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Cette ambassade arriva à la cour vers le commencement du mois de Choual (janvier 1348); mais les chefs dont elle était composée sentaient trop leurs torts envers le sultan pour compter sur sa bienveillance. Cédant à leur méfiance, ils invitèrent secrètement Abd-el-Ouahed-Ibn-el-Lihyani à sortir de son inaction et à lever l'étendard de la révolte. Nous avons déjà parlé de ce prince et de sa fuite de Tunis en l'an 732 (1332 1). De là il s'était rendu auprès d'Abou-Tachefîn [souverain de Tlemcen], et, pendant quelque temps, il y avait vécu entouré de la faveur de ce prince. Quand Tlemcen fut assiégé par Abou-'l-Hacen et prêt à succomber, il obtint de son protecteur l'autorisation de s'en éloigner, et étant allé trouver Abou-'l-Hacen, il ne le quitta plus jusqu'à l'occupation de l'Ifrikïa.

Les Kaoub, voyant que le sultan Abou-'l-Hacen était indisposé contre eux, se mirent à la recherche d'un prince hafside afin de le proclamer sultan, et ils crurent avoir trouvé en Abdel-Ouahed la personne qu'il fallait. Celui-ci, ayant entendu leur proposition, soupçonna quelque piége et craignant le mécontentement d'Abou-'l-Hacen, il alla lui raconter tout ce qui s'était passé. Le sultan fit venir les quatre chefs et les confronta avec leur dénonciateur. Ils eurent beau crier au mensonge et à la calomnie, ils ne purent échapper à une réprimande sévère et à l'emprisonnement.

Abou-'l-Hacen dressa alors ses tentes en dehors de Tunis, avec l'intention de marcher contre les Arabes; mais, pendant qu'il s'occupait à organiser un corps d'armée pour cet objet, et qu'il fournissait de l'argent aux troupes, il laissa pénétrer son projet. Les tribus arabes prirent aussitôt une résolution désespérée, et, après avoir rassemblé leurs guerriers, elles cherchèrent un autre prince hafside afin de lui déférer la souveraineté.

Pendant ce temps, les Aulad-Mohelbel, leurs rivaux héréditaires, s'étaient tenus dans le Désert, afin d'éviter la colère

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1 Voy. t. p. 476.

Abou-l-Hacen; sachant que ce monarque ne leur pardonnerait jamais l'appui qu'ils avaient prêté à l'émir Abou-Hafs. Ils étaient encore au milieu des sables, quand ils virent arriver une caravane dans laquelle se trouva [Fetîta], fils de Hamza, accompagné de sa mère et de toutes les autres femmes de cette famille. Venues en suppliantes, elles demandèrent le secours des Mohelhel, en leur rappelant les liens de parenté qui subsistaient entre les deux peuplades et en invoquant cet esprit de corps qui anime tous les nomades. Les Mohelhel se rendirent à leur prière et se transportèrent dans le territoire de Castîlïa, où les deux tribus, si longtemps désunies, se pardonnèrent réciproquement le sang qui avait été répandu entre elles. Malgré les appréhensions que la puissance du sultan leur ins-pirait, elles se décidèrent à faire la guerre et à mettre en avant un prince de la famille royale.

Il y avait alors à Touzer un nommé Ahmed-[Ibn-Abd-es-Selam-] Ibn-Othman, arrière petit-fils d'Abou-Debbous, dernier khalife de la famille d'Abd-el-Moumen. Nous avons déjà parlé d'Othman, fils d'Abou-Debbous, et de sa révolte dans la province de Tripoli, pendant le règne du sultan Abou-Acîda; nous avons mentionné aussi qu'il avait fait des courses sur le territoire de Tunis à la tête des Arabes. Après la dispersion de ses partisans, il se tint aux environs de Cabes et de Tripoli, et il finit par mourir dans l'île de Djerba. Les enfants de son fils, Abd-esSelam, établirent leur séjour dans Tunis; mais, sous le règne d'Abou-Yahya-Abou-Bekr, ils eurent à subir une longue détention. Déportés ensuite à Alexandrie avec les fils d'Ibn-el-Hakim, officier dont nous avons raconté la triste fin 2, ils restèrent dans cette ville en exerçant des métiers afin de gagner leur vie. Au bout de quelque temps, Ahmed, l'un de ces frères, rentra en Ifrîkïa et travailla comme tailleur à Touzer. Les Arabes ayant appris d'un de ses amis le secret de sa naissance, allèrent le chercher, l'emmenèrent avec eux et lui remirent les emblèmes

