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Quand le sultan se présenta devant la ville, Abou-Bekr-IbnYemloul vint faire sa soumission et se mêler au cortége royal; mais, ayant bientôt reconnu que le gouvernement hafside en voulait à ses jours, il éprouva un vif regret de sa démarche imprudente et saisit la première occasion pour passer dans le Zab. Youçof-Ibn-Mozni lui fit un de ces accueils hospitaliers et généreux dont le peuple se plaît à rappeler le souvenir. Le sultan incorpora Touzer dans ses états et y établit son fils, l'émir Abou-'l-Abbas, en qualité de gouverneur. Rentré à Tunis à la suite de cette conquête, il mourut dans son lit, après avoir joui d'un long règne. Nous parlerons de sa mort dans un des chapitres suivants.

Les états d'Abou-'l-Abbas ayant enfin reçu la continuité qui leur manquait, se composèrent maintenant de toutes les villes du Djerid. Abou-Bekr-Ibn-Yemloul essaya plusieurs fois de reprendre Touzer, mais dans chacune de ces tentatives il faillit perdre la vie. Sa mort eut lieu à Biskera, en 747 (1346-7), quelque temps avant celle du sultan. L'émir Abou-'l-Abbas travailla sans cesse à maintenir l'ordre dans les contrées placées sous son commandement; il n'avait épargné aucun effort pour renverser les chefs qui s'y étaient rendus indépendants; mais il ne put réussir à obtenir la soumission d'Ibn-Mekki, cheikh de la ville de Cabes. Reprenons l'histoire de ce chef.

Abd-el-Ouahed-Ibn-el-Lihyani ayant quitté Tunis avec Abdel-Mélek-Ibn-Mekki, passa en Maghreb et laissa ce chambellan à Cabes. Quand la puissance des Abd-el-Ouadites fut anéantie, Abd-el-Mélek craignit les conséquences de sa conduite et chargea son frère, Ahmed-Ibn-Mekki, d'aller solliciter la bienveillance du sultan mérinide, Abou-'l-Hacen, en le priant d'intercéder pour lui auprès du sultan [Abou-Yahya-] Abou-Bekr. Ayant ainsi obtenu sa grâce, il reprit le commandement de Cabes, avec l'autorisation du sultan hafside, et, s'étant dès-lors appliqué à bien remplir son devoir, il renonça à ses anciennes habitudes de révolte et d'insoumission. Quant à Ahmed-Ibn-Mekki, il réu-nissait à de grands talents une passion extrême pour le pouvoir et les grandeurs. Bon poète et prosateur élégant, il était, de plus,

T. III.

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calligraphe habile. Dans son écriture il employait le caractère oriental, ainsi que font les habitants du Djerîd, et, pour tracer des chefs-d'œuvre, il n'avait qu'à le vouloir. Toutes ces qualités inspiraient à l'émir Abou-'l-Abbas le désir de lui être utile, mais Ahmed, sachant à quel point il s'était compromis, en se mêlant à tant de révoltes 1, hésita de répondre aux avances qu'on lui fit. De son côté, l'émir usa d'adresse pour parvenir à ses fins, et il réussit à faire la rencontre de cet homme chez la princesse Ama-t-el-Ouahed (servante du Dieu unique), sœur du sultan, laquelle revenait de la Mecque. Profitant de cette occasion, il dissipa les appréhensions d'Ibn-Mekki et se l'attacha comme serviteur et comme ami. Dans cette position avantageuse, Ahmed se vit enfin porté au faîte des grandeurs, et, outre le gouvernement qu'il possédait déjà, il reçut du sultan celui de l'île de Djerba. Makhlouf-Ibn-el-Kemad, l'officier qui y avait commandé jusqu'alors, dut obéir à l'ordre du souverain et résigner sa place. Il avait 'conquis cette île en l'an 738 (1337-8), et en avait alors pris le commandement avec l'autorisation du sultan. Ahmed-Ibn-Mekki s'y fixa; son frère, Abd-el-Mélek, conserva le commandement de Cabes, et ils continuèrent tous les deux à servir l'émir Abou-'lAbbas avec le dévouement le plus parfait.

