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med-Ibn-Abd-el-Hack. Nous donnerons plus tard une notice de ce prince qui venait de quitter Tunis pour se joindre aux Abd-elOuadites. Cette petite bande défendit l'entrée du palais avec une bravoure admirable et mourut les armes à la main. Les têtes de tous ces chefs furent plantées sur des lances et portées en triomphe à travers la ville.

Une multitude innombrable de soldats encombra les rues et les abords de Tlemcen; l'on se pressait tellement aux portes que beaucoup de monde resta écrasé sous les pieds des chevaux. La galerie qui donnait entrée à la ville et qui avait une porte à chaque extrêmité, s'emplit de cadavres à un tel point qu'à peine pouvaiton passer sous la voûte.

La soldatesque, libre maintenant de tout frein, se mit à saccager les maisons. Le sultan Abou-'l-Hacen traversa la ville. jusqu'à la grande mosquée et fit venir les deux muftis conseillers d'état, Abou-Zeid - Abd-er-Rahman et Abou- MouçaEïça, surnommé les fils de l'imam. Il les avait déjà appelés du fond de la province, tant il estimait les hommes de savoir. Ces docteurs lui firent un tableau affligeant de la situation de la ville et, par leurs vives remontrances, ils le décidèrent à mettre un terme aux maux des habitants et à faire proclamer la cessation du pillage.

Alors le sultan mérinide incorpora dans son royaume toutes les provinces et villes du Maghreb central et avança ses frontières jusqu'aux limites de l'empire hafside. Ayant fait disparaître du monde les chefs de la dynastie abd-el-ouadite et les monuments de leur puissance, il réunit en une seule bande sous ses drapeaux les Beni-Abd-el-Quad, les Toudjîn et les Maghraoua; puis, voulant les dédommager des biens qu'ils venaient de perdre dans le royaume de Tlemcen, il leur concéda des propriétés en Maghreb.

L'empire fondé par Yaghmoracen-Ibn-Zîan succomba de cette manière; mais, peu de temps après, il se releva sous les auspices de [deux] autres princes de la famille zîanide. Après le revers de fortune que le sultan Abou-'l-Hacen éprouva dans la voisinage de Cairouan, on vit briller de nouveau l'éclat du

royaume de Tlemcen et l'on ressentit encore le souffle de sa puissance.

NOTICES BIOGRAPHIQUES DE MOUÇA IBN-ALI, DE YAHYA-IBN- MOUÇA ET DE L'AFFRANCHI HILAL, GRANDS OFFICIERS DE L'EMPIRE ABD

EL-OUADITE.

La grande célébrité dont ces trois hommes ont joui nous oblige à leur consacrer un chapitre spécial. Le chambellan Mouça-IbnAli-el-Kordi, le même qui mourut avec le sultan Abou-Tachefin, appartenait à une tribu kurde (kord), une de ces peuplades nonarabes qui habitent l'Orient. Dans une autre partie de cet ouvrage, nous avons indiqué l'incertitude qui règne au sujet des origines kurdes'. El-Masoudi nomme, dans son livre2, plusieurs peuples kurdes, tels que les Chahdjan, les Berçan, les Kikan etc., et il ajoute ces paroles : « Ils habitent l'Aderbeidjan, la Syrie et le territoire de Mosul; une partie d'entr'eux est >> chrétienne de la secte jacobite, une autre professe les doc>> trines de la secte kharedjite qui nie la légitimité des khalifes » Othman et Ali. » Plusieurs peuplades kurdes habitaient la montagne de Chehrezour, dans l'Irac arabe 3; elles s'adonnaient à la vie nomade, en parcourant les localités où les pluies avaient fait renaître la végétation. Ils demeuraient sous des tentes de feutre et subsistaient principalement des produits de leurs troupeaux. Leurs richesses consistaient en moutons et en bœufs.

