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vant que cet homme possédait un beau style épistolaire, une écriture charmante et un talent pour la poésie, l'employa comme secrétaire. Les actes d'hommage rédigés par Ibn-Khattab et adressés aux khalifes almohades de Maroc et de Tunis sont composés avec tant d'élégance qu'on les apprend encore par cœur. Yaghmoracen se montra infatigable défenseur de ses états : attaqué plusieurs fois et assiégé, par les souverains almohades descendus d'Abd-el-Moumen ainsi que par les Hafsides qui les remplacèrent [en Ifrîkïa], il eut avec eux des rencontres que nous ne saurions passer sous silence. Il résista aussi, dans un grand nombre de batailles, aux attaques des Beni-Merîn, tribu rivale de la sienne, qui lui firent la guerre avant et après la conquête du Maghreb par leurs armes. Pendant ses conflits avec les Zenata orientaux formant les tribus des. Toudjîn et des Maghraoua, il remporta de tels avantages, soit en dissipant leurs armées, soit en dévastant leurs territoires, que le souvenir de ces journées est encore vivant. Nous allons donner l'indication de tous ces événements.

L'ÉMIR HAFSIDE, ABOU - ZÉKÉRÏA, S'EMPARE DE TLEMCEN.
MORACEN LE RECONNAÎT POUR SOUVERAIN.

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Yaghmoracen-Ibn-Zian ayant atteint à la souveraineté par l'établissement de son autorité à Tlemcen et dans le Maghreb

Abd-el-Ouad, manusc. de la Bib. d'Alger), vizir de ce prince, n'était pas le frère de son homonyme, seigneur de Murcie. Il se nommait Mohammed le Murcien, fils d'Abd-Allah, fils de Dawoud, fils de Khattab, tandis que le chef espagnol s'appelait Abou -Bekr-Aziz, fils d'Abdel-Mélek, fils de Mohammed, fils de Khattab, ainsi que le dit notre auteur, t. II, p. 312 de cette traduction, et Ibn-el-Abbar, dans l'ouvrage de M. Dozy, intitulé Notices sur quelques manuscrits arabes, p. 249. Ils étaient, tout au plus, fils de cousins germains; notre auteur aurait donc mieux fait d'écrire caribihi (son parent) au lieu d’akhîhi (son frère). Un autre membre de la même famille remplissait les fonctions de secrétaire auprès de Yaghmoracen; il se nommait AbouAbd-Allah-Mohammed, fils de Dawoud, fils de Khattab.

central, vit ses Abd-el-Ouad entourés d'une gloire et d'une puissance qui abaissèrent l'orgueil de leurs voisins; aussi les autres tribus zenatiennes, ne pouvant plus contenir leur jalousie, se mirent en révolte. Attaquées alors par ce chef, au cœur même de leur pays, elles durent se réfugier, les unes dans leurs villes et places fortes, les autres sur les cimes de leurs montagnes. Cette guerre, allumée par les efforts d'Abd-el-Caouï - Ibn-elAbbas, cheikh des Toudjîn, et par les démarches d'El-AbbasIbn-Mendil-Ibn-Abd-er-Rahman et de ses parents, émirs des Maghraoua, fut marquée par plusieurs batailles et combats dont on garde encore le souvenir. L'on sait que la tribu des Toudjin, branche de celle des Badîn, fut toujours en rivalité avec sa sœur, la tribu des Beni-Abd-el-Ouad.

L'émir hafside, Abou-Zékérïa, étant parvenu, l'an 625 (1228), à détacher l'Ifrîkïa de l'empire régi par les descendants d'Abdel-Moumen, s'y établit comme souverain indépendant et conçut l'espoir de soumettre lc Maghreb et de monter sur le trône des Almohades à Maroc. Pour atteindre ce but, il pensa que le concours des Zenata lui serait nécessaire et, afin d'obtenir leur appui, il pratiqua des intelligences avec les émirs des BeniMerîn, des Abd-el-Ouad, des Toudjîn et des Maghraoua.