MORT DU VIZIR ABOU-'L-ABBAS-IBN-TAFRAGUÎN.

Après la mort d'Ibn-el-Hakîm, le sultan donna la place de chambellan et le gouvernement du palais au grand cheikh des Almohades, Abou-Mohammed-Ibn-Tafraguîn. Abou-'l-Abbas Ahmed, frère de celui-ci, fut élevé au vizirat et, pendant qu'AbouMohammed tenait ses séances administratives à la porte du sultan, en qualité de chambellan, il se chargea, lui, du commandement de l'armée et du gouvernement de toutes les plaines et campagnes de l'empire.

1 Lisez atharihi dans le texte arabe.

2 C'est à tort que les manuscrits du texte arabe portent 788.

A la suite de ces mutations, les Beni-Soleim commencèrent à s'impatienter de l'état de soumission auquel Hamza-Ibn-Omar les avait conduits, et, maintenant que ce chef ne vivait plus, ils aspiraient à reprendre leurs anciennes habitudes de révolte et de brigandage. Nous avons déjà parlé des incursions faites par les fils de Hamza, et poussées jusqu'aux portes de la capitale, et nous dirons ici que les Aulad-el-Cos, fraction des Hakîm [tribu soleimide], eurent alors pour chef le nommé Soheim, qui s'était toujours montré un vrai coryphée de sédition, un démon de perversité. Or, le sultan avait nommé le cheikh almohade, Abou'l-Cacem-Ibn-Ottou, à la place de chambellan auprès de l'émir Abou-'l-Abbas, gouverneur du Djerîd. Ce ministre prétendait que sa famille était tout aussi noble que celle des Tafraguîn, et voyait avec jalousie la haute position à laquelle ceux-ci étaient parvenus. En apprenant la nomination d'Abou-Mohammed aux fonctions de chambellan, il eut le cœur gonflé de haine et d'envie, et l'on dit que, par la promesse d'une récompense, il poussa ce brigand Soleim à faire une tentative contre la vie d'Abou-'lAbbas-Ibn-Tafraguîn, général de l'armée. Quoiqu'il en fût, Abou-'l-Abbas se mit en campagne au commencement l'an 747 (mai 1346) afin de faire rentrer les impôts dus par les Hoouara. Soleim, accompagné de sa tribu, vint le trouver, et, après avoir mis ses services à un prix exorbitant, il attendit quelques jours dans l'espoir de le surprendre. Les troupes almohades, attaquées par lui dans leur camp, prirent la fuite, et Abou-'lAbbas, dont le cheval s'était abattu, perdit la vie. Après s'être mis en révolte ouverte, Soleim alla se réfugier dans les sables du Désert, et il y resta jusqu'à la mort du sultan. Le corps d'Abou-'l-Abbas fut porté à Tunis pour y être enterré.

MORT DE L'ÉMIR ABOU-ZÉKÉRÏA, SEIGNEUR DE BOUGIE. *RÉVOLTE
DE CETTE VILLE CONTRE L'ÉMIR ABOU-HAFS.
L'ÉMIR ABOU-
ABD-ALLAH EN EST NOMMÉ GOUVERNeur.

Lors de la mort d'Ibn-Ghamr, l'émir Abou-Zékérïa, fils aîné du sultan, reçut de son père le gouvernement de Bougie et partit

pour cette ville avec son chambellan, Mohammed-Ibn-el-Caloun. Ce ministre, qui avait été chargé par le sultan de la haute direction des affaires, s'en retourna à Tunis quelque temps après, et fut remplacé par Ibn-Séïd-en-Nas. Celui-ci, ayant ensuite obtenu la place de chambellan à Tunis, établit à Bougie, comme son lieutenant, Abou-Abd-Allah[-Mohammed]-Ibn-Ferhoun. Lors de l'arrestation d'Ibn-Séïd-en-Nas et d'Ibn-Ferhoun, l'émir Abou-Zékérïa prit lui-même les rènes du gouvernement, avec l'approbation du sultan, lequel lui envoya, comme chef de la force armée, Dafer-es-Sinan, affranchi de l'émir Abou-Zékérïa II, et comme chambellan, le secrétaire Abou-Ishac-Ibn-Allan. Au bout de quelque temps, le prince les renvoya à Tunis et choisit pour chambellan Abou-'l-Abbas-Ahmed-Ibn-Abi-Zékérïa-erRondi (natif de Ronda, en Espagne) personnage dont le père avait été homme d'étude, partisan des doctrines professées par les mystiques les plus exaltés et lecteur assidu des ouvrages composés par Abd-el-Hack-Ibn-Sebaîn. Ahmed fut élevé à Bougie et, étant entré au service du gouvernement, il monta de grade en grade et obtint, enfin, d'Abou-Zékérïa la place que nous venons de mentionner.

