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Tout en étudiant le Coran et les belles-lettres, il fréquentait les Nekkaria, et, comme les doctrines de cette secte lui plaisaient, il les apprit à fond et s'y distingua par son savoir. S'étant ensuite rendu à Téhert, afin de continuer ses études sous les cheikhs nekkariens de cette ville, il eut pour maître Abou-Obeida, et cela à l'époque où le Mehdi, Obeid-Allah, se trouvait enfermé dans la prison de Sidjilmessa. Réduit à la misère par la mort de son père Keidad, il fut obligé d'accepter les dons que les habitants de Guîtoun lui offraient par charité; et, en retour, il enseigna le Coran à leurs enfants ainsi que la doctrine nekkarite.

Le bruit se répandit alors dans le public que leur maître d'école avait déclaré infidèles tous ceux qui se tournaient vers la Mecque pour prier et qu'il insultait à la mémoire d'Ali, gendre du Prophète. Pour éviter l'indignation que cette découverte allait soulever, Abou-Yezîd s'en alla à Takîous et, dans les fréquentes excursions qu'il fit alors à Touzer, il essaya d'indisposer les habitants de cette ville contre leurs chefs. Accusé d'avoir émis l'opinion que la révolte contre le pouvoir temporel (soltan) était permise, il fut mis hors la loi par les magistrats de Castilia. En l'an 310 (922-3), il s'éloigna de cette contrée avec l'intention de faire le pèlerinage de la Mecque; mais, se voyant poursuivi, il quitta la province de Tripoli et revint à Takîous.

Après la mort d'Obeid-Allah, [fondateur de la dynastie fatemide,] Abou-'l-Cacem-el-Caïm [, fils et successeur de ce prince,] envoya aux habitants de Castilïa l'ordre d'arrêter Abou-Yezid. Le perturbateur s'enfuit en Orient où il accomplit le pèlerinage et, en l'an 325 (936-7), il rentra à Touzer sous un déguisement, fut dénoncé au gouverneur de la ville par Ibn-Forcan1 et mis en prison. A cette nouvelle, son ancien précepteur, Abou-AmmarAbd-el-Hamid-el-Ama (l'aveugle), chef de la secte nekkarite, partit pour Touzer en toute hâte avec une troupe de Zenata et somma le gouverneur à relâcher son ami. Voulant gagner du temps, ce fonctionnaire leur répondit que cela se ferait aussitôt qu'ils auraient acquitté leurs impôts. Fadl et Yezid, tous les

1 V. p. 141 de ce volume.

deux fils d'Abou-Yezîd, se mirent aussitôt à la tête de ces gens, se portèrent contre la prison, tuèrent les gardes et délivrèrent leur père.

Abou-Yezid passa alors dans la ville des Beni- Ouargla et, pendant l'espace d'une année qu'il séjourna chez eux, il fit plusieurs visites aux peuples de l'Auras, aux Beni-Zendak-IbnMaghraoua et aux Beni-Berzal, tribu qui habitait les montagnes situées au Sud d'El-Mecîla. Encouragé par la promesse de leur appui, il passa dans l'Auras avec Abou-Ammar et douze autres personnages influents et, arrivé chez les Nekkariens de Noualat, il y rassembla tous les Azzaba1 et une foule de Kharedjites. Alors,

1 L'un de nos manuscrits porte el-caraba (les parents); l'autre offre la leçon el-gharaba (les étrangers), mais il faut, sans doute, lire elazzaba (les hommes non mariés), c'est-à-dire les initiés, ou les affiliés à la secte kharedjite. Au sujet de cette appellation, M. Berbrugger a

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eu la bonté de nous communiquer la note suivante :

SUR L'EMPLOI DU MOT AZZAB, Azzaba, azzabïa, POUR DÉSIGNER

LES BENI-MZAB.

Cette expression est généralement connue et employée dans notre Sahara. La principale mosquée de Tougourt porte encore le nom de Djamà -el-Azzabïa. Le chef du pays, Cheikh-Abd-er-Rahman-benDjellab, m'a dit, en 1850, qu'à l'époque où les Beni-Mzab dominaient dans le Sud, leur lieu principal de prière à Tougourt se trouvait sur l'emplacement de la grande mosquée actuelle, d'où la désignation qui a persisté jusqu'à nos jours.