1 Voy. t., p. 416.

2

Voy. pp. 13 et 44 de ce volume.

T.HI.

3

de la souveraineté, en l'assurant, par serment, qu'ils le défendraient jusqu'à la mort.

Dans le mois de Dou-'l-Hiddja 748 (mars 1348), le sultan Abou-'l-Hacen quitta Tunis à la tête d'une armée et marcha contre les insurgés. Arrivé au Thenïu [ou col] qui se trouve en deça de Cairouan, il les mit en fuite et les poursuivit jusqu'à cette ville. Alors les Arabes se rallièrent avec l'intention de vaincre ou de mourir. Le 2 Moharrem 749 (3 avril 1348), ils renouvelèrent le combat, mirent en déroute l'armée du sultan, pillèrent ses bagages et le forcèrent à s'enfermer dans Cairouan. Ils commencèrent même à bloquer cette ville, mais la désunion s'étant mise dans leurs rangs, ils levèrent le siége et permirent au sultan de rentrer à Tunis.

ATTAQUE DE LA

CITADELLE DE TUNIS.

LE SIEGE EN EST LEVÉ

AINSI QUE LE SIÈGE DE CAIROUAN.

Abou - Mohammed Ibn - Tafraguin étant devenu vizir du sultan Abou-'l-Hacen, n'exerça plus le même pouvoir qu'autrefois, quand il dirigeait toutes les affaires de l'empire, er sa qualité de chambellan et favori du sultan Abou-Yahya-AbouBekr. Son nouveau maître était un de ces princes qui prennent sur eux-mêmes l'administration de l'état et qui ne sont nullement disposés à confier une pareille tâche à des vizirs. Ibn-Tafraguîn avait espéré que le sultan mérinide lui accorderait la direction. des affaires de l'Ifrîkïa et qu'il placerait l'émir El-Fadl à la tête de l'empire. L'on a même prétendu qu'Abou-'l-Hacen lui en avait donné l'assurance formelle. Quoi qu'il en fut, Ibn-Tafraguîn n'était plus dans une disposition favorable pour le gouvernement mérinide et il recevait tous les jours les confidences des Arabes qui venaient l'entretenir de leurs projets de révolte. Quand ces nomades eurent atteint le but de leurs souhaits en remportant sur le sultan une victoire éclatante et en le tenant bloqué dans Cairouan, Ibn-Tafraguîn devint suspect aux Mérinides ainsi qu'à leur souverain et dut chercher quelque moyen pour se retirer de leur service.

Les Arabes qui tenaient encore Cairouan investi décidèrent le sultan à leur envoyer Ibn-Tafraguîn afin de négocier avec lui leur soumission. Ils s'empressèrent alors d'accorder à ce ministre le titre de chambellan et de le placer auprès du sultan qu'ils venaient de proclamer. Cet acte accompli, ils l'envoyèrent à Tunis pour assiéger la citadelle où Abou-'l-Hacen avait laissé ses enfants, une grande partie de son harem et les principaux membres de sa famille sous la garde de Yahya-Ibn-Soleiman-elAskeri. Cet officier, qui était un des grands fonctionnaires de l'empire et ami intime et sultan, y commandait en qualité de lieutenant. Quand la nouvelle du désastre de Cairouan fut connue à Tunis, la populace se souleva et força la garnison mérinide à s'enfermer dans la citadelle. On dressa aussitôt des machines de siége contre cette forteresse, en la tenant étroitement bloquée; et les chefs de l'insurrection, au nombre desquels l'affranchi européen Bechîr se distingua par son zèle et son activité, distribuèrent de l'argent aux combattants. L'émir Abou-Salem fils du sultan Abou-'l-Hacen, était arrivé du Maghreb et se rendait à Cairouan, quand il apprit cette nouvelle. Il se trouvait même très-rapproché de la ville, mais, au lieu d'y entrer, il leva son camp, repartit pour Tunis et se jeta dans la citadelle.

