très-rapide, il trouva cette ville investie par les troupes d'Ibn-Ouedrar. Les habitants, frappés de terreur à l'aspect de l'armée immense qui remplissait toute la campagne, abandonnèrent leurs postes et passèrent par bandes du côté des Mérinides. Le sultan Abou-'lAbbas s'enferma dans la citadelle et obtint une capitulation honorable. Abou-Einan le reçut avec les égards dus à un prince aussi distingué et lut fit dresser une tente à côté de la sienne. Quelques jours plus tard, il jugea convenable de rompre le traité qu'il avait conclu, et de faire embarquer son hôte pour Ceuta afin d'y être gardé à vue.

Sur ces entrefaites, un détachement de son armée occupa la ville de Bône, d'où les fonctionnaires du gouvernement tunisien s'étaient empressés de s'éloigner. Devenu maître de Constantine, Abou-Einan y installa comme gouverneur Mansour-Ibn-Kha

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louf, cheikh des Beni-Yaban, tribu mérinide, et ensuite il fit sommer Ibn-Tafraguîn de reconnaître son autorité et de lui livrer la ville de Tunis. Le chambellan renvoya les porteurs de ce message et plaça son sultan, Abou-Ishac le moula', à la tête d'une armée composée d'Aulad-Abi-'l-Leil, d'Arabes, alliés de cette tribu, et d'un corps de troupes et de milices qu'il avait déjà eu soin d'organiser et d'équiper. Il rentra ensuite à Tunis pour y attendre l'issue de cette démonstration.

Le sultan Abou-Einan se disposait à marcher en personne contre Tunis quand une députation des Mohelhel vint presser son départ. [Changeant alors d'idée], il fournit à ces envoyés un corps d'armée commandé par Yahya-Ibn-Rahhou-Ibn-TachefînIbn-Môti, chef des Tîrbîghîn, tribu mérinide, et président de son conseil d'état. Un autre corps d'armée fut embarqué pour la même destination, dans une flotte dont la direction fut confiée à Mohammed-Ibn-Youçof-Ibn-el-Ahmer, surnommé El-Abkem (le muet), membre de la famille qui règne encore sur l'Andalousie. L'armée navale arriva la première et attaqua Tunis avec tant de vigueur qu'avant la fin de la journée, Ibn-Tafraguîn dut quitter la place et s'enfuir à El-Mehdïa. Cet fut dans le mois de Ramadan 758 (août-sept. 1357) que les Mérinides s'emparèrent de la ville. Yahya-Ibn-Rahhou arriva quelque temps après, avec l'armée de terre et y prit le commandement au nom d'AbouEinan. Invité alors par les Mohelhel à les accompagner afin d'attaquer à l'improviste les Aulad-Abi-'l-Leil et leur sultan, il sortit avec eux et laissa Ibn-el-Ahmer à Tunis avec les troupes de la flotte.

Pendant que ces événements se passaient, Yacoub-Ibn-Ali se révolta contre les Mérinides à cause de l'aversion qu'AbouEinan témoignait pour les Arabes, des mesures sévères qu'il employait à leur égard et de sa persistance à leur demander des otages et à les empêcher de rançonner les populations. Il avait d'abord essayé de fléchir le prince par des cajoleries; mais, en

C'est-à-dire le Seigneur.

ayant reconnu l'inutilité, il alla se jeter dans le Désert. Le sultan le poursuivit inutilement et, pour se venger, il pilla et dévasta les bourgades et lieux de station que le fugitif possédait dans le Tell et dans le Sahra. Rentré à Constantine, il mit son armée en marche pour l'Ifrîkïa.

Comme on savait que le sultan Abou-Ishac s'avançait pour livrer bataille, à la tête de ses alliés arabes, les Mérinides en ressentirent une secrète inquiétude, et, à peine eurent-ils atteint la plaine de Sbîba, que leurs principaux officiers prirent ensemble la résolution d'abandonner leur sultan et de rebrousser chemin. Ils voulaient éviter, de cette manière, une répétition de catastrophe dont ils avaient eu tant à souffrir lors de leur expédition en Ifrîkïa[, sous la conduite du sultan Abou-'l-Hacen]. Pénétrés de cette crainte, ils s'éloignèrent secrètement et prirent. la route du Maghreb. Abou-Einan voyant ses forces considérablement réduites par cette désertion, renonça à son expédition et se dirigea aussi vers le Maghreb. Les Arabes se mirent à la poursuite de la colonne, et Ibn-Tafraguîn, ayant appris cette bonne nouvelle, quitta sa retraite à El-Mehdïa et se rendit à Tunis. Quand les habitants le virent approcher, ils se soulevèrent contre le gouverneur mérinide et le forcèrent à s'embarquer avec ses troupes. Ibn-Tafraguîn entra dans la ville et y rétablit l'autorité des Hafsides.

Le sultan Abou-Ishac rejoignit son chambellan, après avoir placé l'émir Abou-Zeid à la tête des Arabes et des milices, afin de poursuivre les Mérinides et de mettre le siége devant Constantine; mais la résistance que cette place lui opposa pendant plusieurs jours le décida à partir pour Tunis. Depuis lors, et jusqu'à sa mort, il continua à résider dans cette ville.