Quant à Yaghmoracen, il était demeuré fidèle à la dynastie d'Abd-el-Moumen depuis l'époque où il s'en fut déclaré le vassal, et, dans son gouvernement de Tlemcen, il continuait à servir les sultans de Maroc en se montrant l'ami de leurs amis et l'ennemi de leurs ennemis. Parmi ces princes, Er-Rechîd fut celui auquel il donna les témoignages les plus fréquents de dévouement et dont il reçut, en retour, les plus nombreuses marques d'amitié. Ce fut ainsi qu'en l'an 637 (1239-40), Er-Rechid lui envoya une grande quantité d'objets rares et précieux, sachant qu'un tel présent serait accepté avec plaisir et qu'il contribuerait à entretenir ce chef dans son éloignement pour les Beni Merîn, tribu qui avait déjà commencé des hostilités contre le Maghreb et l'empire de Maroc.

Le bon accord qui régna entre Yaghmoracen et son proche voisin Er-Rechîd, avait déjà donné du mécontentement à l'émir

Abou-Zékérïa, quand ce prince reçut la visite d'Abd-el-CaouïIbn-el-Abbas et des fils de Mendîl-Ibn-Mohammed, qui vinrent demander secours contre Yaghmoracen. Ils lui exposèrent que la prise de Tlemcen serait une chose très-facile; qu'alors il pourrait réunir sous ses drapeaux toutes les tribus zenaliennes, que ce serait un grand pas de fait vers la conquête de l'empire almohade, but auquel il visait, et que la prise de cette ville lui ouvrirait la porte du pays qu'il convoitait. Cédant à leurs prières et à leurs représentations, il rassembla ses troupes hafsides', celles de ses alliés et tous les autres corps de son armée, en leur annonçant qu'il allait marcher sur Tlemcen. Il convoqua aussi les Arabes nomades qui fréquentaient ses provinces, et, à cet appel, les Soleim et les Rîah se mirent en mouvement, avec leurs familles, pour aller le joindre.

Ce fut en l'an 639 (1241-2) qu'Abou-Zékérïa partit pour le Maghreb, emmenant avec lui une armée immense. D'après ses ordres, Abd-el-Caouï-Ibn-el- Abbas et les fils de Mendîl-IbnMohammed prirent les devants, afin d'appeler sous leurs drapeaux les tribus zenatiennes de leur pays, les gens qui suivaient leur fortune, les peuplades qui vivaient de brigandages et les fractions de la tribu arabe des Zoghba qui s'étaient attachées au parti des Zenata. Le lieu de rendez-vous devait être sur la frontière de leur territoire. Quand Abou-Zékéria fut parvenu à Zaghez, sibkha située au Midi de Titeri et dernière limite occidentale des régions fréquentées par les Rîah et les Soleim, il opéra sa jonction avec les Beni-Amer et les Soueid, tribus zoghbiennes qui venaient prendre part à cette expédition et assister au siége de Tlemcen. Avant la jonction des troupes hafsides avec les contingents zenatiens et les autres populations no

▲ Comme les Hafsides professaient la même doctrine que les Almohades de Maroc, Ibn-Khaldoun les désigne aussi par le nom d'Almohades, ce qui jette, de temps en temps, beaucoup de confusion dans son récit. Pour éviter ce défaut, le traducteur a consacré le titre d'Almohade à la dynastie d'Abd-el-Moumen et celui de Hafside à la dynastie d'Abou-Hafs.

mades du Maghreb, il fit partir de Miliana une ambassade chargée de représenter à Yaghmoracen les dangers auxquels il s'exposerait s'il tardait de faire sa soumission. Le chef abd-elouadite renvoya les messagers, sans faire attention à leurs menaces, et, quand l'armée du sultan parut sous les murs da sa ville, il sortit pour lui livrer bataille. Repoussé à coups de flèches par le corps d'archers, il chercha un abri derrière ses remparts, mais, n'ayant pas assez de monde pour garnir toute l'enceinte des murailles, il ne put empêcher l'ennemi d'y effectuer un logement. Sachant alors que Tlemcen était perdu, il réunit autour de lui ses officiers et partisans, sortit par la porte de la Côte (Bab-el-Acaba), tailla son chemin à travers l'armée hafside qui ployait devant ses guerriers, et courut se réfugier dans le Désert. Les assiégeants envahirent la ville de tous les côtés et s'y livrèrent aux plus grands excès: on pilla, on massacra partout, sans épargner ni les femmes, ni les enfants.

