chassa leurs agents, leurs officiers et partisans de toutes les villes où ces princes les avaient établis, délivrant ainsi les peuples de la tyrannie qui les accablait. Il s'occupait encore à étendre ses conquêtes quand le sultan de Maroc, irrité de le voir embrasser le parti des Hafsides, rassembla une armée et marcha sur Tlemcen. ES-SAID, SOUVERAIN DE MAROC, MARCHE SUR TLEMCEN ET MEURT A TEMZEZDEKT, MONTAGNE DANS LAQUELLE IL TENAIT YAGHMORACEN ASSIÉGÉ. : L'empire fondé par Abd-el-Moumen tombait maintenant en dissolution les provinces éloignées du centre étaient devenues la proie d'insurgés et de prétendants, pendant que toutes les possessions almohades en Espagne avaient subi le joug d'IbnHoud qui, pour colorier son usurpation, y avait fait proclamer la souveraineté d'El-Mostancer-Ibn-ed-Daher l'abbacide, khalife de Baghdad. En Ifrikïa, l'émir Abou-Zékérïa le hafside s'était déclaré indépendant et tâchait de réunir sous ses ordres tous les peuples zenatiens afin de pouvoir occuper le trône que les Almohades avaient élevé à Maroc. Ses armées emportèrent d'assaut la ville de Tlemcen en 640 (1242-3), année qui fut marquée aussi par l'avènement du sultan almohade, Es-Saîd - Ali, fils d'El-Mamoun-Idris, fils d'El-Mansour-Yacoub, fils de Youçof, fils d'Abd-el-Moumen. Doué d'un caractère hardi et entreprenant, Es-Saîd nourrissait de vastes desseins et, voyant son royaume entamé de toutes parts, il consulta les grands dignitaires de l'état sur les moyens qu'il devait employer afin de restaurer et de consolider un édifice qui penchait vers sa ruine. Mais, pour réveiller tout-à-fait l'ancienne fierté almohade, il fallut que les Beni-Merîn vinssent envahir les plaines du Maghreb, soumettre plusieurs villes de ce pays et occuper Miknaça (Méquinez), en y proclamant partout la souveraineté de la dynastie hafside. Es-Said se hâta de rassembler et d'équiper une armée; il appela sous ses drapeaux les Arabes du Maghreb, les tribus berbères et toutes les peuplades masmoudiennes. Vers la fin de l'année 645 (avril 1248), il quitta la ville de Maroc pour se rendre à la frontière du royaume et, pendant sa marche, il expulsa les Mérinides de toutes les villes de l'intérieur. Ayant alors passé ses troupes en revue, auprès de la rivière Beht, il se porta rapidement sur Tèza, où il reçut la soumission des BeniMerîn, ainsi que nous le raconterons ailleurs. S'étant fait renforcer par un contingent de cette tribu, il partit pour réduire Tlemcen et soumettre les pays au-delà de cette ville. Yaghmoracen, suivi de tous les Abd-Ouad, jusqu'aux enfants, courut s'enfermer dans Temzezdekt, forteresse située au Midi d'Oudjda; pendant que son vizir, le légiste Abdoun, se rendait auprès d'Es-Saîd pour lui promettre, de la part de son seigneur, une obéissance parfaite et un zèle extraordinaire dans l'accomplissement de tous les ordres que le gouvernement du khalife enverrait à Tlemcen. Cet officier remplit sa mission et pria EsSaid de vouloir bien excuser l'absence de son maître. Le sultan repoussa cette demande et, d'après l'avis de ses grands officiers et de Kanoun-Ibn-Djermoun, chef des Sofyan et conseiller d'état, il déclara que Yaghmoracen devait venir en personne pour faire sa soumission. Abdoun partit alors avec l'ordre de l'amener au camp; mais il évita de remplir cette commission pour ne pas se compromettre. au Es-Saîd se porta en avant pour bloquer la montagne de Temzezdekt et, le quatrième jour de l'investissement, il monta à cheval afin d'aller examiner les abords de la place pendant que les assiégés faisaient la sieste. Il y avait alors en vedette, pied de la montagne, un nommé Youçof-Ibn-Abd-el-Moumenes-Cheitan (le démon) et, tout près de lui, se trouvaient Yaghmoracen et son cousin, Yaconb-Ibn-Djaber. A l'approche d'EsSaid, ces trois cavaliers s'élancèrent d'un chemin creux et 1 Dans le texte arabe, il faut lire bád avec un dod. l'attaquèrent vivement. D'un coup de lance, Youçof le jeta en bas du cheval et Yacoub-Ibn-Djaber donna la mort au vizir Yahya-Ibn-Attouch. Aussitôt après, ils tuèrent l'affranchi européen Naseh et l'eunuque Anber ainsi que le commandant de la milice chrétienne surnommée Akhou 'l-Comt (le frère du comte), et un enfant, fils d'Es - Saîd. D'après un autre récit, l'armée montait à l'assaut et le sultan, qui marchait en tête, fut séparé des siens par un ravin; alors les cavaliers que nous venons de nommer se jetèrent sur lui et le tuèrent. Ceci se passa en Safer 646 (mai-juin 1248). La nouvelle de cette catastrophe répandit un tel découragement parmi les assiégeants qu'ils abandonnèrent toutes leurs positions. Yaghmoracen accourut auprès d'Es-Saîd qui était étendu par terre, et, s'élançant de son cheval, il s'approcha de lui en exprimant le plus vif regret du malheur qui venait d'arriver, et en déclarant que pour sauver ses jours il aurait volontiers sacrifié les siens. Il parlait encore