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des troupes toutes les fois qu'il voulait faire une tournée dans ses états. Il était encore chambellan quand ce prince, étant en expédition, mourut d'une maladie chronique, à Tagrèrt, dans la province de Bougie. Cet événement eut lieu dans le mois de Rébiâ premier de l'an 747 (juin-juillet, 1346).

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L'émir Abou-Abd-Allah, fils de l'émir Abou-Zékérïa, avait été élevé par Fareh, affranchi d'origine européenne qui, étant passé du service d'Ibn-Séïd-en-Nas dans celui de la famille royale, avait montré tous les talents nécessaires pour bien diriger l'éducation d'un jeune prince. Il resta auprès du fils de son patron, en attendant les ordres du sultan; mais l'ancien chambellan, Abou'l-Cacem-Ibn-Alennas, courut à la capitale et obtint la nomination de l'émir Abou-Hafs[-Omar], fils cadet du sultan, au gouvernement de Bougie.

Abou-Hafs ayant reçu son congé de départ, se mit en route avec ses officiers et serviteurs, emmenant avec lui Ibn-Alennas. Arrivé à Bougie tout-à-fait à l'improviste, il écouta les suggestions de quelques misérables qui faisaient partie de sa société intime, et se mit aussitôt à infliger des punitions et à déployer une grande sévérité. Le peuple, épouvanté, consulta ses forces et, au bout de quelques jours, il se leva comme un seul homme, courut aux armes et entoura la citadelle où le nouvel émir s'était enfermé. Escaladant aussitôt les murs de cette forteresse, aux cris répétés de « Vive l'émir, fils de notre ancien maître ! » les insurgés mirent au pillage tous les bagages qu'Abou-Hafs avait apportés de Tunis, et, s'étant emparés de ce prince, ils l'expulsèrent de la ville, et le laissèrent à moitié mort. Ensuite ils se dirigèrent vers la maison d'Abou-Abd-Allah-Mohammed, fils de l'émir Abou-Zékérïa, et le proclamèrent gouverneur. Ce jeune prince venait de faire ses préparatifs pour se rendre auprès du sultan, son grand-père; ayant reçu de l'émir, son oncle, l'ordre de s'en aller. Le lendemain, on le conduisit au palais de la citadelle pour lui remettre les rènes du gouvernement. L'affranchi Fareh prit alors la direction des affaires, avec le titre de chambellan, et parvint bientôt à rétablir l'ordre.

Vers la fin de Djomada premier de la même année, l'émir Abou-Hafs rentra à Tunis, justement un mois après sa nomination au gouvernement de Bougie. Le sultan, dont nous devons bientôt mentionner la mort, s'empressa de faire partir AbouAbd - Allah - Ibn-Soleiman, chef almohade d'une sainteté de vie extraordinaire, en lui recommandant de régler les affaires de Bougie et de calmer les esprits. Se conformant en même temps aux vœux des habitants, il leur expédia un acte portant la nomination de son petit-fils, l'émir Abou-Abd-Allah-Mohammed, au commandement de leur ville. La tranquillité s'y rétablit alors; le peuple se laissant volontiers administrer par le fils de leur ancien maître.

MORT DU SULTAN [ABOU-YAHYA-]ABOU-BEKR.

FILS, L'ÉMIR ABOU-HAFS.

AVÈNEMENT DE SON

Pendant que les habitants de Tunis, oubliant l'inconstance de la fortune, se reposaient à l'ombre de la prospérité, pendant qu'ils jouissaient d'une sécurité parfaite, sous le pavillon de gloire que le sultan leur avait dressé et sous la protection de sa justice, voilà que le troupeau fut épouvanté, l'abreuvoir trouble, l'abri de la gloire et de la sécurité renversé, la cour de l'empire changée en solitude; en solitude; un cri funèbre venait d'annoncer que le sultan [Abou-Yahya-]Abou-Bekr n'était plus ! Il mourut subitetement à Tunis au milieu de la nuit de mercredi, 2 Redjeb 747 (21 oct. 1346). Tout le monde sauta hors du lit et courut au palais pour s'assurer du fait; on passa le reste de la nuit à roder autour de la demeure royale; ils semblaient être ivres, mais ils ne l'étaient pas1.

