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volution, sur laquelle l'histoire garde le silence, avait dû faire tomber Bougie sous le joug des Beni Zeïan, souverains de Tlemsen. D'après El-Kaïrouani, Abou Farès porta la guerre dans le Moghreb et s'empara de Tlemsen. Au retour de cette expédition, il reprit possession de Bougie, et rétablit, au profit d'un de ses fils, l'ancienne principauté dont elle était la capitale.

Abou Omar, puis Abou Zakaria III et enfin le sultan Mohammed, régnèrent successivement de 1433 à 1494. Pendant cette période, l'historien El-Kaïrouani ne relate aucun fait particulier à Bougie, qui dut, comme par le passé, continuer à former un royaume dépendant de Tunis et à être l'apanage des princes de la famille souveraine Hafsite. Voici maintenant comment l'auteur du manuscrit expose les événements (1).

Plusieurs princes conservèrent successivement le pouvoir suprême dans le royaume de Bougie, et cette ville devint souvent le théâtre de luttes que la rivalité fit éclater entre eux. Cette situation durait encore à l'époque où le trône de Bougie était occupé par le sultan Abd el-Aziz, fils de l'émir Abou Mohammed Abd Allah. Son frère, Abou Beker, commandait à Constantine. Ce dernier, désirant étendre les limites de sa puissance, tourna ses vues vers les états d'Abd el-Aziz, qu'il résolut de renverser. Pendant deux années consécutives, il resta en campagne, ne cessant d'inquiéter Bougie dont il voulait s'emparer; mais il éprouva toujours une vive résistance. Le sultan Abd el-Aziz lutta avec énergie et réussit à se maintenir au pouvoir, parce qu'il avait eu la précaution de recruter de nombreuses troupes et qu'il avait amassé (1) Le manuscrit trouvé en Kabilie, et dont il est parlé plus haut.

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des approvisionnements considérables en vivres et en munitions de guerre. Du reste, son port était rempli de bâtiments montés par des marins dévoués à sa cause. Néanmoins, Abou Beker continuait à menacer Bougie, et venait l'assiéger de temps en temps. Chaque fois, il porta la dévastation dans les campagnes, en ruinant les habitations et incendiant les récoltes. Au commencement de l'année 912 (1507), il se présenta de nouveau devant les murs de Bougie, qu'il assiégea pendant quarante jours ; mais, après s'être borné à couper les arbres des vergers environnants, il dut, cette fois encore, abandonner sa tentative et s'en retourner désappointé vers Constantine. Le sultan Abd el-Aziz lui écrivit, à cette occasion, une lettre conçue en ces termes :

« O! toi qu'enflamme la jalousie et que frappe l'éblouissement de l'ambition! L'échec que tu viens d'éprouver devrait te convaincre de l'impuissance de tes efforts. Renonce donc à descendre de nouveau dans l'arène pour essayer de me renverser. Comment peux-tu croire que j'aurais la faiblesse de t'abandonner un royaume que je me suis appliqué à créer? Renonce plutôt à cette lutte, qui te nuit dans l'esprit des populations fatiguées. Suis le conseil que je te donne; ton ambition ne saurait en souffrir; il en est temps encore. Porte tes vues conquérantes vers l'Ifrikia rebelle, qui s'étend derrière toi: tu trouveras là un aliment proportionné à ton insatiable avidité (1). ›

(1) D'après El-Kaïrouani, les tribus arabes, depuis la Tunisie jusqu'au sud de la province de Constantine, étaient alors en révolte permanente contre les souverains de Tunis, qui furent obligés de faire contre elles de fréquentes expéditions,

Mais Abou Beker, au lieu d'écouter les sages exhortations de son frère, fit une nouvelle expédition contre Bougie en l'an 913 (1508). Le sultan Abd el-Aziz résolut alors de le prévenir en marchant lui-même sur Constantine. Son rival avait déjà mis le pied sur le territoire de Bougie; les deux corps d'armée se rencontrèrent, et Abou Beker fut mis en déroute complète. Abd el-Aziz, profitant de sa victoire, pénétra dans le Hodna et de lå se rendit à Constantine, qui lui ouvrit ses portes et reçut de lui une organisation nouvelle et régulière.

Pendant que le sultan Abd el-Aziz s'occupait ainsi à raffermir sa conquête, il reçut la nouvelle du débarquement des chrétiens à Bougie. Cet événement inattendu renversa tous ses projets. Il expédia immédiatement son fils, Abou Farès, pour rassembler toutes les troupes du pays, afin de repousser l'invasion des infidèles.

