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Les Beni-Quémannou et les Beni-Iloumi se partagèrent alors les provinces du [Maghreb central], et chaque fois que les princes sanhadjiens de la Calâ-Beni-Hammad dirigeaient une expédition contre le Maghreb, ces deux tribus levaient des troupes pour les assister. Tout le désert situé entre le Molouïa et le pays du Zab appartenait alors aux tribus ouaciniennes, telles que les BeniMerîn, les Abd-el-Quad, les Toudjîn et les Mozab; mais les rîfs1 des deux Maghrebs leur demeuraient inaccessibles. Toutes les fois, cependant, que les souverains zenatiens qui commandaient dans ces rifs et dans ces plaines, tels que les Ouémannou et les Iloumi, maîtres du Maghreb central, et les Beni-Ifren et les Maghraoua, seigneurs de Tlemcen, eurent à résister aux envahissements des souverains sanhadjiens, zenatiens et autres, ils envoyaient dans les territoires occupés par les enfants de Ouacîn, afin d'en convoquer les nombreux guerriers; puis, en retour des bons services de ces nomades et du secours qu'ils venaient d'en tirer, ils leur donnèrent de l'argent, des armes et des grains, denrée qui ne se trouve pas dans le Désert. Ce fut ainsi que par le moyen des princes du Maghreb les tribus de Ouacîn devinrent riches et florissantes.

Quand les Arabes hilaliens marchèrent contre le Maghreb central, après avoir envahi l'Afrique septentrionale, brisé la puissance des Sanhadja et ruiné l'empire d'El-Moëzz, tant à Cairouan qu'à El-Mehdïa, les Hammadites combattirent vigoureusement pour la défense du pays et invitèrent les Zenata à suivre leur exemple. Les Beni-Yala, famille maghraouienne qui régnait dans Tlemcen, rassemblèrent aussitôt leurs alliés ouacinides, tels que les Beni-Merîn, les Beni-Abd-el-Ouad, les Toudjîn et les Beni-Rached, et les placèrent sous les ordres de leur vizir BouSoda-Khalifa l'ifrenide. Cet officier livra plusieurs combats aux

1 Voy. la table géographique du tome 1, au mot Rif: première signification.

2 Voy., ci-devant, p. 271, et t. 1, p. 37. Dans le texte arabe, le nom du père d'Abou-Soda a été laissé en blanc par l'auteur.

Arabes, afin de les chasser du Zab et du Maghreb central, et il ne cessa de leur faire la guerre jusqu'à ce qu'il trouva la mort sur le champ de bataille. A la suite de cet événement, les Arabes hilaliens enlevèrent les plaines du Zab aux tribus zenatiennes et les expulsèrent de ce pays ainsi que de la partie de l'Ifrîkïa qui en est voisine.

Les Beni-Merîn, les Abd-el-Ouad et les Toudjîn, tribus ouacinides, s'empressèrent alors de quitter le Zab, de rentrer dans le Désert du Maghreb central et de reprendre possession du territoire qui s'étend depuis le Mozab et le mont Rached jusqu'au Molouïa et, de là, jusqu'à Figuig et à Sidjilmessa. S'étant mis sous la protection des Ouémannou et des Iloumi, tribus maîtresses des plaines du Maghreb central, ils se partagèrent les régions du Désert et y établirent leur séjour. Les Beni-Merîn en occupèrent la partie occidentale, au Sud-Est du Maghreb-el-Acsa, de Tîgourarîn à Debdou et depuis le Molouïa jusqu'à Sidjilmessa ; s'éloignant ainsi des Ouémannou et des Iloumi, excepté dans les moments où il fallait se secourir les uns les autres. Quant aux Beni-Badîn, ils occupèrent la partie orientale du même désert et se tinrent au Sud du Maghreb central, depuis Fîguîg et Mediona jusqu'au mont Rached et au Mozab. Tant qu'ils restèrent dans ces régions, ils eurent des luttes continuelles avec les Beni-Merîn, ainsi qu'il arrive aux tribus dont les territoires se touchent. Dans la plupart de ces conflits, la victoire demeura aux BeniBadin, grâce au nombre de leurs tribus et à la multitude de leurs guerriers. Il faut se rappeler qu'à cette époque les Badîn formaient quatre branches : les Abd-el-Ouad, les Toudjîn, les Beni-Zerdal et les Beni-Mozab. On peut même y ajouter une cinquième branche, celle des Beni-Rached, car nous avons déjà mentionné que Rached était frère de Badîn. Les Beni-Rached occupèrent la montagne qui porte encore leur nom et qui est située dans le Désert.

Toutes ces tribus continuèrent à habiter ces localités jusqu'à

Voy., ci-devant, p. 302.

l'apparition de la secte almohade. Les Abd-el-Ouad, les Toudjîn et les Maghraoua prirent alors parti pour les Beni-Iloumi contre cette nouvelle puissance, ainsi que nous l'avons raconté dans son histoire. Quand les Almohades eurent subjugué le Maghreb central et soumis les tribus zenatiennes de ce pays, les Abd-el-Quad et les Toudjîn passèrent du côté des vainqueurs et, par leurs bons services et leur fidélité, méritèrent la faveur de cette dynastie qui les préféra toujours aux Beni-Merîn. On peut voir, à ce sujet, ce que nous dirons dans l'histoire de chacune de ces tribus. Ce fut alors que les Almohades concédèrent aux Beni-Abd-el-Ouad les plaines du Maghreb central qui avaient appartenu aux Beni-Iloumi et aux Beni-Ouémannou.