quand le khalife, après une courte agonie, rendit le dernier soupir. Le camp des Almohades tomba au pouvoir des Beni-Abd-elOuad, qui s'en partagèrent les tentes et les pavillons, après avoir réservé pour Yaghmoracen la tente du sultan. Parmi les trésors qu'elle renfermait et qui passèrent entre les mains du chef abdel-ouadite se trouvait le Coran d'Othman-Ibn-Affan, un de ces exemplaires, dit-on, qui furent trancrits sous le règne de ce khalife. Les descendants d'Abd-er Rahman, fondateur de la dynastie oméïade d'Espagne, l'avaient conservé parmi leurs trésors, à Cordoue; les Almoravides le prirent à l'époque où ils détronèrent tous les petits princes qui s'étaient partagés l'Es ↑ Malgré les manuscrits, on doit lire akha à la place d'akhou. 2 Ce fut en l'an 30 de l'hégire que le khalife Omar, voulant rétablir l'uniformité du texte du Coran, fit transcrire plusieurs exemplaires de ce livre sur le manuscrit qui renfermait la mise au net de la rédaction faite par Abou-Bekr. Il en envoya alors des copies dans toutes les grandes villes de l'empire et fit brûler les anciens exemplaires. pagne musulmane; enlevé aux Almoravides par les Almohades, ce volume [tomba ensuite entre les mains des Abd-el-Ouad]. Il est maintenant dans le trésor des Beni-Merin à Fez, ceux-ci l'ayant emporté de Tlemcen, avec les autres dépouilles de la famille Yaghmoracen, en l'an 737 (4336-7), quand le sultan Abou-'l-Hacen prit cette ville d'assaut et en tua le roi, Abder-Rahman, fils de Mouça, fils d'Othman, fils de Yaghmoracen. Nous parlerons ailleurs de cet événement. Parmi les autres objets de prix qui tombèrent au pouvoir de Yaghmoracen se trouvait le fameux collier nommé le dragon (thoban) et composé de plusieurs centaines de rubis et de grosses perles. Plus tard, ce bijou passa, par droit de conquête, entre les mains des Beni-Merîn et se perdit avec beaucoup d'autres objets lors du naufrage du sultan Abou-'l-Hacen dans les parages de Bougie. Ce monarque venait alors de Tunis et se dirigeait vers son royaume. En somme, la journée de Temzezdekt rendit Yaghmoracen possesseur d'une foule de ces belles choses que les sultans recherchent avec passion et qu'ils aiment à compter parmi leurs trésors. Quand la confusion produite par la retraite des Almohades fut calmée1, Yaghmoracen s'occupa des funérailles du sultan EsSaid. On transporta le corps sur un brancard jusqu'à la ville d'El-Obbad, et on l'enterra dans le cimetière du cheikh BouMedyen 2. Ce devoir accompli, Yaghmoracen montra les égards les plus parfaits aux femmes du monarque défunt et à la sœur de ce prince, la célèbre Taazzount 3. Après leur avoir fait une visite pour se disculper du malheur qui était arrivé, il leur donna une escorte composée de cheikhs abd-el-ouadites et les fit conduire à 1 Dans le texte arabe, il faut lire el-hidt, avec un aïn, à la place d'el-hiet. 2 Ce nom se prononce vulgairement Bou-Medine. 3 Ta-azzount (la glorieuse) est la forme berbère féminisée d'azzoun lequel est une forme arabe-espagnole du mot azz (gloire). un lieu də sûreté dans le Derâ, province qui obéissait encore aux Almohades. Ces témoignages de respect envers la famille d'un ennemi et ce soin de maintenir le prestige de la dignité royale méritèrent à Yaghmoracen des éloges universels. Il rentra alors à Tlemcen, après avoir brisé la puissance des enfants d'Abd-el-Moumen et mis son empire à l'abri de leurs attaques. CONFLITS DE YAGHMORACEN AVEC LES BENI-MERÎN. En parlant de la rivalité qui subsistait depuis de longs siècles entre les Beni-Abd-el-Ouad et les Beni-Merîn, nous avons mentionné qu'à chaque instant des conflits surgissaient entre ces deux tribus qui, par la situation des territoires qu'elles parcouraient dans le Désert, étaient proches voisines l'une de l'autre. La limite de leur pays respectifs s'étendait depuis le Za jusqu'à Fîguig. Lors de l'affaiblissement de l'empire fondé par Abd-el-Moumen, quand les Beni-Merîn s'emparèrent de toutes les plaines du Maghreb, les souverains almohades prirent l'habitude d'appeler à leur secours la tribu d'Abd-el-Ouad et de l'expédier, avec le reste de leurs troupes, contre les envahisseurs. Dans notre notice des Beni-Merîn, nous ferons le détail des courses que les Abd-el-Ouad firent, en ces occasions, à travers cette partie du Maghreb qui est située entre Téza, Fez et El-Casr. La mort d'Es-Saîd donna aux Beni-Merin l'espoir d'étendre leur domination sur le Maghreb entier et fit prendre à Yaghmoracen la résolution de les en empêcher. Un événement, qui arriva vers cette époque, lui procura l'occasion de combattre les anciens ennemis de sa tribu. La ville de Fez étant passé sous l'autorité d'Abou-Yahya-Ibn-Abd-el- Hack, les habitants eurent tant à souffrir de la tyrannie du nouveau gouverneur, que leurs notables y rétablirent l'autorité d'El-Morteda. Abou - Yahya, ayant appris la nouvelle de cette révolte et de la mort de son |