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(1005-6), El-Modaffer[, fils d'El-Mansour,] confia le gouvernement du Maghreh à El-Moëzz, fils de Zîri Ibn-Atïa, et donna le commandement de Tlemcen à Yala, un autre fils du même

chef.

Les enfants de Yala régnèrent dans cette ville jusqu'à ce que leur empire fut détruit par les Almoravides. Youçof-Ibn-Tachefîn y installa Mohammed-Ibn-Tinamer le messoufien, lequel fut remplacé par son frère Tachefîn. Lors de la guerre qui éclata entre Tachefin-Ibn-Tinamer et El-Mansour-Ibn-en-Nacer, seigneur de la Calâ- Beni-Hammad, celui-ci marcha sur Tlemcen et serra la place de si près qu'il était sur le point de s'en emparer. Nous avons déjà parlé de tous ces événements à leur lieu et place.

Après avoir vaincu les Almoravides et tué Tachefîn-Ibn-Ali à Oran, Abd-el-Moumen ruina cette ville de fond en comble et fit subir le même sort à Tlemcen, dont il laissa massacrer les habitants. Ceci eut lieu dans la quarantième année du sixième siècle (1145).

Quelque temps après, il changea d'avis au sujet de Tlemcen et, ayant invité les populations de s'y fixer, il en fit rẻparer les murailles. Soleiman-Ibn-Ouanoudîn, cheikh hintatien qui en fut nommé gouverneur, apprécia tellement la fidélité des Beni-Abd-el-Ouad qu'il négocia une alliance fraternelle entre cette tribu et les Almohades.

Abd-el-Moumen accorda ensuite le gouvernement de Tlemcen à son fils, le cîd Abou-Hafs, et, dès ce moment, les chefs de la dynastie almohade continuèrent à choisir parmi les membres de la famille royale le commandant d'une ville et d'une province dont ils apprécièrent l'extrême importance. L'autorité de ces fonctionnaires s'étendait sur le Maghreb entier et sur les tribus zenatiennes des Beni-Abd-el-Ouad, des Beni-Toujin et des Rached, lesquelles possédaient alors toutes les campagnes de Tlemcen et du Maghreb central. Elles vivaient en nomades, jouissant des concessions que le gouvernement almohade leur avait accordées. La plupart des terres, les impôts des villes et des peuplades les plus riches furent ainsi mis à leur disposition.

T.III.

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Chaque fois qu'elles allaient prendre leurs quartiers d'hiver' dans le Désert, elles laissaient leurs serviteurs dans le Tell pour ensemencer la terre, faire la récolte et percevoir l'impôt (kharadj) que leurs sujets devaient fournir. Le territoire que possédèrent les Abd-el-Ouad s'étendait depuis El-Bat'ha jusqu'au Moloura et depuis la mer, à travers le rif, jusqu'à l'intérieur du Désert.

Les princes almohades qui commandaient dans Tlemcen ne cessèrent d'entretenir et d'améliorer les fortifications de cette ville; ils y attirèrent beaucoup de monde afin d'en augmenter la population; ils travaillèrent à l'envi pour en faire une métropole; ils y firent construire des châteaux, de grandes maisons et des palais pour l'embellissement desquels ils n'épargnèrent aucune dépense. Celui qui déploya le plus de zèle dans cés travaux fut le cîd Abou-Amran-Mouça, fils de Youçof-elAcheri, émir des croyants, fils d'Abd-el-Moumen. Il en avait été nommé gouverneur par son père, l'an 556 (1161). Pendant sa longue administration, il s'occupa de l'agrandissement de la ville, et, y ayant ajouté de nombreux édifices, il entoura le tout d'une ceinture de murs.

Son successeur, le cîd Abou-'l-Hacen, fils du cîd Abou-Hafs et petit-fils d'Abd-el-Moumen, s'empressa de l'imiter. Nous avons raconté comment les fils de Ghanîa, partis de Maïorque l'an 581 (1185), surprirent la ville de Bougie et s'emparèrent ensuite d'Alger et de Miliana. Le cid Abou-Hafs fut promptement instruit de ces événements et se hâta d'améliorer les fortifications de Tlemcen, d'en réparer les murailles et d'approfondir les fossés qui entouraient les remparts. De cette manière, il en fit la forteresse la plus redoutable du Maghreb. Les gouverneurs qui vinrent après lui adoptèrent ses vues et suivirent

1 Quelques exemplaires du texte arabe portent mecharkhihim ; il faut lire mechatîhim.

2 Voy. t. 11, p. 88, note 3.

3 Voy. t. 1, p. 89.

l'exemple qu'il avait donné. Il est digne de remarque que le cîd Abou-Zeid, chargé de combattre Ibn-Ghanîa, contribua autant que son frère, le cîd Abou-Hafs, à la défense du pays et à la conservation de l'empire.

Quand ces loups arabes, les Hilaliens de l'Ifrikia, embrassèrent le parti d'Ibn-Ghanîa, les Zoghba, une de leurs tribus, se rangèrent du côté des Almohades et, après avoir opéré leur jonction avec les Zenata du Maghreb central, ils prirent le prince gouverneur de Tlemcen pour arbitre de tous leurs différends et le reconnurent pour leur seigneur et protecteur. Ibn-Ghana, à la tête de ses brigands, fit alors plusieurs irruptions dans le territoire de Tlemcen, ravagea le pays des Zenata, ruina Téhert et quelques autres villes de cette province.

