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rent la supériorité et fondèrent un autre empire. Ils possédèrent aussi Dénia, la Sardaigne, Maïorque, la Sicile et les autres îles de cette mer dont leurs flottes remplissaient tous les parages. Ensuite ils s'avancèrent jusqu'aux côtes de la Syrie et s'emparèrent de Jérusalem. Leur supériorité dans la Méditerranée céda devant la puissance irrésistible que l'empire almohade s'était acquise par le nombre de ses vaisseaux et l'habileté de ses marins; mais, dans les dernières années de cette dynastie, les Francs obtinrent encore la supériorité. Sous la dynastie des Merinides, les flottes du Maghreb défirent les Francs en plusieurs rencontres ; dès-lors, l'ardeur de ce peuple resta assoupie; l'unité de la France, siége de leur domination, fut brisée1, et les nombreux débris de cette nation franco-chrétienne, tels que Barcelonne, Gènes et Venise, se constituèrent en états indépendants. Un grand nombre de musulmans, habitants du littoral de l'Ifrîkïa, entreprit alors d'attaquer ces contrées, et l'habitude de faire la course contre les chrétiens s'établit à Bougie, il y a une trentaine d'années.

La course se fait de la manière suivante : une société plus ou moins nombreuse de corsaires s'organise; ils construisent un navire et choisissent pour le monter des hommes d'une bravoure éprouvée. Ces guerriers vont faire des descentes sur les côtes et les îles habitées par les Francs; ils y arrivent à l'improviste et enlèvent tout ce qui leur tombe sous la main ; ils attaquent aussi les navires des infidèles, s'en emparent très-souvent et rentrent chez eux, chargés de butin et de prisonniers. De cette manière Bougie et les autres ports occidentaux [ de l'empire hafside] se remplissent de captifs; les rues de ces villes retentissent du bruit de leurs chaînes, surtout quand ces malheureux, chargés de fers et de carcans, se répandent de tout côté pour travailler à leur tâche journalière. On fixe le prix de leur rachat à un taux si élevé qu'il leur est très-difficile, et souvent même impossible de l'acquitter..

4 Lisez ikhtall dans texe arabe

Les peuples chrétiens supportèrent avec impatience un tel état de choses navrés de douleur et trop faibles pour se venger eux-mêmes, ils adressèrent leurs plaintes au sultan qui habitait la France, bien loin d'eux. Ne pouvant s'en faire écouter, ils se communiquèrent mutuellement leurs griefs, et s'invitèrent, les uns les autres, à faire une descente dans le pays des musulmans et à y prendre leur revanche.

Le sultan Abou-'l-Abbas eut connaissance de leurs préparatifs et chargea son fils, l'émir Abou-Fares, de rassembler les populations des cantons [maritimes] et de guetter l'arrivée de la flotte ennemie. En l'an 792 ( 1390 ), les vaisseaux de Gènes, de Barcelone et d'autres localités, les uns proches, les autres éloignés, se réunirent dans le premier de ces ports, et, vers le milieu de la même année ( juin ou juillet), la flotte combinée mouilla inopinément dans la rade d'El-Mehdïa. Comme cette ville est hâtie sur l'extrêmité d'une langue de terre qui s'avance dans la mer, l'ennemi construisit une muraille de bois à travers l'isthme, afin d'empêcher toute communication avec le continent et de se rendre maîtres de la forteresse. Ils y bâtirent des tours dans lesquelles ils installèrent des soldats, tant pour attaquer la ville que pour repousser les musulmans qui viendraient au secours des assiégés. Du côté de la mer ils construisirent une tour de bois assez haute pour commander les murailles de la ville et y porter le ravage. Comme la place était alors étroitement bloquée et ne pouvait rien recevoir des nombreux secours qui lui arrivaient de tous côtés, les habitants combattirent avec la certitude d'une glorieuse récompense dans l'autre monde et se défendirent avec une constance inébranlable.

Le sultan se préoccupa vivement de leur position et fit partir pour El-Mehdïa plusieurs détachements de troupes. Ensuite, son frère, l'émir Abou-Yahya-Zékérïa, quitta Tunis avec les fils du sultan, et mena contre l'ennemi toutes les troupes qui étaient encore disponibles. Les Arabes nomades et les autres populations lui envoyèrent aussi des combattants, de sorte que la plaine d'El-Mehdïa fut remplie de monde.

Les Francs, attaqués vigoureusement et accablés d'une grêle

de traits, cherchèrent d'abord un abri derrière leurs retranchements, mais ensuite ils sortirent contre les musulmans et leur livrèrent bataille. Dans cette rencontre, les fils du sultan se couvrirent de gloire, et l'un d'eux, Abou-Fares, faillit perdre la vie. A la suite de ce combat, les habitants lancèrent sur l'ennemi, du haut de leurs remparts, une pluie de pierres, de flêches et de naphte [enflammée] ; ils parvinrent même à incendier la tour qui les dominait du côté de la mer. Les assiégeants furent tellement découragés en voyant brûler cet édifice, qu'ils s'embarquèrent le lendemain et partirent pour leur pays. Les musulmans sortirent alors de la ville, en se félicitant de leur délivrance et en remerciant les princes qui étaient venus à leur secours. Dieu repoussa les infidèles; ils partirent furieux et n'obtinrent aucun avantage. Dieu épargna aux musulmans la peine de combattre 1.

L'émir Abou-Yahya reprit le chemin de Tunis après avoir donné l'ordre de réparer les murs de la ville et d'en fermer les brèches.

