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rent de se venger en prenant l'offensive à leur tour. Tous leurs cavaliers se mirent en marche nuitamment, et tombèrent à l'improviste sur un douar des Zemoul, occupé en ce moment à extraire de l'orge de ses silos. Le kaïd des Zemoul, entendant le bruit de la poudre, se porta rapidement avec quelques cavaliers sur le théâtre de l'action. On se battit; le neveu du kaïd fut tué, et les Segnia rentrèrent chez eux emportant un riche butin. Les coups de main des rebelles se renouvelèrent, et toujours avec le même succès. Vers le printemps suivant, le bey se décida à mettre un terme à ces escarmouches; il alla camper avec une forte colonne à Aïn Kercha, et, de là, rayonna sur le pays, faisant manger les récoltes à sa cavalerie. Les Segnïa tentèrent une attaque générale sur le camp; mais ils furent repoussés et poursuivis jusqu'à Ras Tir'aldin. Dans cet engagement, on se saisit d'un Turc qui s'était marié aux Segnïa et combattait avec ardeur dans les rangs des rebelles. Le bey ordonna de lui trancher la tête après lui avoir fait souffrir les plus affreux supplices.

Trois mois après, le bey reparaissait à Aïn Kercha, et se portait ensuite à Aïn Fekroun. Il écrivit aux Segnïa, leur promettant sa clémence s'ils envoyaient leurs notables à son camp pour traiter de la paix. Quinze de ces derniers, confiants dans les promesses du bey, se présentèrent; mais dès qu'ils parurent devant la tente du bey, on les décapita sans autre préambule. La nuit suivante, plusieurs douar Segnia furent entourés, et leurs habitants massacrés; les chiens même, assure-t-on, subirent le sort de leurs maîtres. Après quelques jours de Souffrances inouies, causées par la soif et la faim, les

rebelles descendirent des rochers au sommet desquels ils s'étaient réfugiés, et demandèrent l'aman. Pour condition expresse, le bey leur ordonna de se réunir en masse auprès de son camp. Dès qu'il les eut tous rassemblés, il les fit entourer étroitement par ses troupes; quelques têtes roulèrent encore à terre; on dépouilla les malheureux vaincus de tout ce qui leur restait: armes, effets, bestiaux, chevaux, puis on leur rendit la liberté. Cette dure leçon calma pour longtemps l'humeur indépendante des Segnia et jamais plus, sous le bey, ils ne tentèrent de se révolter.

En 1837, après la prise de Constantine, les Segnïa furent des premiers à entrer en relations avec nous, en amenant sur notre marché des boeufs et des moulons pour l'alimentation des troupes. Le général Bernelle, qui avait été laissé à Constantine à la tête du corps d'occupation, sut profiter habilement de leurs bonnes dispositions. L'ex-bey, El-Hadj Ahmed, avait réuni ses forces à Oum el-Asnam, et menaçait d'inquiéter les abords de la ville. Les Segnia, conduits par le kaïd Ali ben ba-Ahmed, que nous venions d'investir du commandement des Zemoul, marchèrent contre le camp du bey. Ce mouvement suffit pour éloigner l'ennemi.

Mais, au mois d'octobre 1841, les dispositions pacifiques de nos alliés n'étaient plus les mêmes; ils désolaient le pays par leurs brigandages, et il fallut les pourchasser jusque dans le Guerioun pour les forcer à vivre d'une manière moins turbulente.

En 1846, quelques désordres furent commis par les Segnïa. Les ravages occasionnés par deux invasions successives des sauterelles, avaient produit une grande ra

