Images de page
PDF
ePub

Ximenės, après avoir pris Oran, chargea Pierre de Navarre, comte d'Albeto, qui l'avait puissamment secondé dans cette entreprise, d'aller soumettre plusieurs autres places du littoral algérien, qui accueillaient habituellement les pirates dans leurs ports.

Pierre de Navarre réunit aussitôt les vaisseaux qu'il commandait à ceux que Jérôme Vianelli lui amena d'Ivice, et, après avoir rapidement organisé son armée, il mit à la voile pour Bougie le 1er janvier 1510. Ses forces se composaient de vingt à vingt-cinq navires, portant plus de cinq mille hommes (1). L'artillerie, ainsi que les munitions de toute espèce, étaient considérables. Quant aux soldats, l'espoir d'une nouvelle conquête et le souvenir du riche butin trouvé à Oran excitaient suffisamment leur enthousiasme pour qu'on s'attendit, dans cette nouvelle expédition, à une vive ardeur de leur part. Les principaux officiers étaient: Diego de Vera, les comtes d'Altamire et de San Stevan del Puerto, Maldonat et les deux frères Cabrera.

Le 5 janvier, veille des Rois, l'armée espagnole mouilla devant Bougie, et le débarquement se fit avec succès, l'artillerie des vaisseaux repoussant les Maures et les Arabes, qui s'étaient d'abord réunis pour en empêcher l'exécution.

Le comte mit pied å terre l'un des premiers, et à mesure que les troupes descendaient, il les rangea en ordre. Lorsque toute l'armée fut ainsi rassemblée, il s'élança avec elle vers la montagne du Gouraïa, afin d'en chasser

(1) D'autres documents nous disent que Pierre de Navarre avait sous ses ordres 14 gros bâtiments et une grande quantité de navires de transport.

Abd el-Aziz qui s'y était retiré avec une grande quantité de Maures. Épouvantés à l'approche audacieuse de ces masses, ceux-ci abandonnèrent à la hâte leurs positions et vinrent se renfermer dans les murs de la ville; mais les Espagnols les poursuivirent sans relâche, attaquèrent les remparts et les franchirent bientôt sans rencontrer beaucoup de résistance. En effet, les habitants, croyant que les chrétiens ne voulaient que piller la ville à la manière des Maures et l'abandonner ensuite, s'enfuirent du côté opposé à celui par lequel les Espagnols entraient; ils gagnèrent la plaine et l'intérieur, et là, ils se rallièrent autour du sultan. Comme on l'avait prévu, le butin fut immense, et l'armée fut largement récompensée de son courage et de son zèle.

Telle est la version espagnole; mais voici, maintenant, comment ces événements sont racontés par l'auteur indigène :

L'armée espagnole effectua son débarquement dans l'ancien port au-dessus duquel se trouve le tombeau du cheikh Aïssa es-Sebouki (la vallée des Singes). Ce quartier était entièrement habité par des Maures andalous, qui s'étaient réfugiés à Bougie après la conquête de leur pays par les chrétiens. Le sultan Abd el-Aziz leur avait assigné cet endroit pour s'y établir, parce qu'il y avait eu impossibilité de leur faire place dans l'intérieur de la ville. Quelques-uns de ces réfugiés avaient également fixé leur demeure dans les jardins situés du côté de l'Oued el-Kebir (Soummam).

« Dès que les chrétiens eurent pris possession de la terre, ils envoyèrent des émissaires vers les habitants de Bougie, ainsi qu'au ministre chargé des affaires du sultan

et au fils du sultan lui-même, qui était resté dans la place, pour les engager à se soumettre sans résistance et à ouvrir leurs portes. Cette proposition fut repoussée, et on prit, dans la ville, des dispositions pour se défendre. Les chrétiens, voyant qu'ils échouaient dans cette voie pacifique, dressèrent immédiatement une palissade en bois semblable à une muraille, qui partait du quartier de Sidi Aïssa le long de la crête (1). Ils s'établirent aussi sur la montagne, et de lå, ils lançaient des boulets sur tous ceux qui tentaient de franchir les portes de la ville ouvrant de ce côté. Cette situation dura dix jours. Abou Mohammed ben Abd el-Hak dit à ce sujet, dans son livre : l'ennemi se fortifia dans ses retranchements du quartier de Sidi Aïssa, pendant vingt et un jours, recevant l'eau et les vivres qui lui étaient nécessaires des vaisseaux venant d'Oran. C'est de là qu'ils tiraient journellement leurs renforts en hommes et leurs approvisionnements en vivres et en munitions. Pendant toute cette période, la lutte était acharnée entre les combattants. Une nuit, entre autres, une troupe de gens de la ville éprouva un grand désastre. Les guerriers les plus courageux, au nombre de cinq cent vingt, organisèrent une sortie. Les uns montèrent sur des barques pour attaquer par mer, tandis que leurs compagnons devaient tourner les positions en passant par le sommet de la montagne. Ces derniers sortirent par les portes Amsiouen et Sadat (2). J'étais au nombre de ceux qui

(1) La connaissance des lieux nous fait comprendre que l'auteur veut indiquer la crête qui, du cap Bouac, remonte vers les contre-forts rocheux du Gouraïa.

