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tous les tolba et le soldat turc lui-même, par la volonté de Dieu, furent transformés en oiseaux et prirent leur vol. Ils allèrent se poser sur une pointe de rocher inaccessible, qui porte encore le nom de Sidi Eugab.

Au milieu de la plaine des Zemoul, jadis dénudée et consacrée à la culture des céréales et au parcours des bestiaux, s'élève aujourd'hui le petit village routier de Melila.

Cette tribu occupe une superficie territoriale d'environ 4,000 hectares (1), limitée, au nord, par les azels Gourzi et Medelsou; à l'Est, par la tribu des Berrania; au Sud, par les Oulad Ali Tahammamt et les Haracta Mader; enfin, à l'Est, par les Segnïa.

Vers la partie méridionale de son territoire s'étendent les deux lacs salés de Mezouri et de Tinsilt, entre lesquels existe une large chaussée sur laquelle passe la route de Constantine à Batna. Les lacs occupent une surface de plus de 6,000 hectares. De celui appelé Tinsilt, on extrait, en été, du sel marin qui forme une croûte de dix à douze centimètres d'épaisseur. Il s'y forme également du sulfate de soude: pendant l'hiver 1860-61, un industriel européen a pu en extraire un millier de quintaux métriques.

Si la plaine est dépourvue de végétation arborescente, il en est autrement sur les contreforts des montagnes environnantes. Au Nif en-Necer, aux Tarbent, Gountas et el-Hanout, existent des massifs de chênes-verts, genévriers et autres essences, qui ne demandent qu'à être respectées pour devenir des bois bien fournis.

(1) 2,400 hectares ont été concédés.

On rencontre, aux Zemoul, quelques ruines éparses de peu d'importance; cependant, sur la rive gauche de l'oued Kercha, entre le Guerioun et le djebel el-Hanout, on voit les vestiges d'une grande ville romaine que les indigènes nomment Tatoubt; c'est de ces ruines que furent extraites et apportées à Constantine les colonnes employées à soutenir le vaisseau de la mosquée de Souqel-R'zel, transformée par nous en église catholique.

Sur le territoire des Zemoul, au pied du Guerioun, se trouve une source d'un débit considérable, nommée AïnFesguïa, dont les eaux sont destinées à approvisionner prochainement la ville de Constantine. Les nombreux vestiges antiques que l'on aperçoit autour de cette source, démontrent que déjà, à l'époque romaine, elle avait été aménagée avec soin. Ahmed Bey el-Colli, en 1756, utilisa les ruines des anciens établissements romains en créant, sur ce point, quelques vastes gourbis pour abriter ses chevaux. Son successeur, Salah Bey, donna une plus grande impulsion à ces premiers travaux, en y faisant construire de vastes écuries en maçonnerie. Il préposa, à la garde des écuries, ces mêmes familles de Semara ou Semaran, que nous verrons s'établir d'abord sur les rives de l'oued Roumel, à Aïn Semara. Il réserva alors, pour ses chevaux et ceux des gardes, les prairies qui s'étendent le long de la rive gauche de l'oued Fesguïa.

En 1804, lorsque le bey Osman se porta dans l'oued Zouhr à la poursuite du cherif Bou Dali, les Segnïa en profitèrent pour se révolter et venir dévaster, de fond en comble, l'établissement de Fesguïa. Tchaker-Bey, en 1818, força les Segnia à le reconstruire à leurs frais. Cet établissement existe encore de nos jours; il a été réparé

par les soins de l'administration française, et il sert actuellement d'écurie aux étalons de l'État pendant l'époque de la monte.

N'oublions pas de rappeler ici que, d'après la tradition locale, une population juive habitait autrefois les environs de Aïn Fesguïa. On montre encore l'emplacement de son cimetière. D'après les uns, ces Juifs furent forcés de se convertir à l'islamisme, tandis que d'autres pensent qu'ils abandonnèrent le pays.

La population des Zemoul se compose actuellement de 5,000 individus environ, divisés en plusieurs douars, provenant d'origines diverses, mais dont la majeure partie a fini par adopter le nom de Oulad Seliman.