Le sultan [Abou-Yahya-] Abou-Bekr voyait avec un vif déplaisir un homme de si peu de naissance remplir les fonctions de chambellan auprès de son fils; aussi, quand Ahmed mourut, il envoya de Tunis à Bougie Abou-Mohammed-Ibn-Tafraguîn, grand chef des Almohades et premier ambassadeur de l'empire. Arrivé à sa destination, après l'an 740 (1340), cet officier rétablit l'ordre dans l'administration, rehaussa la dignité du prince et le décida à sortir avec l'armée pour faire une tournée dans ses états. Cette expédition ne s'arrêta qu'aux environs d'El-Mecîla et de Maggara, sur l'extrême frontière de la province. Une année s'était à peine écoulée qu'Ibn- Tafraguîn se fit rappeler à Tunis pour y remplir ses anciennes fonctions et pour éviter la haine que les cheikhs de Bougie lui témoignaient, haine qui eut pour

4 Voy. tome II, page 314.

causes l'étiquette qu'il avait établie au palais et les obstacles qu'il avait opposés aux personnes qui voulaient se faire présenter au prince. L'opposition qu'il y éprouva provenait surtout du cadi Ibn-Abi-Youçof, auquel le cérémonial d'une cour n'avait inspiré que le dégoût et le mépris.

Après le départ d'Ibn-Tafraguîn, l'émir Abou-Zékérïa rappela Ibn-Ferhoun, son ancien chambellan du temps d'Ibn-Seîd-enNas. Chargé d'une mission auprès du roi de Maghreb, IbnFerhoun s'était embarqué dans un des navires que le gouvernement tunisien envoya au secours des vrais croyants, lors de la descente du sultan Abou-'l-Hacen à Tarifa. Son frère Zeïd commandait ce bâtiment en sa qualité de caïd maritime de Bougie. Revenu de ce voyage, il entra de nouveau, et avec l'approbation du sultan, au service de l'émir Abou-Zékérïa, et jusqu'à sa mort, il ne cessa de remplir les fonctions de chambellan. Ibnel-Cachach, successeur d'Ibn-Ferhoun et créature de la famille royale, fut destitué par le prince, qui lui préféra Abou-'l-CacemIbn-Alennas. Celui-ci était sorti des bureaux du gouvernement pour prendre service dans la maison de l'émir; il monta ensuite de grade en grade et se vit enfin porté au rang de chambellan. Il fut remplacé par Ali-Ibn-Mohammed-Ibn-el-Ment-el-Hadrami, personnage dont le père et l'oncle étaient venus en Afrique avec les émigrés andalousiens. Ces deux frères se mirent à enseigner la lecture du Coran selon les différents systèmes reçus, et l'un, Abou-'l-Hacen-Ali, en donna des leçons à Bougie. Il y devint aussi prédicateur de la grande mosquée. Son neveu, Ali-IbnMohammed, passa sa jeunesse dans cette ville et obtint un emploi dans les bureaux de l'administration. Poussé par l'ambition, il fit connaissance avec Omm-el-Hakem, concubine chérie de l'émir Abou-Zékérïa, et, profitant de l'influence de cette femme, il reussit à se faire nommer chambellan. Dans cette position il sut pourvoir avec habileté à tous les besoins de son maître, lui procurer les moyens de voyager commodément et lui fournir

Voy. tome 1, page 405.

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