1 Le passage auquel notre auteur paraît faire allusion se trouve an commencement de son Histoire universelle. Nous y lisons ces mots : « On a dit que les Kord et les Deilem étaient arabes, mais cette opinion »> ne saurait être admise. Ibn-Saîd dit: Achour (Assur, fils de Sem) >> eut quatre fils: Iran, Nabît, Djermouc et Bacil; d'Iran descendent » les Fars (Persans), les Kord (Kurdes) et les Khazar. » D'après la >> première opinion, les Kurdes descendraient d'Arphaczad, fils de Sem. 2 Voy. t. I, p. 193.

3 Chehrezour est à plusieurs journées au Nord de la limite seplentrionale de l'Irac arabe.

Ce peuple montrait un caractère fier et indépendant, car il était fort par son nombre et avait eu des commandements dans. Baghdad à l'époque où les étrangers [Turcs] employés au service du khalifat, usurpèrent toute l'autorité. En l'an 656 (1258], les Tatars renversèrent la dynastie des Abbacides, s'emparèrent de Baghdad et, après que leur roi Holaoun (Holagou) eut fait mourir El-Mostacem, le dernier khalife de cette famille, ils allèrent soumettre les provinces de l'Irac. A leur approche, la plupart des Kurdes traversèrent l'Euphrate afin d'éviter le contact d'une nation païenne et allèrent se placer sous l'autorité des Turcomans. Leurs familles les plus nobles ne purent cependant se résigner à subir une domination étrangère, et deux de leurs grandes maisons, les Louîn et les Tabîr1, partirent avec leurs dépendans pour se rendre en Maghreb. Ils entrèrent dans ce pays à l'époque où l'empire almohade menaçait ruine, et trouvèrent à Maroc, auprès du khalife El-Morteda, l'accueil le plus distingué. Ce prince leur assigna des pensions, des terres et des places d'honneur à sa cour.

Bientôt après leur arrivée, ils passèrent sous la domination mérinide par suite de la catastrophe qui renversa le trône des Almohades, et une de leurs fractions alla se placer sous la protection de Yaghmoracen-Ibn-Zîan, pendant qu'une branche des Beni-Tabîr, dont le nom m'est inconnu, se réfugia auprès d'ElMostancer, seigneur de l'Ifrikïa. De cette branche naquit Mohammed-Ibn-Abd-el-Azîz, surnommé El-Mizouar, qui vécut dans la société de notre seigneur le sultan Abou-Yahya-AbouBekr.

Parmi les Kurdes qui restèrent sous la domination mérinide, on remarqua surtout Ali et Selman, fils, tous les deux, de HacenIbn-Saf, membre de la famille Tabir. La branche des Louîn donna naissance à Khidr-Ibn-Mohammed, à la famille Mahmoud et à la famille Bousa. Les Tabîr reconnaissaient pour leurs chefs les frères Selman et Ali pendant que les Louîn obéissaient à

1 Variantes: Yaber, Babin, Tathir, etc.

Khidr-Ibn-Mohammed. De temps en temps, la guerre éclatait entre ces deux tribus, ainsi que cela leur était déjà arrivé pendant leur séjour en Orient, et, chaque fois qu'elles s'apprétaient à un conflit, leurs parents établis à Tlemcen accouraient pour y prendre part. Dans ces rencontres, ils se battaient à coups de flèches, car l'arc était l'arme dont ils se servaient habituellement. Un de leurs combats les plus fameux eut lieu à Fez, en l'an 674 (1275-6): Khidr, ayant rassemblé ses Louîn en dehors de la porte Fotouh, livra bataille aux Tabir commandés par Ali et Selman. Le sultan Yacoub-Ibn-Abd-el-Hack les laissa faire, pour ne pas manquer aux égards qu'il croyait leur devoir.