(2) Nous avons déjà dit que Bab Amsiouen, ancienne porte dans l'enceinte sarrasine, était situéc au-delà de notre hôpital militaire, sur la route du phare. Bab Sadat est plus bas, sur le chemin qui mène à la direction du port.

attaquaient par mer; mais pendant cette nuit un nombre considérable de musulmans succomba. Ceux venus par mer éprouvèrent peu de pertes, parce qu'après avoir effectué quelques captures, ils parvinrent à s'éloigner rapidement à force de rames, et à se mettre à l'abri. Le lendemain, une grande panique éclata dans la ville par suite des lamentations et des cris de désespoir que poussaient les familles de ceux qui avaient succombé dans l'attaque dirigée du côté de la montagne.

«Ce jour là, arriva à Bougie l'émir Abou Farès, fils du sultan Abd el-Aziz, amenant avec lui des guerriers accourus de toute la contrée. Les deux fils du sultan, Abou Farès et Abou Abd Allah, allèrent au milieu de tous ces combattants pour la guerre sainte. Ils se firent accompagner par quatre principaux eulema de la ville, et se rendirent ensemble parmi les guerriers musulmans, dont le nombre était tellement considérable, qu'il est impossible de le fixer ceux-ci, étaient tous campés dans les jardins au-dessous de la ville. Les marabouts, les gens de loi et les ascètes de la localité, parcouraient les rangs, prêchant la guerre sainte, pour enflammer les courages. Les musulmans se séparèrent en deux corps; les uns gravirent la montagne et les autres montèrent dans les barques. Les fils du sultan, sortant par Bab Sadat et Bab Amsiouen, se mirent à la tête du gros de leur troupe. L'attaque eut lieu en même temps par terre et par mer; les guerriers musulmans s'appelaient les uns les autres de tous côtés, et ils s'avancèrent ainsi jusqu'à la crête qui sépare le quartier de Sidi Aïssa de la ville. Mais à ce moment, les chrétiens franchissant, tous à la fois et brusquement, leurs palissades, refoulèrent tous les assaillants

jusqu'aux murailles de la ville et en massacrèrent un grand nombre. Dans plusieurs attaques successives, ils essayèrent même de s'emparer des portes. C'est là que, poussés par la foule de fuyards, beaucoup de musulmans tombèrent écrasés. Parmi les martyrs de la foi, on comptait des hommes religieux, des eulema, des marabouts et des Maures andalous réfugiés à Bougie.

› Abou Mohammed ben Otman, prédicateur de la grande mosquée, raconte que, dans cette journée, le nombre des victimes s'éleva à quatre mille cinq cent cinquante, gisant dans l'espace compris entre les deux portes de la ville. Mon père, ajoute-t-il dans son livre, était parmi les morts; je retrouvai son cadavre percé de trois blessures. Les deux princes succombèrent également.

› La nouvelle de ce désastre, avec le récit de tout ce qui s'était passé depuis le jour du débarquement des chrétiens, parvint au sultan Abd el-Aziz. On lui rendit compte des propositions d'aman faites aux habitants de la ville, s'ils voulaient consentir à capituler, sur quoi les Andalous réfugiés avaient dit : « Nous connaissons, par expé

rience, le peu de confiance qu'il faut avoir dans les pro▸ messes de ces infidèles; ils sont traîtres et perfides à > leur serment. » C'est ce qui avait déterminé les habitants de Bougie à repousser les offres de paix et à résister.

> La mort de ses deux fils affligea profondément le sultan Abd el-Aziz; mais il trouva la consolation de sa douleur, en songeant que Dieu leur accorderait sa miséricorde en récompense de leur zèle pour la foi. Le sultan se hâta d'envoyer à Bougie les troupes qui restaient auprès de lui, ainsi que les Arabes et les Kabiles de la contrée. Cependant, depuis qu'Abd el-Aziz était maitre

« PrécédentContinuer »