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ÉTUDE

SUR

LA CONFRÉRIE DES KHOUAN

DE

SIDI ABD EL-KADER EL-DJILANI

A PROPOS D'UN Catéchisme a L'USAGE DE ladite secte

PAR M. E. MERCIER

Interprète judiciaire.

L'influence des religions sur les destinées des peuples a toujours été considérable. Les grandes guerres, les persécutions, les conquêtes, les invasions, les émigrations, toutes ces causes de modifications ethnographiques ont eu, le plus souvent, pour point de départ ou, au moins, pour prétexte, l'idée religieuse. Il n'entre pas dans notre cadre de faire la balance du mal et du bien produits; nous constatons seulement un fait, et nous ajoutons qu'il n'est, peut-être, aucune religion, ayant eu autant d'influence sur ses sectateurs, que le mahométisme. Étudier la pratique de cette religion, c'est donc étudier le peuple du nord de l'Afrique et se tenir dans le programme des travaux de la Société Archéologique.

Bien peu de temps après l'établissement de l'islamisme. et la mort de Mahomet, de grandes querelles divisèrent

les musulmans, pour la succession au khalifat, trône du chef spirituel et temporel des vrais croyants. Ali, fils d'Abou T'aleb, cousin du prophète et son unique gendre, puisque Mahomet, sur le grand nombre de ses épouses, n'obtint qu'une fille, essaya, par la force, d'obtenir la reconnaissance de ce qu'il appelait ses droits à l'imamat; mais, il rencontra une résistance des plus tenaces de la part des habitants de la Mecque, ayant à leur tête la famille des Oméïades. Vaincu, après plusieurs batailles sanglantes, Ali ne put empêcher l'Oméïade Moaouïa de prendre la succession de Mohammed.

Renonçant alors à la guerre ouverte, les partisans d'Ali organisèrent la résistance occulte, et fondèrent la première société secrète religieuse musulmane. Cet exemple devait être largement imité, puisqu'on compte maintenant, en Orient, jusqu'à trente-deux sectes. Les partisans d'Ali prétendaient que le khalife ne pouvait être pris que dans la descendance de Mahomet par sa fille Fatima; presque en même temps, une autre secte, se fondant sur ce que le chef de la religion devait être pris dans la totalité des fidèles, se forma, et, sous le nom de kharedjisme (schisme), acquit bientôt une grande puissance.

Comment l'islamisme, ayant à lutter, dès son début, contre cette triple cause de dissolution, ne sombra-t-il pas, à la suite des batailles acharnées, entre musulmans, qui en furent la conséquence?

C'est là un de ces problèmes historiques, pour lesquels la raison humaine chercherait en vain une solution plausible.

Le nord de l'Afrique, très peu de temps après avoir été conquis et converti par les armées arabes, se jeta, avec

une sorte de rage, dans toutes les hérésies qui signalėrent les premiers siècles de l'islamisme. Les Berbères y trouvaient un prétexte toujours renaissant de secouer le joug de leurs maîtres. Il fallut deux siècles de luttes pour éteindre, dans le sang, le kharedjisme en Afrique. C'est assurément à ces guerres, qui arrêtèrent le courant de l'émigration berbère sur l'Espagne, que la chrétienté dut son salut. Le khalifat d'Orient usa ses forces et perdit son prestige dans ces combats, où les indigènes de l'Afrique apprirent à lutter avec les Arabes et à les vaincre. Aussi, à peine les kharedjites étaient-ils à peu près domptés, qu'ils furent remplacés par les chiaïtes (sectaires), partisans de la famille d'Ali.

Ce schisme, que nous avons vu se fonder sous la forme de première société secrète, avait continué à s'étendre en Orient, malgré les efforts des Abbacides, successeurs des Oméïades, et malgré la défaite des petit-fils d'Ali. Divisé en cinq sectes principales, il avait des pontifes établis dans différentes villes saintes, et, de là, envoyait des missionnaires (daï), jusque dans l'Inde, au Levant, et dans l'extrême Moghreb (Maroc actuel), au Couchant.