Parmi les dictons populaires qui caractérisent chacun des centres de population de l'Oued-Rir',—et qu'on attribue à un certain Bou-Mkhebeursid-el-Kornin, compagnon de Mahomet, mort et enterré à Sidi-Okba dans les Ziban, on remarque celui-ci :

Sahab el Azzaba fi R'omra

C'est-à-dire les amis des Mozabites sont à R'omra. En effet, les habitants de cette petite oasis, située au milieu des dunes, à 12 kilomètres au N. N. O. de Tougourt, passent pour avoir les opinions religieuses des gens du Mzab. Ils ne parlent pas l'arabe et n'emploient que le dialecte berber des R'ouara, dialecte qu'on appelle zenatïa dans le pays.

Etant à Guerara, oasis du Mzab, en février 1851, j'adressai une lettre au cheikh Baba à R'ardaïa pour l'avertir que je me proposais de visiter celte capitale, lui annonçant en même temps que j'irais attendre sa réponse à Berrian.

Ce chef religieux de l'Oued-Mzab envoya, à ce sujet, à Salah-ben

par l'entremise d'Abou- Ammar, il leur fit promettre, sous la for du serment, qu'ils combattraient les Fatemides, qu'ils pilleraient

Bas'aïd de la Djemaa de Berrïan, une lettre où il se sert du mot Azzaba pour désigner les habitants de cette ville:

عزابة بريان

Cette dernière circonstance surtout me fit penser que ce mot Azzaba désignait plutôt la secte que la nationalité. Cependant, des gens instruits du Mzab avec qui j'ai eu occasion d'en parler m'ont donné l'étymologie suivante, dont je leur renvoie toute la reponsabilité :

Les Beni-Mzab vivaient d'abord en Syrie; ils en sortirent du temps du Prophète et devant ses armes. C'est un d'entr'eux, leur docteur, Abd-er-Rahman-benou-Meldjoum, qui a tué le calife Ali.

Ils ont habité ensuite auprès de Sebkha Saharia, canton de Djerba, et aussi dans le Djebel-Nfoussa, à l'Ouest de Tripoli de Barbarie. Ils tiraient leur origine d'Arabes de l'Irac; et il y a encore aujourd'hui dans l'Oman des gens de leur secte; quand ils se rencontrent à la Mecque, ils ne manquent pas de fraterniser.

Une série d'aventures, qu'il serait trop long de raconter, mais dont la base est toujours quelque persécution motivée par leur hétérodoxie, les amène dans l'affreux pays appelé aujourd'hui le Mzab et qui se nommait alors Oued-Mezar, appellation dont il est resté des traces dans le Tmizert qu'on rencontre entre Bounoura et Mlika.

Arrivés dans cet endroit désolé, que personne ne devait songer à leur disputer, pensaient-ils, azebou, c'est-à-dire ils se fixèrent. De là, disentils, leur nom d'Azzaba.

Cependant, avant leur arrivée, il y avait, dans la contrée des Ouaslia qui durent se retirer devant les armes triomphantes d'Ammi-Mohammed-ou-Babakeur, chef des Beni-Mzab. Ceci est la version de ces derDiers, car une autre autorité aftribue cette conquète à Ammi-Mohammed-el-Sach, une illustration de Blidt-Ameur, petite oasis à environ 26 kilomètres au S. O. de Tougourt.

M. Prax a commis une grave erreur à propos du chef de la secte des Azzaba. Il a dit (Revue orientale, déc. 1849, p. 356):

« Mohammed-el-Kairoani, dans son Histoire de l'Afrique, traduite > par MM. Pelissier et Rémusat, nous montre le chef de cette secte, » Abaĭd-Allah, partant de la Mecque pour le Maghreb en 280 de l'Hé¬ » gire et convertissant les Berbères qui accouraient à lui de tous côtés. » D'abord, ce n'est pas Abaïd-Allah, mais Obéïd-Allah dont parle Kérouani; et l'Obéïd dont il raconte les aventures n'est pas le chef de la secte des Abadia, celle que suivent les habitants du Mzab, au dire de leurs théologiens.

Alger, 22 octobre 1854.

A. BERBRUGGER.

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leurs biens, qu'ils les réduiraient en esclavage et qu'ils se laisseraient gouverner par un conseil de cheikhs aussitôt qu'ils auraient pris les villes d'El-Mehdïa et de Cairouan. Ceci se passa en l'an 331 (942-3).

