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connaître l'autorité de cette dynastie et à répudier la souve raineté de la famille Bologguîn qui régnait à Cairouan. Ceci eut lieu lors du démembrement de l'empire zîride. Dans les premiers temps de la dynastie almohade, la présidence appartenait encore à la famille Forcan, dont un des membres alla présenter ses hommages et ceux de ses compatriotes à Abd-el-Moumen. Ce sultan accueillit favorablement la démarche d'Ibn-Forcan et lui fit un beau cadeau. Les Almohades [hafsides], ayant établi leur autorité dans Touzer, supprimèrent le conseil des cheikhs et en firent disparaître jusqu'à l'ombre d'indépendance.

Ahmed, l'aïeul des Yemloul, avait nourri, depuis sa jeunesse, l'espoir de commander dans sa ville natale, mais il rencontra chez les autres notables une vive opposition à son projet. Dénoncé par eux à Mohammed-el-Fazazi, général en chef des armées du sultan Abou- Hafs, il se vit emprisonner et mettre à la torture, jusqu'à ce qu'il eût payé au fisc une forte somme d'argent.

Ce premier échec ne servit qu'à exciter son ardeur : il se rendit à la capitale où il espérait obtenir du khalife le rétablissement de sa fortune. Après y avoir passé quelque temps à courir les antichambres des vizirs et des grands; à baiser les pieds des amis et des domestiques du prince; à prodiguer le reste de son argent pour exciter leur intérêt et gagner leur faveur, il obtint l'intendance du divan maritime [douane] situé près du débarcadère, et dans lequel se tiennent les agents chargés de percevoir dix pour cent sur les marchandises des négociants européens. Dans cet emploi il fit preuve d'une telle habileté qu'il se fit donner l'administration de tous les impôts de la capitale. Il prit alors l'engagement de payer les employés et pensionnaires de l'Etat et de verser encore au trésor un revenu considérable. Pendant la période assez longue de son administration il eut l'occasion de s'enrichir, tout en augmentant les recettes du gouvernement et, dans les trésors qu'il parvint à amasser, il posséda le de fermer la bouche aux envieux et de leur offrir les ob

moyen

jets les plus recherchés que l'Europe pouvait fournir. Égaré enfin par l'insolence qui accompagne les richesses, il tint, à tout

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propos, des discours imprudents et laissa percer ses projets ambitieux. On le dénonça au chambellan, et un rescrit, émané du sultan Abou - Yahya - el-Lihyani, ordonna son arrestation et la confiscation de ses biens. Forcé par les douleurs de la torture à payer une amende de deux cent mille pièces d'or, il se trouva obligé de vendre tout ce qu'il avait acquis par son travail et jusqu'à sa bibliothèque. Il sortit de cette épreuve, la réputation compromise, le corps déchiré, ses richesses perdues, et réduit à mendier le logement, l'habillement et la nourriture. Echappé à la mort et n'ayant plus qu'un souffle de vie, il rentra à Touzer où, courbé par le malheur et repoussé par les notables, il reprit un métier auquel leur fierté les empêchait de descendre. A force de courtiser les grands et de se fatiguer en remplissant leurs commissions, il arracha encore un sourire à la fortune qui lui tendit la main. Le gouvernement hafside, préoccupé par les événements de Bougie et de Constantine, laissa faiblir son influence dans le Djerid au point que les populations de ce pays restèrent sans gouverneurs. Les conseils des cheikhs s'organisèrent comme auparavant, et Ahmed-Ibn-Yemloul atteignit à la présidence de Touzer ainsi que les bulles d'air s'élèvent à la surface de l'eau 2. Jouissant enfin du succès de ses efforts, il donna du repos à un cœur si longtemps agité et, jusqu'à sa mort, il conserva le haut commandement. Il cessa de vivre après avoir vu s'écouler l'an 718 (1318--9).

Yahya, fils d'Ahmed-Ibn-Yemloul, hérita de son ambition. Pendant toute sa vie il travailla pour écarter du pouvoir les autres grands de la ville et, afin de mieux accabler ses rivaux, il chercha un appui dans les classes inférieures. Il eut bientôt gagné l'affection des gens du peuple en buvant du vin [de palmier?] avec eux et en se livrant ouvertement à toutes les folies de la jeunesse. Ses adversaires tombèrent successivement dans

1 Dans le texte arabe, lisez theroura à la place de theroua.

2 Cette expression est empruntée d'un poëme composé par Emro-'lCaï's. Voy. Diwan d'Amro'lkais, p. 21, 1. 6.

labîme; les uns furent mis à mort, les autres bannis ou rendus des objets d'effroi pour le monde civilisé. Rien ne le détourna de -la vengeance; ni les liens de sang, ni la crainte de Dieu, ni les remontrances du sultan. Parvenu enfin à se faire le champ libre, il exerça le commandement de sa ville natale avec une autorité encore plus forte que celle de son père. Il mourut dans la cinquième année de son pouvoir usurpé.

par

Mohammed, frère du précédent et son compagnon dans la lice de l'ambition, la parcourut jusqu'au bout, saisit la balle au bond et monta sur le trône. Après avoir supprimé le conseil des cheikhs, il rechercha l'amitié des Arabes nomades afin de fortifier sa domination et de se garantir contre le sultan. Appuyé les Aulad-Abi-'l-Leil, auxquels son père Ahmed s'était alliée en donnant sa sœur, ou sa tante, en mariage à leur aïeul Abou'l-Leil, il parvint à jouir d'une grande renommée, d'une haute puissance et d'un long règne. Les souverains de Tunis, forcés d'attendre un retour de fortune pour rétablir leur pouvoir, s'abaissèrent jusqu'à lui écrire et à placer entre ses mains l'administration de toute cette région. Vers l'an 740 (1139-40), le caïd Ibn-el-Hakim marcha contre Mohammed-Ibn-Yemloul et se contenta d'en recevoir une somme d'argent et un simple acte de soumission; il ne voulut pas même accepter comme otage le fils de ce chef, dont la sincérité lui paraissait hors de doute1. Rien ne se changea dans la position de Mohammed jusqu'à sa mort, événement qui eut lieu vers l'an 744 (1343-4).