L'émir Abou-Hafs-Omar quitta aussitôt sa maison, prit possession du palais dont il fit garder toutes les issues et envoya chercher le chambellan Abou-Mohammed-Ibn-Tafraguin. Les cheikhs des Almohades, les affranchis et les divers corps de la milice furent convoqués sur-le-champ afin de prêter, entre les

▲ Coran, sourate 22, vers 2.

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mains du chambellan, le serment de fidélité à l'émir Abou-Hafs. Le lendemain, le nouveau souverain tint une séance solennelle, avec le cérémonial usité dans l'empire et réglé par Abou-Mohammed. Ce chambellan en avait appris les usages et les principes de plusieurs cheikhs almohades et d'autres personnages haut placés. Les habitants de la ville, classés par corporations et métiers, se présentèrent devant l'émir et lui jurèrent d'être fidèles; puis, l'inauguration terminée, on leva la séance.

L'émir [Abou-'l-Baca-]Khaled, fils du feu sultan, était alors en congé à Tunis où il avait déjà passé plusieurs mois, en profitant des prolongations qu'il s'était fait accorder; mais la nuit même qu'il apprit la mort de son père, il s'évada de la ville. Arrêté par les Aulad-Mendil, tribu kaoubienne, il fut ramené à la capitale et mis en prison.

Abou-Mohammed-Ibn-Tafraguîn conserva la place de chambellan, avec un grand accroissement de considération et d'autorité. Les intimes du nouveau souverain travaillèrent alors pour le perdre et cherchèrent à indisposer leur maître contre lui: dévorés par la jalousie, ils ne cessèrent de rappeler au prince le souvenir des fréquents démêlés qu'il avait eus avec le chambellan sous le règne précédent. Ibn-Tafraguîn eut connaissance de ces intrigues et, pour se soustraire au danger, il mit en œuvre un tour d'adresse dont nous aurons bientôt à parler.

L'ÉMIR ABOU-'L-ABBAS, HÊRITIER LÉGITIME DU TRONE, QUITTE LE
DJERID ET MARCHE SUR TUNIS.
IL EST TUÉ AINSI QUE SES
FRÈRES ABOU-FARES-AZOUZ ET ABOU-'L-BACA-KHALED.

En l'an 743 (1342-3), Abou-'l-Abbas, seigneur des provinces djéridiennes, avait été publiquement reconnu comme héritier du trône, par l'ordre de son père [Abou-Yahya-] Abou-Bekr. La nouvelle de l'avènement de son frère, après la mort du sultan, le remplit d'indignation; il exhala sa colère contre les Tunisiens à cause de leur trahison et il appela les Arabes à son secours afin de faire valoir ses droits à l'empire. Tous ces nomades, sans

exception, accoururent sous ses drapeaux et abandonnèrent la cause de son frère Abou-Hafs, dont l'esprit despotique les avait offensés ainsi que la sévérité qu'il déployait contre les chefs arabes et d'autres grands personnages. Il se mit alors en route pour la capitale, et, arrivé à Cairouan, il trouva son frère AbouFares, gouverneur de Souça, qui était venu le reconnaître pour souverain et marcher avec lui.

De son côté, l'usurpateur rassembla assez de cavaliers et de fantassins pour en former une armée et, au commencement du mois de Châban (19 nov. 1346), il quitta la capitale. Le chambellan Ibn-Tafraguîn ayant été averti que le prince, son maître, voulait lui ôter la vie, guetta l'occasion de s'éloigner du camp, et, s'étant fait renvoyer à Tunis pour affaires, au moment même où les deux armées allaient se trouver en présence, il se sauva la même nuit et prit la route du Maghreb. Le sultan Abou-Hafs fut tellement épouvanté de cette nouvelle, qu'il courut s'enfermer dans Bédja. Ses troupes, laissées en proie au plus grand désordre, passèrent sous les drapeaux d'Abou-'l-Abbas.