Le chef d'une de ces sectes, celle des Ismaïliens, nommé Obeid Allah, dit le mehdi, n'eut qu'à paraître en Afrique, pour renverser ce qu'il y restait de l'autorité arabe. Les sectes chiaïtes se répandirent alors chez les indigènes du nord de l'Afrique, et y furent le principe des confréries religieuses qui y existent maintenant.

Le rôle de ces sociétés secrètes, dont les membres sont désignés, de nos jours, sous le nom de khouan (frères), est encore très important. Ce sont elles, en grande partie, qui entretiennent, parmi les indigènes, ce fanatisme aveu

gle qui conduit le peuple arabe à sa perte. Certains administrateurs ont essayé d'employer en notre faveur l'influence de ces sectes; mais il y aurait folie à compter sur de tels auxiliaires, qui sont, bien plutôt, nos ennemis nés. De bons esprits y voient, au contraire, un des plus grands obstacles à notre domination dans le pays.

L'étude de ces confréries religieuses a déjà attiré l'attention d'écrivains de talent, parmi lesquels nous citerons M. Brosselard, auquel l'Algérie scientifique doit tant, et M. de Neveu. On peut se reporter aux ouvrages de ces auteurs, qui ont traité la question avec la plus grande autorité.

Nous offrons aujourd'hui au lecteur le résumé d'un curicux manuscrit, sorte de catéchisme et de formulaire, à l'usage des khouan de Sidi Abd el-Kader el-Djilani, unc des neuf ou dix sectes répandues en Algérie. Ce factum est écrit sur une longue bande, composée de feuilles de papier larges de quatorze centimètres environ, sur quarante de long, et collées les unes aux autres par une bande de papier appliquée en-dessous, à la jonction de chaque feuille. Le tout forme un rouleau qui mesure quatre mètres quarante-huit centimètres de longueur, sur quatorze centimètres, largeur de chaque feuille.

Avant de donner un aperçu de ce document, quelques détails ne seront peut-être pas superflus.

La secte de Sidi Abd el-Kader el-Djilani est une des plus anciennes et des plus répandues, tant en Orient qu'en Afrique. Elle doit son nom à Sidi Abd el-Kader, natif de Djilan, ou Gaïlan, en Perse, célèbre marabout, mort vers 561 (1165-6 de J.-C.) à Bagdad. C'est dans cette ville qu'est le siége de la secte, laquelle fait remonter son

origine à Ali, et dérive du soufisme, comme la plupart des autres. En Algérie, Sidi Abd el-Kader est le patron des pauvres et des affligés, qui sollicitent sans cesse la charité en son nom.

Le supérieur (khalifa) de la secte, habite Bagdad. C'est de là qu'il envoie son mot d'ordre, dans tout le monde musulman, à ses mokaddem ou cheikh (représentants). Ces lieutenants sont revêtus de l'autorité spirituelle dans leur ressort; ils ont un cachet, et possèdent le droit de nommer sous leurs ordres des nekib ou naïb (vicaires). A la suite de la pièce dont nous allons donner l'analyse, nous verrons un diplôme conféré par le mokaddem. Les khouan se réunissent en assemblée présidée par le cheikh, qui confère l'ouerd (certificat d'admission) au néophyte, après différentes scènes mystiques et un interrogatoire dont notre manuscrit nous donne le formulaire. Le néophyte reçoit ensuite la ceinture (ched) symbolique, image de l'union de la confrérie et de sa fermeté ; puis un festin commémoratif termine la séance. Les principales règles de la secte sont absoluc aux chefs de l'ordre, le renoncement au monde, la retraite, la veille, l'oraison continue et l'obligation d'assister aux réunions périodiques. Ces règles sont énoncées de la manière suivante, dans le catéchisme qui suit: <rejeter les mauvaises paroles; prononcer sans cesse le nom de Dieu; mépriser les biens de la terre; repousser les amours humaines, et craindre le Dieu très-haut.

l'obéissance

Des noms allégoriques servent à désigner chaque chose; ainsi, la secte s'appelle : t'rik'a (L), c'est-à-dire, la voie droite ou la règle. Les frères lent :

(اخوان)

s'intitu

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