Après l'entrée des Beni-Badîn dans le Maghreb central, les Beni-Merîn restèrent seuls dans le Désert. Dieu leur tenait en réserve la jouissance d'une autorité et d'un empire dans le Maghreb qui devaient leur permettre de conquérir des royaumes, de subjuguer des provinces, d'étendre leur puissance depuis l'Occident jusqu'à l'Orient et de s'emparer de tous les trônes qui s'élevaient depuis le Sous-el-Acsa jusqu'à l'Ifrîkïa. Le royaume est à Dieu; il le donne à celui de ses serviteurs qu'il veut1 !

De même que les Beni-Merîn, leurs collatéraux, les Beni-Abdel-Ouad, jouirent des faveurs de la fortune et donnèrent au monde un nouveau royaume zenatien. Ils menèrent les peuples par la bride de la conquête, bien qu'ils eussent pour rivaux dans cette puissance d'origine nomade, une tribu de la même race qu'eux, les Beni-Toudjîn.

Dans la seconde race des Zenata, l'on doit compter aussi quelques tribus maghraouiennes de la première catégorie; débris que la dynastie des Khazer laissa dans le territoire de Chelif, ancien siége de sa puissance, berceau de sa nation.

Tous ces peuples aspiraient à la domination et se disputaient entre elles les rênes du commandement : ils tâchaient de s'élever

1 Ces mots sont une imitation d'une phrase coranique; voy. Coran, sourate 7, verset 425.

avec l'aide des tribus voisines, et celles-ci, de leur côté, visaient au partage du pouvoir et de l'autorité souveraine. La dynastie des Abd-el-Ouad travailla sans relâche à contenir ces tribus en punissant leur insubordination, et, de même que les Beni-Merîn, à une époque plus récente, elle parvint à briser leur puissance et à paralyser, par l'oppression, l'aile de leur ambition 1. Cela eut pour résultat l'établissement de la dynastie mérinide et sa domination sur toutes ces populations, ainsi que nous aurons à le raconter.

Nous traiterons de ces dynasties, l'une après l'autre, et, en traçant l'histoire des quatre grandes familles qui tiennent les principales places dans la seconde catégorie des Zenata, nous commencerons par les Maghraoua, débris de ceux de la première race, et nous raconterons l'histoire de l'empire régi par leurs chefs, les Aulad-Mendil.

HISTOIRE DES AULAD-MENDÎL, FAMILLE QUI RÉTABLIT LA DOMINATION DES MAGHRAOUA A CHELIF, DANS LE MAGHREB CENTRAL.

Depuis la chute de la famille des Khazer et la ruine des empires qu'ils avaient fondés à Tlemcen, à Sidjilmessa, à Fez et à Tripoli, la puissance de la race maghraouienne était demeurée assoupie pendant quelque temps, et les branches de cette tribu vivaient éparses dans leurs anciens territoires, les unes en Ifrîkïa, les autres dans les deux Maghrebs, dans le Désert et dans le Tell. La majeure partie des Maghraoua habitait toujours le territoire de Chelif et les lieux voisins, région qui avait été le

1 Littéralement et l'empire abd-el-ouadite, ainsi que l'empire mérinide plus tard, déplumait l'aile de leur ambition par la douleur cuisante du fardeau qui blesse par le frottement.- Dans le texte arabe de ce passage, qui a été altéré par tous les copistes, il faut lire elmokhlica à la place d'el-mokhlefa. Les mots li-sokhneli l-kelli 'lmokhlica paraissent former une parenthèse, le verbe hass, pris au figuré, se construisant avec la préposition min.

berceau de leur tribu et le centre de leurs établissements. On y rencontrait les Beni-Ourcîfan, les Beni-Ourtezman1, les Beni-llît, branche, dit-on, des Ourtezman, les Beni-[Bou-]Saîd, les BeniZeddjak et les Beni-Sindjas. Quelques personnes regardent ceuxci comme appartenant à une autre branche des Zenata que celle des Maghraoua.

Après la chute de la dynastie Khazroun à Tripoli, les membres de cette famille se dispersèrent, et l'un de ses princes, Abdes-Samed, fils de Mohammed-Ibn-Khazroun, se réfugia dans l'Auras pour échapper à quelques-uns de ses parents qui s'étaient emparés du commandement à Tripoli. Son aïeul, Khazroun-Ibn-Khalifa, était le sixième roi de cette dynastie. Abd-esSamed resta quelque temps dans l'Auras et passa ensuite chez les Zouaoua, où il demeura plusieurs années. De là, il se rendit dans le territoire de Chelif et fixa son séjour au milieu des derniers restes de sa tribu. Accueilli avec honneur par les Ourcffan, les Ourtezman*, les Beni-Bou-Saîd et les autres peuplades maghraouiennes, qui s'empressaient toutes à respecter en sa personne les droits des Beni-Khazroun, il se les attacha complètement en s'alliant par des mariages à leurs principales familles. Les nombreux enfants qu'il laissa après lui furent connus dans le pays par le nom de Beni-Mohammed et de Khazeriens, titre qui servait à rappeler le nom de leur ancêtre.

Un de ses descendants, nommé Abou-Nas[-Mohammed], fils d'Abd-es-Samed, fils de Ouardjïâ, fils d'Abd-es-Samed, se consacra aux pratiques de la dévotion et aux bonnes œuvres. Il épousa la fille d'un descendant d'Ibn-Makhoukh, prince des BeniOuémannou, et acquit sur ce peuple une influence que rehaussaient l'éclat de sa naissance et la noblesse de sa tribu. Les Almohades, dont l'empire s'établit quelque temps après, traitèrent Abou-Nas avec de grands égards à cause de ses vertus, et lui concédèrent une partie de la vallée du Chelif. Jusqu'à son

1 Variante: Ourtezmar.

Variante Ourtezmin.

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