Au lendemain, quand le désordre eut cessé et que le seu de la guerre se fut éteint, les vainqueurs revinrent à des sentiments plus humains et leur souverain commença à chercher un chef auquel il pourrait confier le commandemeut de la ville, le gouvernement du Maghreb central et le soin d'y maintenir l'autorité de la dynastie dont la cause venait de triompher sur celle de la famille d'Abd-el-Moumen. Les chefs les plus illustres reculèrent devant une pareille tâche, et les émirs zenatiens sentirent en eux-mêmes l'impossibilité de lutter contre Yaghmoracen, ce coursier indomptable, ce lion dont on n'osait pas aborder la tanière et qui ne lâchait jamais sa proie.

Pendant ce temps, les gens de Yaghmoracen étaient venus se poster sur les hauteurs voisines, afin de guetter le camp hafside, d'en harrasser les abords et d'enlever tous les individus qui oseraient s'en écarter. Leur chef fit alors des propositions à l'émir Abou-Zékérïa, promettant d'embrasser sa cause et de l'aider contre le souverain de Maroc, moyennant la remise de la

1 Dans le texte arabe, il faut lire amân à la place d'anâm.

ville. Le sultan accueillit cette offre avec empressement et concéda de plus à celui qui l'avait faite le droit de percevoir et de garder les impôts dans certaines parties des états hafsides. Soten-Niça, la mère de Yaghmoracen, vint au camp pour ratifier le traité, et, à son arrivée ainsi qu'à son départ, elle reçut d'Abou-Zékérïa toutes les marques d'un profond respect. Ces témoignages de considération furent accompagnés d'un riche cadeau.

Dix-sept jours après son apparition devant Tlemcen, AbouZékérïa reprit la route de Tunis. Il était déjà en marche quand plusieurs de ses courtisans lui représentèrent que Yaghmoracen nourrissait une ambition sans bornes, et qu'on ferait bien de lui susciter des rivaux parmi les émirs zenatiens et arabes, afin de le contrarier dans l'exécution de ses projets. Le sultan accueillit cet avis et choisit Abd-el-Caouï [-Ibn-el-Abbas]-Ibn-Atïa [-t-elHiou] pour régner sur la tribu et le territoire des Toudjîn. Il accorda aussi une semblable faveur à El-Abbas-Ibn-Mendil et à Ali-Ibn-Mansour, dont le premier fut nommé prince des Maghraoua, et, le second, prince des Melikich. En leur donnant les diplômes de cette dignité, il leur accorda l'autorisation de porter, en sa présence et devant tous les chefs almohades, les insignes de la souveraineté et la robe impériale, ainsi que le faisait leur rival Yaghmoracen. Les ayant inaugurés devant sa tente, il s'empressa de rentrer à Tunis.

Comblé de joie par le succès de ses armes, Abou-Zékérïa vit alors son empire agrandi, son projet accompli, le Maghreb[ -elAcsa] prêt à succomber et la dynastie d'Abd-el-Moumen sur le point d'être remplacé par la sienne.

Yaghmoracen rentra dans Tlemcen et, pour tenir ses engagements envers Abou-Zékérïa, il fit prononcer la prière au nom de ce prince dans toutes les mosquées de ses états. Tournant ensuite ses armes contre les Zenatiens qui avaient encouru sa haine, il fit gouter à Abd-el-Caouï et aux fils de Mendîl toute l'amertume de la guerre et les châtia de la manière la plus rude : il parcourut leurs provinces, porta le ravage jusqu'au fond de leurs pays, conquit une grande partie de leurs territoires et

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