Nous avons raconté plus haut la guerre qui avait éclaté entre les deux frères, guerre dont on ne voyait pas arriver le terme. Ce qui constituait la force du sultan Abd el-Aziz, c'était la position de sa capitale, située près des montagnes de la Kabilie, d'où il pouvait tirer des renforts, et d'avoir un port qui faisait un grand commerce avec les nations européennes. Ces relations commerciales furent interrompues, par suite de la guerre sainte qui éclata dans le Moghreb. Les musulmans d'Andalousie avaient été repoussés jusqu'à la mer par l'empereur d'Espagne; l'émir de Bougie reçut alors du souverain de Tunis l'ordre d'armer des vaisseaux pour aller inquiéter les chrétiens envahisseurs de l'Andalousie. Les bâtiments de Bougie firent des descentes sur les côtes d'Espagne, où ils enlevaient des hommes et des richesses; ils couraient

sur tous les vaisseaux ennemis qu'ils rencontraient, et ramenaient leurs prises à Bougie : c'est à tel point, que cette ville et toutes celles du littoral de l'Afrique se remplirent d'esclaves chrétiens.

Cependant, après avoir fait la conquête de l'Andalousie entière, l'empereur espagnol attaqua Oran, finit par s'en emparer en l'an 910 (1505-6) et y mit une garnison de ses troupes (1). Les musulmans tentèrent de reprendre cette ville, mais n'y parvinrent pas. En l'an 912 (1507), le sultan Abd el-Aziz s'étant concerté avec le souverain de Tunis, résolut de porter secours aux gens d'Oran pour les aider à expulser les infidèles. A cet effet, il demanda du renfort à toutes les villes; ses kaïds surveillaient activement l'armement de ses vaisseaux; mais au moment où tous ces préparatifs étaient terminés, éclata la guerre entre lui et son frère l'émir Abou Beker. Ne pouvant dès lors se mettre lui-même à la tête de cette armée de secours, il en donna le commandement à son fils Abou Farès, qui conduisit les troupes allant à Oran par terre. Son ministre, Mohammed ben Abd Allah el-Kennani, et Brahim ben Younès, partirent par mer. Mais la nouvelle de l'arrivée prochaine de cette armée parvint aux Espagnols d'Oran; les infidèles apprêtèrent aussitôt leurs vaisseaux pour repousser l'agression. Les deux flottes se rencontrèrent; celle des musulmans fut battue, et un grand nombre de martyrs de la foi périt dans ce combat naval.

L'an 915 (1509), l'empereur embarqua son armée et lui

(1) Il s'agit ici de la prise de Mers el-Kebir, qui eut lieu, en effet, vers cette époque. L'auteur du manuscrit arabe confond Mers el-Kebir avec Oran, qui ne fut conquis qu'en 1509.

fit prendre terre inopinément près de Bougie, à l'endroit où existait le tombeau de Sidi Aïssa es-Sebouki.

Nous devons suspendre un instant le récit de l'historien arabe, pour bien exposer quelle était la situation de Bougie au moment de la conquête espagnole; nous pourrons ainsi beaucoup mieux apprécier les transformations qu'elle subit sous ses nouveaux maîtres.

Le temps et la guerre ont respecté, sur une grande partie de leur étendue, les deux murailles qui, sous le règne des princes musulmans, fermaient Bougie à l'est et à l'ouest et lui donnaient un aspect belliqueux. Le rectangle qu'enfermaient ces murailles couvre une surface de 140 à 150 hectares; il encadrait, au moyen-âge, la ville de Bougie. Avant la conquête espagnole, la ville se divisait en vingt-un quartiers, dont voici les noms et l'emplacement:

1. Bab cl-Bahar, la marine;

2. Guelmim, autour de la mairie;

3. Bridja (détruit), emplacement de l'hôpital et des ca

sernes ;

4. Sidi Bou Ali (détruit), au-dessus du cimetière chré

tien;

5. Acherchour (détruit), quartier des Cinq-Fontaines; 6. El-Kenitra (détruit), autour de la zaouïa de Sidi et

Touati;

7. Sidi Abd el-Hadi, environs du fort Moussa;

8. Bab el-Louz (détruit en partie), environs de la porte du grand ravin;

9. Bab el-Mergoum (détruit en partie), au-dessous, fait face au djebel Khalifa ;

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