reté dans les céréales; plusieurs tribus étaient presque entièrement ruinées par ce fléau; d'autres avaient été considérablement appauvries. La tribu de Behira Touïla était du petit nombre de celles qui avaient été épargnées, tandis que les Segnïa avaient, non-seulement perdu leurs récoltes, mais encore avaient vu détruire les pâturages sur lesquels ils pouvaient nourrir leurs bestiaux. S'ils avaient obéi à l'impulsion régulatrice de l'autorité française, on les aurait laissé participer au partage des pâturages de la tribu- favorisée. Malheureusement, comme on a pu en juger par ce qui précède, les Segnïa sont depuis longtemps connus pour être indisciplinés. Sous le gouvernement Turc, on considérait comme une vérité incontestée, que les habitants du Guerioun n'étaient accessibles à aucun des sentiments humains qui régissent d'ordinaire une agglomération d'individus, et qu'on ne pouvait rien obtenir d'eux sans des châtiments fréquents et sévères. On avait pensé, avec raison, que leur contact avec les Zemoul, qui les traitaient avec dédain et qui abusaient de leur prépondérance pour les exploiter outre mesure, était un obstacle à leur régénération morale. S. A. R. le duc d'Aumale les avait affranchis de cette espèce de vasselage, en leur donnant un kaïd séparé. Les essais d'indulgence, peut-être un peu trop fréquents, dont nous avions fait usage à leur égard, par opposition à la manière rigoureuse dont ils avaient été traités jusque-là, leur avaient fait considérer comme de la faiblesse une longanimité qu'ils n'avaient pas su apprécier. Donc, les Segnïa, auxquels s'étaient joints les Haracta, envahirent le territoire de Behira Touïla et, sous le prétexte de faire paître leurs bestiaux, ils s'approprièrent des moissons.

Une petite colonne, partie de Constantine sous les ordres du colonel Bouscaren le 22 juin 1846, vint s'établir à Aïn el-Bordj, punit sévèrement les Segnïa et fit disparaître toutes les irrégularités.

Les Segnïa refusèrent, en 1852, de fournir des bêtes de somme pour le service du transport des colonnes qui opéraient alors dans l'est. Un certain nombre d'entre eux s'étaient même réunis aux assaillants de notre poste d'Aïn-Beïda. Il devint nécessaire de les punir des actes de pillage, des vols, des assassinats, qu'ils commettaient depuis quelque temps. Le 15 septembre, les troupes de Constantine et de Batna pénétrèrent subitement sur leur territoire. Le combat s'engagea; 80 de leurs cavaliers furent tués, et on leur raza 7,000 moutons et 1,200 cha

meaux.

Depuis cette rude leçon, c'est-à-dire depuis bientôt vingt ans, les Segnïa n'ont plus bougé.

LES AMER CHERAGA

A peu près à 30 kilomètres de Constantine, et à l'est du village européen du Khroub, s'étend le territoire de la tribu des Amer Cheraga, occupant une superficie d'environ 16,000 hectares, sur lesquels vivent un peu plus de 8,000 indigènes. Ce pays est légèrement mouvementé; de distance en distance, s'élèvent quelques hauteurs qui

n'étant pas assez proéminents pour porter le nom de montagnes, sont seulement indiquées par celui de Koudiat, le mamelon. Il est arrosé par un cours d'eau de médiocre importance, l'oued Mehéris, qui se jette dans le Bou Merzoug. Quelques autres sources ou fontaines ont été amenagées par les soins de l'administration française. Les terres y sont d'excellente qualité pour la culture des céréales, ce qui, joint à l'élève du bétail, constitue la principale ressource des habitants de cette tribu.

Il y a environ deux siècles que les Amer Cheraga, issus des Amer R'eraba de Setif, vinrent s'établir dans la contrée à laquelle ils ont donné leur nom, et qui s'appelait alors, du moins dans la partie qu'ils occupèrent d'abord, Drâ Mehéris.

Par suite du laps considérable de temps écoulé depuis l'arrivée de leurs pères dans le Drâ Mehéris, les Amer Cheraga ne peuvent donner que de vagues renseignements sur les causes de cette émigration. Ils croient cependant qu'elle a été produite par l'accroissement trop rapide de la tribu mère, qui détacha, pour ce motif, plusieurs de ses hommes, les plus actifs et les plus braves, à la suite des colonnes turques qui parcouraient souvent la province. C'est ainsi qu'un groupe nombreux d'indigènes des Amer, après avoir prêté son concours au bey pour assurer la tranquillité dans le pays que traverse l'oued Mehéris, obtint de lui l'autorisation d'y résider pour consolider sa domination, et d'y appeler leurs familles pour cultiver cette riche région.

Ils se trouvèrent en présence de quelques tribus fort éclaircies par les guerres incessantes qui agitaient, dans ce siècle, la province entière, et ce ne fut pas sans com

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