Avant de faire l'historique de la tribu des Zemoul, qui constituait le makhzen ou la force armée des beys de Constantine, il n'est pas sans utilité de définir le rôle qu'elle remplissait sous le gouvernement qui nous a précédé; il était à peu près le même dans les trois provinces de l'Algérie, nous n'avons donc qu'à répéter ce qui a déjà été dit sur leur institution :

› Makhzen, dans le sens précis du mot, signifie gouvernement le makhzeni est l'homme du gouvernement l'agent faisant partie de la colonne chargée du recouvrement de l'impôt annuel; il était considéré à la fois comme agent du fisc et comme soldat.

› Leur fondation, en Algérie, remonte à Kheïr edDin Pacha, qui voulait, par leur établissement, se former une base solide et permanente de troupes auxiliaires, ayant à la fois l'influence politique du commandement et celle, toute militaire et stratégique, de la force, en même temps que créer, par les priviléges dont cette force était

revêtue, une source constante d'antagonisme entre les tribus arabes.

» Dans le principe, tout chef de tente qui venait s'é tablir avec sa famille sur le territoire des Douair ou Zemoul, était immédiatement inscrit comme cavalier du makhzen; il recevait un cheval et un fusil. La nourriture et le harnachement du cheval restaient à la charge de l'inscrit. A la mort du cavalier, s'il n'avait personne pour le remplacer dans son service effectif, son cheval et son fusil étaient repris par l'État. Le makhzeni était donc fixé à vie sur ce territoire, où il était attaché par les intérêts et retenu par les jalousies des tribus voisines; et, à la longue, ces zmala, composées, dans le principe, d'éléments si hétérogènes, avaient fini par former de véritables tribus parfaitement compactes et homogènes. Ainsi se sont formés les makhzen.

» Le gouvernement remplaçait tous les chevaux du makhzen morts ou hors de service. Les animaux nécessaires pour la remonte du beylik étaient fournis par les tribus raia, soit à titre d'impôt, soit comme gada ou amende. Le makhzen, et c'était là la source de sa force et de sa prépondérance, était complétement exempt de corvées et de tous impôts, quels qu'ils fussent, rérama, achour ou mouna, pour les cultures, récoltes, produits faits sur le territoire du gouvernement.

» On fournissait aux cavaliers nécessiteux les grains pour ensemencer leurs terres et pour nourrir leurs chevaux ; ils étaient tenus de réintégrer ces avances dans les magasins de l'état sur leurs premières récoltes.

» Toutes les fois que le cavalier makhzeni était appelé à faire un service qui l'éloignait pour plus de huit jours

de la zmala, il touchait la ration journalière d'homme et de cheval allouée au soldat régulier. En échange de ces prérogatives, le inakhzeni rendait des services multipliés. Le cavalier makhzeni assistait, comme agent du fisc, le kaid dans l'opération du recensement, la perception des impôts. Il était l'exécuteur des ordres de l'autorité, à laquelle il était en quelque sorte inféodé. Enfin, comme auxiliaire, il remplissait le premier rôle; un douar, une fraction de tribu refusaient-ils l'obéissance, aussitôt le bey dépêchait une petite colonne de makhzeni chargée de faire rentrer les récalcitrants dans le devoir.

On ménageait ainsi l'emploi décisif des troupes régulières, et l'on épargnait tout échec à l'autorité supérieure, qui n'intervenait alors qu'en dernier ressort. En somme, l'institution des makhzeni constituait le principal instrument de l'autorité des beys; c'était un moyen pralique et économique, politique et militaire, de domination.

II

Vers le milieu du XVIIe siècle, une affreuse sécheresse désola, pendant une période consécutive de six années, toute la région du Hodna de Bou Sâda. Cette calamité, rapporte la légende, avait été envoyée par Dieu, sur la prière d'un grand marabout, pour punir les habitants de ce pays des actes injustes qu'ils commettaient journelle

ment.

Une puissante tribu, composée de nombreuses fractions, portant le nom collectif de Oulad 'Anan, avait alors ses campements établis sur le bord méridional du grand Chott. L'hiver, elle promenait ses immenses troupeaux

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