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A cette époque, les Berbères voulaient fonder un empire pour eux-mêmes tout en soutenant les prétentions de quelques enfants d'Abd-Menaf. en combattant pour ces princes, ils dissimulèrent les véritables motifs de leur conduite et ils réussirent enfin à se constituer en nation indépendante. C'est ce qui arriva aux Ketama de l'Ifrîkïa et aux Miknaça du Maghreb. Jaloux de leur succès, les Zenata, tribu qui leur était bien supérieure en nombre et en puissance, se mirent aussi à l'œuvre et, comme eux, ils gagnèrent un premier lot dans ce jeu de la fortune. Ce fut ainsi que les Beni-Ifren, sous la conduite de l'Homme à l'âne, firent la conquête de l'Ifrîkïa et fondèrent, plus tard, un grand empire sous la direction de Yala-Ibn-Mohammed et de ses fils. Ensuite, les Maghraoua eurent leur dynastie, celle des Beni-Khazer, et disputèrent le pouvoir aux Beni-Ifren et aux Sanhadja. Quand les royaumes élevés par toutes ces races se furent écroulés, un nouvel empire s'établit en Maghreb par les efforts d'un autre peuple sorti de la même souche; la dynastie des BeniMerin occupa le Maghreb-el-Acsa, et celle des Beni-Abd-elOuad le Maghreb central où elle trouva des adversaires redoutables dans les Beni - Toudjîn et dans une partie des Maghraoua.

Nous raconterons en détail l'histoire de tous ces peuples et, en rapportant leurs hauts faits ainsi que les ramifications de leurs tribus, nous adopterons le plan que nous avons suivi dans. l'histoire des [autres] peuples berbères.

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ZENATA DE LA PREMIÈRE RACE.
NOTICE DES BENI-IFREN ET DES
EMPIRES QU'ILS FONDÈRENT EN IFRÎKÏA ET EN MAGHREB.

Les Beni-Ifren formaient la branche la plus considérable de la grande tribu des Zenata. Selon les généalogistes de cette race, ils descendent d'Ifri, fils d'Isliten, fils de Mesra, fils de Zakia, fils d'Ourcîk, fils d'Adidet, fils de Djana. Les Maghraoua, les Beni-Irnian et les Beni-Ouacîn sont frères des Beni-Ifren, tous ayant Isliten pour aïeul. En langue berbère, le mot ifri veut

dire caverne1. Quelques-uns de leurs généalogistes disent qu'lfri était fils de Quantiz, fils de Djana et frère de Maghraou, de Ghomert et d'Oudjedîdjen. D'autres le représentent comme fils de Morra, fils d'Ourcîf, fils de Djana; d'autres encore le regardent comme fils immédiat de Djana, mais sa véritable gé¬ néalogie est celle que nous avons rapportée sur l'autorité d'Ibn

Hazm 2.

Les Beni-Ifren se partageaient en un grand nombre de tribus dont les plus marquantes étaient les Beni-Ouargou et les Mérendjîsa. A l'époque de la conquête, ils étaient la tribu la plus nombreuse et la plus puissante de la grande famille zenatienne. On en trouvait des branches et des ramifications dans l'Ifrikïa, F'Auras, et le Maghreb central. Lors de l'invasion musulmane, quand l'Ifrikïa succomba aux armées de Dieu, les Berbères cédèrent à la puissance des Arabes vrais croyants et finirent par adopter sincèrement la religion des vainqueurs. Quand les doctrines du kharedjisme se répandirent parmi les Arabes de l'Orient, les partisans de cette hérésie, attaqués et vaincus par les khalifes, se jetèrent dans les provinces qui formaient les frontières de l'empire. En Afrique, ils répandirent leurs dogmes. parmi les Berbères, et comme les uns enseignaient les principes des Eibadites et les autres ceux du Sofrisme 3, ils établirent plusieurs sectes kharedjites, avec l'aide de leurs néophytes, les chefs berbères.