Selman-Ibn-Hacen mourut, l'an 690 (1291), à Tarifa, où il s'était rendu avec l'intention de tenir garnison et d'acquérir les mérites de la guerre sainte. Son neveu, Mouça, fils d'Ali-IbnHacen, fut élevé dans le palais de Youçof-Ibn-Yacoub par les dames de la famille royale, et il capta la bienveillance de son souverain à un tel degré qu'il eut l'autorisation d'entrer chez lui à toute heure. Cette faveur le remplit d'une présomption qui, à plusieurs reprises, lui attira des désagréments et, pendant que le sultan1 assiégeait la ville de Tlemcen, il [essuya une contrariété si blessante pour son amour-propre qu'il] passa aux Abd-elOuadites. Othman-Ibn-Yaghmoracen l'accueillit avec tout l'empressement et tous les égards qu'un pareil hôte méritait par son rang, par sa naissance et par la faveur dont il avait joui. D'après le désir du sultan Youçof, le père de Mouça entreprit de ramener le transfuge et, l'ayant rencontré dans une escarmouche, il lui proposa de revenir. Mouça s'en excusa en citant toutes les bontés dont les Beni-Abd-el-Ouad l'avaient comblé; et son père, changeant de langage, l'engagea fortement à rester avec ses nouveaux amis et à les servir fidèlement. Rentré au camp, le vieux chef raconta au sultan les particularités de cette entrevue et n'encourut pas même le moindre reproche de la part qu'il y avait prise. Le père de Mouça mourut en Maghreb l'an 700 (1300-1).

1 Dans le texte arabe, lisez : Youçof-Ibn-Yacoub-Ibn- Abd-el-Hack.

Après la mort d'Othman-Ibn-Yaghmoracen, les fils de ce prince ajoutèrent encore aux honneurs dont jouissait Mouça-IbnAli ils l'admirent dans leur société intime, lui confièrent le commandement de leurs armées, le gouvernement de leurs provinces et l'élevèrent aux plus hautes dignités en le nommant vizir et chambellan. Lors de la mort d'Abou-Hammou, ce fut Mouça qui administra au peuple le serment de fidélité envers Abou-Tachefin. Etant alors parvenu à gouverner le nouveau. souverain, il s'attira la haine de l'affranchi Hilal, dont la haute influence lui inspirait également une jalousie extrême. Voyant avec appréhension les dangers de sa position, il prit la résolution de passer en Espagne pour combattre les chrétiens; mais, avant de pouvoir mettre son projet à exécution, il fut arrêté pår l'ordre de Hilal et déporté en ce pays. Arrivé à Grenade, il entra au corps des Volontaires de la foi, et, pendant tout le temps de son séjour, il évita de toucher le traitement qu'Ibn-el-Ahmer, le sultan de cette ville, lui avait assigné. Cet acte d'abnégation et d'indépendance parut si extraordinaire que tout le monde en parla avec admiration, et Hilal en ressentit une telle jalousie qu'il décida son maître à demander l'extradition du généreux guerrier. Mouça-Ibn-Ali fut renvoyé en Afrique et reçut encore du sultan abd-el-ouadite un commandement sur la frontière [orientale] et la conduite de plusieurs expéditions militaires. En l'an 727 (4326-7), il mena les troupes zenatiennes contre AbouYahya-Abou-Bekr et essuya, en Ifrîkïa, une défaite sanglante'. Après avoir ramené à Tlemcen les débris de son armée, il apprit que Hilal travaillait encore à le perdre dans l'esprit du sultan. Pour éviter ce nouveau danger, il alla se réfugier au milieu des Arabes Douaouida et se laissa remplacer dans la direction du siége de Bougie par Yahya-Ibu-Mouça, seigneur du territoire de Chelif. Descendu chez Soleiman et Yahya, tous les deux fils d'AliIbn-Seba-Ibn-Yahya et chefs douaouidiens, il y trouva un ac

1 Voy. t. II, pp. 464, 477, où, cependant, notre auteur ne fait aucune mention de la défaite des Abd-el-Ouadites.

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