Le 8 Ramadan (25 décembre), Abou-'l-Abbas étant venu camper dans les jardins de Ras-et-Tabîa, prit possession de Tunis et fit sortir de prison son frère Abou-'l-Baca. Six jours plus tard, il alla s'installer au palais; mais, le lendemain, AbouHafs pénétra à l'improviste dans la ville et lui ôta la vie.

Cette entreprise audacieuse s'effectua avec le concours des nombreux partisans que ce prince s'était faits dans les dernières classes de la population. Il avait gagné les cœurs de ces gens-là parce que, dans la folie de la jeunesse et dans la poursuite des plaisirs, il avait eu l'habitude de se présenter à leurs soirées sans se faire annoncer et d'aller les trouver, de nuit, dans leurs maisons. Un instant lui suffit pour placer la tête de son frère au bout d'une pique et jeter son cadavre sous les pieds des chevaux; frappant exemple de l'inconstance de la fortune.

La populace se rua alors sur les chefs arabes et en massacra plusieurs; d'autres furent traînés devant Abou-Hafs et emprisonnés par son ordre; Abou-'l-Haul, fils de Hamza-Ibn-Omar, fut exécuté. A ses frères, les émirs Khaled et Azouz, le tyran

fit couper les pieds et les mains, et les laissa mourir en cet état. Devenu encore maître de la capitale, Abou-Hafs donna la place de chambellan à Abou-'l-Abbas-Ahmed-Ibn-Ali-Ibn-Rezzîn. Ce personnage appartenait à la classe des hommes de plume et avait rempli les fonctions de secrétaire auprès du chambellan Es-Chakhchi, puis auprès du général Dafer-el-Kebîr. Il entra ensuite au service d'[Abou-Yahya -] Abou-Bekr, quand ce prince monta sur le trône de Tunis. Les liaisons qu'il entretenait avec Ibo-el-Caloun ayant alors déplu à Ibn-Ghamr, il fut disgracié sur la prière de ce ministre. Remis en liberté, il passa dans le Maghreb, et trouva un accueil honorable auprès du sultan AbouSaid. Quelque temps après, il revint à Tunis, où il vécut sans emploi pendant tout le règne du sultan Abou-Bekr. Son fils Mohammed entra au service de l'émir Abou-Hafs, en qualité de secrétaire, et cette circonstance lui facilita sa rentrée à la cour. Après la fuite d'Ibn-Tafraguîn, il fut nommé chambellan, mais l'administration de la guerre et le commandement en chef furent confiés à Dafer-es-Sinan, officier qui avait déjà servi le père et le grand-père d'Abou-Hafs. Pour compagnon et lecteur, Abou-Hafs fit choix d'Abou-Abd-Allah-Mohammed-IbnFadl-Ibn-Nizar, membre du corps des légistes et appartenant à une des premières familles de Tunis. Les aïeux d'Ibn-el-Fadl y avaient joui d'une grande considération. Quant à lui, il était entré dans la maison du sultan et tenait au palais une école pour l'enseignement des jeunes princes. L'émir Abou-Hafs fut un de ses élèves et lui témoigna, pour cette raison, beaucoup d'attachement; aussi, quand ce prince se fut emparé du pouvoir, Ibn-elFadl devint son conseiller et directeur.

ABOU-'L-HACEN S'EMPARE DE L'IFRÎKÏA.

MORT D'ABOU-HAFS.

LES PRINCES HAFSIDES SONT DÉPORTÉS EN MAGHREB.

Lors de la prise de Tlemcen [par les Mérinides] et même avant cette époque, le sultan Abou-l'-Hacen avait conçu l'espoir

Dans le texte arabe, il faut lire oua sorrihi bi-kotobihi.

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