Nous avons déjà dit qu'Abou-Yahya, frère d'Abou-Zeid, s'était rendu à Tunis pour demander des secours. Quand on y apprit l'investissement de Constantine [par les Mérinides], on l'empêcha de repartir, et ce fut à Tunis qu'il rallia les affranchis et les

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partisans de sa famille. Ces guerriers restèrent avec lui jusqu'à ce que Dieu eut ouvert aux musulmans les voies de la prospérité et du bonheur, replacé Abou-'l-Abbas sur le trône après la mort d'Abou-Einan, et permis à ce prince d'étendre son autorité sur toute la nation. Dès-lors, l'aspect d'Abou-'l-Abbas a répandu partout les bienfaits de la sécurité et de la justice, les avantages de la tranquillité et du bien-être; la rebellion a eu les mains liées, et le peuple a joui d'un bonheur parfait, sous l'abri de la puissance royale.

L'ÉMIR ABOU-YAHYA · ZÉKÉRÏA

CONNAÎT L'AUTORITÉ D'ABOU
L'OBÉISSANCE.

SE RÉVOLTE DANS EL-MEHDIA, RE

EINAN ET RENTRE ENSUITE DANS

Abou-Mohammed-Ibn-Tafraguîn étant de retour à la capitale, consacra ses premiers soins à la restauration des fortifications d'El-Mehdïa : prévoyant les coups que les Maghrebins pourraient porter à l'Ifrîfiïa, il voulut faire de cette place le boulevard de l'empire. Après en avoir relevé les murailles et rempli d'armes et de vivres les arsenaux et les magasins, il en donna le commandement à l'émir Abou-Yahya-Zékérïa. Ce prince qui vivait alors sous la protection de son frère le sultan Abou-Ishac, alla s'installer dans El-Mehdïa, sous la surveillance d'Ahmed-IbnKhalef, créature d'Ibn-Tafraguîn. Au bout d'une année il se fatigua de l'asservissement dans lequel on le retenait, et, ne voulant plus rester exclus de l'exercice du pouvoir, il pénétra, de nuit, chez son ministre, Ibn-Khalef, et lui ôta la vie. S'étant ainsi débarrassé d'un tuteur incommode, il envoya chercher Abou-'lAbbas-Ibn-Mekki, seigneur de Cabes et de Djerba, pour lui confier les fonctions de chambellan. En faisant ce choix il agissait d'après la considération qu'Ibn-Mekki avait toujours été en rivalité avec Ibn-Tafraguin. Il expédia en même temps une dépêche à Abou-Einan, dans laquelle il offrit sa soumission au sultan mérinide et lui demanda des secours. Sa position était déjà fort compromise quand Ibn-Tafraguîn envoya une armée contre lui,

aussi, pour échapper au danger, il courut se réfugier dans Cabes. El-Mehdïa rentra au pouvoir des Tunisiens, et Mohammed-Ibnel-Djekdjak en fut nommé gouverneur. Cet officier, parent d'IbnThabet, s'était rendu auprès d'Ibn-Tafraguîn lors du malheur qui frappa Tripoli [en 755], et avait réussi à gagner les bonnes grâces de ce ministre.

Abou-Einan ayant appris la révolte d'El-Mehdia, y expédia une flotte remplie de troupes; il avait même désigné le commandant et les fonctionnaires qui devaient y résider; mais ces secours arrivèrent trop tard, la ville étant déjà rentrée sous l'autorité de la capitale. Nous aurons encore à parler d'Ibn-el-Djekdjak dont l'administration à El-Mehdïa donna beaucoup de satisfaction.

L'émir Abou-Yahya-Zékérïa fixa son séjour à Cabes et prit part à une expédition qu'Ibn-Mekki dirigea contre Tunis. On le fit ensuite passer chez les Douaouida où il reçut l'hospitalité de Yacoub-Ibn-Ali, chef dont il épousa la nièce, fille de Saîd. Quand le sultan Abou-Ishac obtint possession de Bougie, il donna à son frère Abou-Yahya le commandement des Sedouîkich, poste que ce prince continua à remplir pendant plusieurs années. Depuis lors il resta avec les Douaouida, et il mourut chez eux en l'an 776 (1374-5).

LE SULTAN ABOU-ISHAC S'EMPARE DE BOUGIE ET Y RÉTABLIT LA

DOMINATION HAFSIDE.

En quittant Constantine, Abou-Einan rentra en Maghreb et, après s'y être reposé jusqu'à la fin de l'année, il renvoya son armée en Ifrîkïa, sous la conduite du vizir Soleiman - IbnDawoud. Cet officier parcourut le territoire de Constantine, accompagné de Meimoun-Ibn-Ali-Ibn-Ahmed, frère de YacoubIbn-Ali et son successeur dans le commandement des Douaouida. Othman-Ibn-Youçof-Ibn-Soleiman, chef des Aulad-Sebâ, lui prêta aussi son secours, ainsi que Youçof - Ibn - Mozni, gouverneur du Zab, lequel avait reçu un ordre à cet effet de la part du sultan mérinide. Dans cette expédition, le vizir sou

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