RÉVOLTE ET SIEGE DE CAFSA.

Après avoir effectué la réduction de Cafsa le sultan y installa, comme gouverneur, son fils, l'émir Abou-Bekr, et plaça auprès de lui, en qualité de ministre, le nommé Abd-Allah-etToreiki, officier qui était parvenu à un haut rang dans le service de l'empire après avoir été affranchi par le sultan Abou-YahyaAbou-Bekr. Une année plus tard, l'émir Abou-Bekr abdiqua le pouvoir et, en l'an 782 (1380-4), il alla rejoindre son père à Tunis. Et-Toreiki, dont le sultan estimait beaucoup le talent et la capacité, reçut alors le commandement de la ville et le garda jusqu'à sa mort, événement qui eut lieu en 794 (1391-2). Mohammed, son fils et successeur, avait plusieurs frères consan

Coran; sourate 33 verset 25.

2 Voy. ci-devant, page 95.

guins auxquels son élévation inspira une profonde jalousie. Cédant aux conseils perfides d'un parent d'Ahmed-Ibn-el-Abed, nommé Ed-Doneiden', ces jeunes gens emprisonnèrent leur frère et se mirent en révolte. Ed-Doneiden n'avait pas été atteint par la proscription dont le sultan frappa les membres de la famille Abed et, pour cette raison, il était resté à Cafsa où il remplissait, avec intelligence et probité, les fonctions de distributeur des eaux de la ville. Invité alors par les notables d'expulser tous les fils d'Et-Toreiki, qu'ils croyaient disposés à faire leur soumission au sultan, il s'empara du commandement que ses aïeux avaient déjà exercé, chassa les Beni-'t-Toreiki et confisqua leurs biens.

Le sultan, voyant les Cafsiens persister dans leur égarement malgré ses remontrances et ses menaces, rassembla une armée, soudoya les Arabes et se mit en marche. Vers le milieu de l'an 795 (mai 1393) il campa sous les murs de Cafsa et, ayant reconnu que les habitants s'y étaient fortifiés, il les attaqua vigoureusement et leur fit éprouver des pertes considérables. Au moyen d'un blocus sévère il leur coupa les vivres et, ensuite, il fit abattre [une partie de] leurs dattiers, afin de faciliter ses communications. Les assiégés étaient réduits à la dernière extrêmité quand leur cheikh, Ed-Doneiden, se rendit auprès de lui afin de ratifier une capitulation qui devait assurer le salut de la ville et des habitants. En le voyant arriver, le sultan trahit sa parole et le fit arrêter, croyant hâter ainsi la reddition de la place.

Il y avait alors dans Cafsa un autre membre de la famille ElAbed, nommé Omar-Ibn-el-Hacen. Parti pour le Maghreb après la chute de sa famille, cet homme était ensuite rentré dans le Zab. Quand Ed-Doneiden se fut emparé du commandement, Omar se rendit auprès de lui; mais, quelques jours plus tard, il fut emprisonné par son parent dont il avait encouru les soupçons. Quand les notables de Cafsa apprirent la conduite déloyale du

'La derniére syllabe de ce nom s'écrit avec dal-kesré, noun. Le waou du texte arabe imprimé est de trop.

sultan, ils se rallièrent à Omar et lui confièrent le commandement. Ensuite, ils cherchèrent à exciter la commisération des tribus arabes et, pour les toucher davantage, ils leurs firent passer de l'argent avec le conseil de ne pas risquer la perte des trésors qu'elles avaient déposés dans la ville. Soula-Ibn-Khaled répondit à leur appel et, profitant de l'éloignement des Arabes, alliés du sultan, lesquels s'étaient répandus dans les environs pour faire paître leurs chameaux, il déploya ses étendards à l'improviste et parut à la tête de son peuple, les Aulad-Abi-'l-Leil. Le sultan abandonna aussitôt ses positions et, étant bien secondé par ses fils et ses officiers, il repoussa les troupes de Soula qui s'étaient mises à sa poursuite. Prenant alors la route de Tunis, il opéra sa retraite en combattant, et il rentra dans sa capitale sans avoir rien laissé gagner à l'ennemi excepté de bons coups de sabre et de lance.

Soula se repentit bientôt de la faute qu'il avait commise et envoya au sultan l'offre de sa soumission; puis, voyant repousser ce témoignage de respect, il passa dans ses quartiers d'hiver, en l'an 796 (1394), et appela auprès de lui Ibn-Yemloul qui avait établi à Biskera son nid de sédition. Ahmed-Ibn-Mozni consentit volontiers au départ de son protégé, être aussi pervers que lui-même. Soula se mit alors en marche avec sa tribu et emmena Ibn-Yemloul devant Touzer, dont il voulait entreprendre le siége; mais, découragé par l'attitude ferme du gouverneur, El-Montacer, il quitta son compagnon et alla dans le Teil avec l'intention d'y passer l'été et d'invoquer encore la clémence du sultan.

Ed-Doneiden, que le monarque hafside avait laissé derrière lui en s'éloignant de Cafsa, se fit introduire dans la ville par quelques-uns de ses partisans, mais il fut arrêté dans son logement et mis à mort par Omar-Ibn-el-Abed. Les habitants eurent alors le regret de voir la présidence de leur conseil administratif usurpé par Omar, et, redoutant les suites de leur rebellion, ils cherchèrent à désarmer la colère du sultan par une prompte soumission. Ce prince accueillit leur repentir, à la condition de pouvoir entretenir chez eux un gouverneur de son choix.

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