Abd-Allah-Ibn-Yemloul succéda à son père Mohammed et prit les rênes du gouvernement avec l'approbation ostensible de son oncle, Abou-Zeid-Ahmed; mais, au moment ou il alla confier à la terre le corps de son père, il tomba sous le poignard de cet ambitieux. Les assistants se jetèrent sur l'assassin et l'étendirent mort auprès du cadavre de sa victime.

Yemloul-Ibn-Ahmed, frère de Mohammed, se chargea alors du commandement. Les quatre mois de son administration fu

• Lisez istinamatan dans le texte arabe.

rent un temps d'oppression et de tyrannie: il ne faisait que verser le sang, violer les femmes et confisquer les biens de ses sujets. Telle fut l'extravagance de sa conduite que les uns le regardaient comme fou et les autres comme infidèle. Les habitants de Touzer, ne pouvant plus se contenir, envoyèrent secrètement à son frère, Abou-Bekr, que l'on retenait prisonnier à Tunis, et l'invitèrent à venir et à prendre le commandement. Abou-Bekr s'adressa au sultan et obtint sa liberté en prenant l'engagement de lui obéir et de payer l'impôt. Il partit alors pour Touzer avec une petite troupe d'Arabes nomades, et, secondé par les Nefzaoua qui habitaient les nombreux villages des environs de Touzer, il s'empara de cette ville dans une attaque de nuit. Son frere Yemloul lui fut livré par le peuple et mourut en prison après deux jours de détention; le vainqueur ayant déclaré qu'il ne le protégerait pas 1.

A l'époque où les localités du Djerîd passèrent sous l'administration de conseils indépendants, Cafsa avait déjà pour président Yahya-Ibn-Mohammed-Ibn-Ali-Ibn-Abd-el-Djelîl, membre de la famille Abed, une des premières maisons de la ville. Les Abed prétendent remonter à Bila 2, et avoir vécu en confédération avec plusieurs fractions de la grande tribu de Soleim. On ne saurait préciser l'époque de leur établissement à Cafsa, mais on sait qu'ils s'incorporèrent dans la population de cette ville et qu'ils y prirent rang avec les deux familles les plus puissantes, les Beni-Abd-es-Samed et les Beni-Abi-Zeid. Sous le règne d'Abou-Zékérïa I, la présidence de Cafsa fut exercée par un membre de la famille Abou-Zeid auquel ce monarque avait confié la perception de l'impôt dans le Djerîd. Accusé d'avoir détourné une partie des sommes qu'il venait de recueillir, ce fonctionnaire perdit sa place et encourut une amende de plusieurs milliers [de pièces d'or]. Après lui, la présidence fut exercée, tantôt par l'une, tantôt par l'autre de ces familles. Lors

Un peu plus loin, l'auteur reprend l'histoire de cette famille.

2 Tribu himyerite, descendue de Codâa.

T. III.

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du rétablissement des conseils administratifs dans le Djerîd, l'esprit d'indépendance renaquit à Cafsa et, comme les BeniAbed y formaient le parti le plus puissant, leur chef, Yahya-IbnAli, obtint la présidence.

Quand le souverain mérinide, Abou-'l-Hacen, mit le siége devant Tlemcen, le sultan hafside fut délivré des embarras que lui causèrent les Beni-Abd-el-Ouad et trouva le temps de songer aux mesures qui devaient assurer la tranquillité du royaume et rétablir l'ordre dans ses provinces frontières. Il commença par Cafsa et, en l'an 735 (1334-5) il y mena son armée composée des troupes almohades, des divers corps de la milice et de ses alliés arabes. Pendant un mois ou davantage les habitants résistèrent à un blocus très-rigoureux; mais, ayant vu abattre une partie de leurs dattiers, ils reconnurent la nécessité de la soumission et ouvrirent leurs portes au sultan. Une grande partie de la famille Abed se réfugia auprès d'Ibn-Mekki, à Cabes; le reste de la population fit sa soumission et obtint une amnistie. Le vainqueur établit chez eux une administration équitable, écouta toutes les réclamations et fit aux habitants l'honneur de laisser au milieu d'eux son fils, l'émir Abou-'l-Abbas, le même qu'il désigna plus tard comme son successeur. Au moment de repartir pour la capitale, il nomma ce prince gouverneur du Djerîd. Yahya-Ibn-Ali, l'ex-président, fut emmené à Tunis par le sultan, et il y mourut en l'an 744 (1343-4).

L'émir Abou-'l-Abbas soumit le Djerîd et s'empara de Nefta, ainsi que nous l'avons déjà dit. Il fit alors mourir les membres de la famille Khalef dont nous donnons ici les noms: Modafê et ses trois frères, Abou-Bekr, Abd-Allah et Mohammed, Ahmed, fils de ce Mohammed, et Khalef, fils d'Ali-Ibn-Khalef-Ibn-Modafê, neveu des précédents.

Les Beni-Khalef descendaient des Ghassan, peuplade qui entra en Afrique avec les avant-coureurs de l'armée arabe, lors de la

1 Le texte arabe ajoute ici aïam, c'est-à-dire sous le règne de, sans indiquer le nom du souverain qui exerçait le pouvoir.

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