:

Profitant de l'absence fortuite de [Kennoun,] gouverneur de Baghaïa, Abou-Yezid envahit la plaine qui avoisine cette ville et y saccagea plusieurs bourgades. Ce fut de cette façon qu'en l'an 332, les Berbères trempèrent encore leurs mains dans la rebellion. Une seconde expédition faite du même côté fut moins heureuse les insurgés furent mis en déroute et durent se réfugier dans la montagne avec leur chef. Bientôt après, ils repoussèrent le gouverneur qui était allé les attaquer, et l'obligèrent à s'enfermer dans sa ville. Un corps de Ketama qu'Abou-'l-Cacemel-Caïm envoya au secours de Kennoun, fit alors sa jonction avec les troupes de Baghaïa, mais Abou-Yezîd le surprit dans une attaque de nuit et le mit en fuite. Malgré cet échec, la garnison de la ville résista vigoureusement aux assiégeants.

En l'an 333 (944-5), les Beni-Ouacîn et les autres peuplades berbères de la province de Castîlïa allèrent investir la ville de Touzer, en obéissance à l'ordre écrit que leur adressa AbouYezîd. Ce chef put alors marcher sur la ville de Tebessa, qui capitula sans coup férir, et, de là, il se porta sur Meddjana dont il se rendit maître de la même manière. La ville de Mermadjenna suivit l'exemple de ses voisins. Un âne de couleur grise que le perturbateur reçut en cadeau vers cette époque, lui servit dorénavant de monture, ce qui lui procura le sobriquet de l'Homme à l'âne. Les troupes ketamiennes postées à Laribus quittèrent leur position à la nouvelle de son approche et lui abandonnèrent la ville. Par son ordre, on ôta la vie à l'imam qui y présidait à la prière, et un de ses détachements occupa Tebessa1 et en tua le gouverneur.

El-Caïm, qui se trouvait alors dans El-Mehdïa, fut consterné de ces mauvaises nouvelles et expédia des troupes à ses autres

L'auteur a probablement oublié d'ajouter : pour la seconde fois.

villes et forteresses pour y tenir garnison. Son affranchi Bochra i l'esclavon se rendit à Bédja; son général Meiçour, nommé com→ mandant en chef de l'armée, dressa ses tentes en dehors d'ElMehdia, et Khalil-Ibn-Ishac partit pour installer une garnison dans Cairouan. Abou-Yezid, monté sur son âne et un bâton à la main, prit alors la route de Bédja afin de livrer bataille à Bochra, et il encouragea les Nekkarites à combattre jusqu'à la mort. Bochra s'enfuit à Tunis et laissa son camp au pouvoir des insurgés.{Bédja, pris d'assaut, fut livré au pillage et au massacre. Ge coup entraîna la défection de toutes les populations berbères. Les habitants de Tunis, se voyant abandonnés par Bochra, qui était allé se jeter dans Souça, firent leur soumission et obtinrent d'Abou-Yezîd un nouveau gonverneur. De là, ce chef rebelle se rendit au bord du Medjerda où il établit son camp en attendant l'arrivée des renforts qu'on lui envoyaient de tous les côtés. Pendant ce temps, les populations épouvantées coururent se réfugier dans Cairouan.

Abou-Yezid forma alors ses troupes en plusieurs divisions qu'il lança sur les campagnes de l'Afrique, afin d'y porter la dévastation. Le nombre de captifs faits par ces colonnes et le nombre de morts qu'elles laissèrent sur leur passage furent immenses. A la suite de ces incursions, il marcha sur Raccada, ville dont la garnison ketamienne s'éloigna à son approche pour rentrer dans El-Mehdïa, et il y arriva à la tête de cent mille hommes. En partant de là, il alla investir Cairouan et, comme le gouver neur, Khalil-Ibn-Ishac, entra en pourparlers, il lo retint prisonnier et lui ôta la vie, malgré les remontrances d'Abou-Ammar. La ville fut prise et livrée au pillage, et, quand les cheikhs du corps des légistes vinrent implorer la clémence du vainqueur, il les accabla de reproches et leur ordonna de massacrer les partisans des Fatemides, s'ils voulaient obtenir la grâce qu'ils désiraient. En quittant Cairouan, il envoya une ambassade à EnNacer l'oméïade, khalife de Cordoue, pour lui offrir ses ser

1 Ou Bechri.

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