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Les Beni-Ifren prirent part à ce mouvement : ils adoptèrent la religion kharedjite et la soutinrent par la force des armes. Le premier d'entr'eux qui réunit une armée pour cet objet fut AbouCorra, natif du Maghreb central. Son exemple fut suivi par Abou-Yezid, surnommé l'Homme à l'âne, qui rallia sous ses dra

• Ifri et tifri signifient cachette ou caverne en langue berbère et dérivent du verbe effer (cacher). Il faut donc adopter la leçon ghur (caverne) dans le texte arabe.

2 Voy. p. 186 de ce volume.

3 Voy. t. 1, pp. 203, 204, note.

peaux non-seulement les membres de sa propre tribu, mais aussi les guerriers appartenant aux tribus d'Ouargou et de Mérendjîsa.

Plus tard, les Beni-Ifren renoncèrent au kharedjisme et, sous la conduite de Yala-Ibn-Mohammed-Ibn-Saleh et de ses fils, ils fondèrent deux empires dans le Maghreb-el-Acsa. Nous donne`rons en détail l'histoire de ces événements.

HISTOIRE D'ABOU-CORRA ET DU ROYAUME QUE LUI ET LES SIENS POSSÉDAIENT A TLEMCEN.

Plusieurs branches de la tribu d'Ifren habitaient cette partie du Maghreb central qui s'étend depuis Tlemcen jusqu'à la montagne habitée par les Beni-Rached, peuple dont elle porte le nom. Ce furent les Beni-Ifren qui fondèrent Tlemcen, ainsi que nous le dirons ailleurs. Vers l'époque où le khalifat passa des Oméïades aux Abbacides, les Beni-Ifren eurent pour chef Abou-Corra, personnage sur la famille duquel je ne possède aucun renseignement si ce n'est qu'elle faisait partie de la tribu dont il exerçait le commandement.

Lors de la révolte du Maghreb-el-Acsa, quand Meicera et son peuple se déclarèrent les champions de la religion kharedjite, les Berbères tuèrent ce chef et le remplacèrent par un zenatien nommé Khaled-Ibn-Hamid. On sait que Khaled fit la guerre à Kolthoum-Ibn-Eïad et le tua sur le champ de bataille 1. AbouCorra remplaça Khaled comme chef des Zenata.

A l'époque où l'empire oméïade de l'Orient penchait vers sa ruine, une foule de Berbères avaient embrassé le kharedjisme. Les Ourfeddjouma prirent alors la ville de Cairouan; les Hoouara et les Zenata occupèrent Tripoli ; les Miknaça s'emparèrent de Sidjilmessa, et Ibn-Rostém s'établit dans Tèhert. L'arrivée d'Ibnel-Achâth, que le khalife Abou-Djâfer-el-Mansour avait nommé gouverneur de l'Ifrîkïa, remplit d'effroi les populations berbères.

Voy. t. 1, pp. 217, 362.

Cet émir extirpa les maux qui avaient affligé le pays et mit un terme à la guerre civile.

Quelque temps après, les Beni-Ifren s'insurgèrent aux environs de Tlemcen, sommèrent les autres tribus de professer le kharedjisme et, en l'an. 148 (765), ils proclamèrent khalife leur chef Abou-Corra. Quand El-Aghleb-Ibn-Souada, général temîmien qu'Ibn-el-Achâth envoya contre eux, pénétra dans le Zab, Abou-Corra s'enfuit dans le Maghreb-el-Acsa; mais à peine ElAghleb se fut-il retiré, que le chef ifrenide rentra dans son pays.

Entre les années 150 et 160 (767-776), les Berbères prirent les armes contre Omar-Ibn-Hafs-Ibn-Abi-Sofra, surnommé Hezarmerd, et le tinrent bloqué dans Tobna. Au nombre des assiégeants se trouva l'ifrenide Abou-Corra à la tête de quarante mille Sofrites dont une bonne partie appartenait à sa tribu Omar, se voyant réduit presqu'à la dernière extrêmité, acheta la retraite de cet adversaire redoutable au prix de quarante mille pièces d'or pour lui et de quatre mille pour son fils, lequel avait conduit la négociation. Les autres Berbères levèrent alors le siége.