Tlemcen, capitale du Maghreb central et métropole protectrice des tribus zenatiennes qu'elle est toujours prête d'abriter dans son sein, dut sa prééminence à la ruine de deux villes dont chacune avait été le siége d'un empire: nous voulons parler d'Archgoul, place située sur le bord de la mer, et de Téhert, forteresse qui s'élevait au Midi d'El-Bat'ha, entre le Rif et le Désert. La destruction de ces deux cités eut lieu pendant les guerres d'IbnGhanîa, à l'époque où toutes les villes du Maghreb central furent ruinées par les tribus zenatiennes qui s'occupaient, sans relâche, à en opprimer les habitants, à piller leurs biens, à enlever les voyageurs, à détruire tous les ouvrages de la civilisation et à emporter les forteresses où l'on entretenait des garnisons almohades. Ce fut ainsi que succombèrent Casr-Adjîça, Zerca, Chelif, El-Khadra, Metidja', Hamza, Mersa-'d-Deddjadj, El-Djâbat et ElCalâ. Depuis lors, ces villes sont restées inhabitées : on n'y trouve plus un seul foyer allumé; on n'y entend plus le chant du coq. Tlemcen, au contraire, a toujours vu sa prospérité augmenter, ses quartiers s'étendre, ses maisons, solidement construites en

1 Le géographe Abou-Obeid-el-Bekri écrit ce nom Mittidja. Il ne le regardait donc pas comme un dérivé du mot tadj (couronne), ainsi qué l'on fait quelques orientalistes.

briques et en tuiles, s'élever et s'agrandir. Les enfants de Yaghmoracen-Ibn-Zian l'ayant pris pour siége de leur empire, y bâtirent de beaux palais et des caravansérails pour les voyageurs; ils y plantèrent des jardins et des parcs où des ruisseaux habilement dirigés entretenaient la fraîcheur. Devenue ainsi la ville la plus importante du Maghreb, Tlemcen attira des visiteurs même des pays les plus éloignés; on y cultiva avec succès les sciences et les arts; on y vit naître des savants et des hommes illustres dont la réputation s'étendit aux autres pays; en un mot, il prit l'aspect d'une vraie capitale musulmane, siége d'un khali'at.

YAGHMORACEN-IBN-ZÎAN FONDE A TLEMCEN UN EMPIRE DONT LA SOUVERAINETE SE PERPETUE DANS SA FAMILLE.

Yaghmoracen, fils de Zîan, fils de Thabet, fils de Mohammed', était l'homme le plus brave, le plus redouté, le plus honoré de la famille des Abd-el-Ouad. Personne mieux que lui ne savait soigner les intérêts d'un peuple, soutenir le poids d'un royaume et diriger l'administration d'un état. Sa conduite, tant avant qu'après son avènement au trône, atteste chez lui une habileté extraordinaire. Entouré depuis longtemps de la considération publique, révéré par les autres chefs qui désiraient tous le voir exercer le commandement suprême, respecté par les grands à cause de son rang, il était pour le peuple un refuge dans les jours de malheur. En l'an 633 (1235-6), il succéda à son frère, Abou-Ezza-Zekdan-Ibn-Zîan, dans le commandement de sa tribu et la gouverna avec une grande habileté. Ayant triomphé des Beni - Motahher et des Beni - Rached, qui s'étaient déjà révoltés contre son frère, il les contraignit à rentrer dans le nombre de ses sujets et à ployer sous son autorité. Tout en travaillant pour la prospérité de son peuple, il cultiva l'amitié de ses parents et de sa tribu; il s'efforça surtout à gagner les

Pour la suite de la généalogie, voy., ci-devant, p. 329.

cœurs de ses alliés, les Arabes zoghbiens, par une administration paternelle, par des dons et par les égards que l'on doit à de bons voisins. Quand il eut pris les insignes du commandement, il organisa une troupe de milice, établit des garnisons dans ses villes et forma un corps de lanciers et un corps d'archers, le premier composé de chrétiens', le second de Ghozz2. Il assigna des traitements aux serviteurs de l'état; il se donna des vizirs et des secrétaires; il établit des gouverneurs dans ses provinces et, s'étant revêtu des emblèmes de la souveraineté, il se plaça sur le trône et fit disparaître de ses états la domination de la dynastie almohade. Ayant aboli le cérémonial et les titres que la cour de Maroc y avait introduits, il n'en conserva que l'usage de prier dans ses mosquées pour le khalife de cette ville; mais, voulant satisfaire l'opinion publique et se conformer à l'avis des hommes les plus compétents de sa tribu, il consentit à tenir son royaume du souverain almohade par diplôme et investiture.

Vers le commencement de son règne, il reçut la visite d'IbnOuaddah qui, après [la ruine de] la domination almohade [en Espagne], avait traversé la mer avec la foule d'émigrés musulmans qui abandonnèrent, à cette époque, l'Andalousie orientale. It accueillit ce réfugié de la manière la plus honorable et l'admit au nombre de ses conseillers et de ses amis intimes3. Avec IbnOuaddah arriva Abou-Bekr - Ibn-Khattab, le même qui avait proclamé son frère souverain de Murcie. Yaghmoracen, trou

Les troupes chrétiennes employées par les dynasties marocaines étaient composées en grande partie d'Espagnols. Selon Yahya-IbnKhaldoun, frère de notre auteur, le corps chrétien au service de Yaghmoracen était fort de deux mille hommes.

* Ci-après, dans le chapitre qui renferme la notice biographique de Mouça-Ibn-Ali, se trouvent quelques renseignements sur les tribus kourdes, appelées, peut-être inexactement, Ghozz, qui émigrèrent en Afrique.

3 Pour imtafaho, lisez istafaho dans le texte arabe.

Abou-Bekr-Ibn-Khattab, secrétaire de Yaghmoracen, ou, selon Yahya-Ibn-Khaldoun (Boryet-er-Reuwad fi thikr il-molouk min Beni

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