Echappé aux hasards du siége dont Cairouan avait à souffrir, Ibn-Tafraguîn s'était chargé de réduire la citadelle de Tunis quand Ibn-Abi-Debbous, proclamé sultan par les Arabes, vint lui prêter son concours. La place renfermait une garnison nombreuse et défiait les efforts du chambellan et la puissance de ses catapultes. Le désordre et la désorganisation s'accrurent enfin à un tel point qu'Ibn-Tafraguîn en fut effrayé et, ayant appris que le sultan Abou-'l-Hacen avait réussi à sortir de Cairouan et à s'embarquer au port de Souça pour se rendre à Tunis, il monta dans un navire, à l'insu de ses troupes, et partit pour Alexandrie. Sa fuite eut lieu dans le mois de Rebiâ 749 (juin ou juillet 1348)1.

Le passage du texte arabe qui répond aux dernières lignes de ce paragraphe se trouve à la fin du paragraphe suivant.

Abou- 'l-Hacen était effectivement parvenu à se tirer d'une position bien difficile : serré de près par les Arabes, il entama des négociations secrètes avec les Mohelhel, tribu kaoubienne, et avec les Hakim, tribu soleimide, et, par la promesse d'une forte somme d'argent, il les décida à s'éloigner. Alors, la division se mit parmi les autres Arabes, et [Abou-'l-Leil-]FetîtaIbn-Hamza, [un de leurs principaux chefs,] entra à Cairouan et offrit ses services au sultan. Il y trouva un accueil très-flatteur et obtint la liberté de ses frères, Khaled et Ahmed, sans pouvoir toutefois gagner la confiance du prince auquel il avait fait la guerre. Après lui, arrivèrent Mohammed-Ibn-Taleb, cheikh des Mohelhel, Khalifa-ben-Bou-Zeid et Abou-'l-Haul-Ibn-Yacoub, chef des Aulad-el-Cos. Escorté par ces chefs, le sultan se mit en marche le soir, et, le lendemain, dans la matinée, il arriva à Souça d'où il partit pour Tunis avec sa flotte.

Les troupes d'Ibn-Tafraguîn, se voyant abandonnées par leur chef, évacuèrent la ville qui fut aussitôt réoccupée par la garnison de la citadelle. Les partisans d'Abou-'l-Hacen profitèrent de cette occasion pour saccager les maisons des fonctionnaires hafsides, Dans le mois de Rebiâ second [juillet], le sultan mérinide débarqua à Tunis et, s'étant ainsi relevé de la chute qui faillit le perdre, il s'imagina que la fortune lui était redevenue favorable.

Une circonstance imprévue vint encore tout déranger : ses fils s'emparèrent du gouvernement du Maghreb et le privèrent ainsi de tous ses moyens d'action. Les Arabes arrivèrent avec Ibn-Abou-Debbous et mirent le siége devant Tunis, mais, découragés par la résistance des Mérinides, ils consentirent à une suspension d'armes. Le traité ayant été ratifié, Hamza-IbnOmar entra dans la ville pour offrir ses respects au sultan. Ce prince le fit aussitôt arrêter en lui déclarant qu'on le retiendrait prisonnier jusqu'à ce qu'il se fit remplacer par Ibn-Abi-Debbous. Il en résulta que celui-ci fut livré aux Mérinides et resta captif jusqu'au départ d'Abou-'l-Hacen pour le Maghreb. A cette époque, il passa en Espagne, ainsi que nous le dirons ailleurs.

Le sultan s'étant ainsi rétabli dans Tunis, reçut la visite

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