Bientôt après, une armée berbère de trois cent cinquante mille cavaliers, dont quatre-vingt-cinq mille sous les ordres d'Abou-Corra, vint bloquer Cairouan. Omar-Ibn-Hafs y mourut pendant le siége. Yezid-Ibn-Hatem arriva enfin avec le rang de gouverneur, dispersa toute cette multitude et brisa la coalition berbère. Abou-Corra et les Beni-Ifren regagnèrent leur pays, à Tlemcen, après avoir perdu sur le champ de bataille leur allié, Abou-Hatem-el-Kindi, chef des révoltés. Un grand nombre des Beni - Ifren pèrit dans cette expédition. Yezîd - IbnHatem envahit alors le Maghreb, châtia les habitants de ce pays et les ramena à l'obéissance. Depuis lors, aucune révolte n'éclata chez les Beni-Ifren jusqu'à ce qu'Abou-Yezîd eut soulevé les Beni-Ouargou et les Merendjîsa.

Certains historiens représentent Abou-Corra comme membre de la tribu de Maghîla; mais il ne m'a pas été possible de constater l'exactitude d'une assertion dont les preuves sont balancelles de l'opinion contraire. En effet, bien que les en

çées par

virons de Tlemcen fussent la localité qu'habitaient les Beni-Ifren, il est également certain que cette même région servait de séjour aux Maghîla. Les deux tribus demeuraient l'une à côté de l'autre, mais celle des Beni-Ifren était la plus forte et la plus nombreuse. Les Maghîla professaient la doctrine sofrite; et, pour cette raison, leur réputation comme Kharedjites était mieux établie que celle des Beni-Ifren, qui, au dire d'Ibn-Hazm et d'autres historiens, furent généralement regardés comme partisans de la doctrine orthodoxe des Sonnites.

HISTOIRE D'ABOU - YEZÎD LE KHAREDJITE, MEMBRE DE LA TRIBU DES
IFREN ET SURNOMMÉ L'HOMME A L'ANE.
FATEMIDES.

SA GUERRE CONTRE LES

Ce fut chez les Beni-Ouargou, tribu sœur de celle des Merendjîsa et appartenant, comme elle, à la grande famille des Ifren. que naquit Makhled-Ibn-Keidad, surnommé Abou-Yezîd. Voilà tout ce que l'on sait rélativement à la parenté qui existait entre cet homme et les Beni-Ifren. Ibn-Hazm fournit [il est vrai,] un renseignement à ce sujet : « Abou-Youçof-el-Ouerrac, dit-il, » m'a raconté qu'il tenait d'Aïoub, fils d'Abou-Yezîd, que le >> nom de son père était Makhled, fils de Keidad, fils de Sâd» Allah, fils de Moghith, fils de Kerman, fils de Makhled, fils » d'Othman, fils d'Ourîmt, fils de Djounfer, fils de Semîran, fils » d'Ifren, fils de Djana lequel est Zenata. Quelques Berbères >> m'ont communiqué d'autres noms à insérer dans cette liste, >> entre Ifren et Djana.» L'historien Ibn-er-Rakîk dit qu'AbouYezid appartenait aux Béni-Ouacîn-Ibn-Ourcîk-Ibn-Djana, tribu dont nous avons indiqué l'origine au commencement de ce volume.

Keidad, père d'Abou-Yezîd, visitait souvent le pays des Noirs (Soudan) pour y faire le commerce. Son fils naquit d'une concubine nommée Sebîka et vit le jour à Kaokao, ville située dans cette région. Ramené par son père à Guîtoun-Zenata, dans la province de Castilia, il séjourna tantôt à Touzer et tantôt à Takîous.

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