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Nous avons passé sous silence les événements qui eurent lieu du temps d'El-Hadj Ahmed bey, parce que les Telar'ma firent cause commune avec les Oulad Abd enNour, dont nous avons déjà écrit l'historique dans ce recueil (1).

LES SEGNIA

Le territoire de la tribu des Segnïa est situé à 40 kilomètres environ au sud-sud-est de Constantine, sur la route qui mène de cette ville à Tebessa en passant par Aïn Beïda. Son étendue est d'environ 110,000 hectares; il est habité par une population de 10,577 individus.

Les Segnia sont bornés: au nord, par l'ancien kaïdat des azels, le territoire civil des villages européens des Oulad Rahmoun et du Khroub, et la tribu des Amer Cheraga; à l'est, par la tribu de Behira Touïla et par celle des Haracta d'Aïn Beïda; au sud, par cette dernière tribu et celle des Achach de Batna; à l'ouest, enfin, par la tribu des Zemoul.

En raison de son étendue, ce territoire présente un sol varié. Dans la partie nord, il est montagneux; on y remarque le djebel Malessi, dont les premières crêtes commencent å 3 kilomètres à l'ouest de Sigus; ces crêtes, en se continuant vers le sud, forment le djebel Fortas; en arrière

(1) Voir le Recueil de la Société Archéologique, année 1864.

du Fortas, vers l'ouest, se trouve le djebel Tadjeno unit. Au djebel Fortas succède le Guerioun (1727 m. de haut), dont il est séparé par le Fedj bou Sâdia. Toutes ces montagnes ont des pentes très-raides et sont couvertes de broussailles peu élevées; leur charpente rocheuse est recouverte en partie par une mince couche de terre; la plus grande partie est dénudée et ne présente aucune végétalion.

La grande plaine de Kercha succède au Guerioun et occupe la partie centrale de la tribu; c'est là où les cultures sont les plus abondantes. A l'ouest, se trouve la crête rocheuse du Fedjoudj, s'étendant jusqu'à la limite de Aïn Beïda; au sud-est de cette plaine commence le djebel Oum Kecherid, allant de l'ouest à l'est jusqu'à la limite avec Aïn Beïda ; il est peu élevé, couvert de broussailles près des crêtes; il est formé, comme le Guerioun et le Fortas, de plates-formes rocheuses, recouvertes de peu ou point de terre. Au sud-ouest de Kercha, à la limite avec les Zemoul, par l'Hanout Serir, montagne dénudée, à laquelle succèdent le Chebka, ainsi nommé à cause de sa forme, et les djebel Ahmar Kheddou, Besmine et Hank el-Hamara, à la rencontre avec la limite d'Aïn Beïda. L'Hanout Serir n'a que de rares broussailles; les autres montagnes sont en partie couvertes d'herbe pendant l'été; plusieurs parties du Chebka sont même cultivées; les terres du versant sud sont gypseuses.

Après cette ligne de montagnes, vient une grande plaine de 30,000 hectares, variée par les deux lacs salés d'Hank el-Djemel, les marais Guerra Saïda et Bou Djenib à l'ouest; les djebel Mar'sel, Hank el-Djemel et Yeddou au centre; tous les trois ont des broussailles et même

des arbres pouvant servir au chauffage. Le djebel Fedjoudj et l'Hanout Kebir, sur la limite générale de la tribu, forment une partie de cette plaine, le premier au sud et le second à l'ouest; ils sont très élevés et couverts de broussailles.

Cette plaine faisait partie de l'Aguedel el-beylik; elle n'a jamais eu que quelques charrues cultivées, et elle sert surtout de parcours, avec le Fedjoudj, aux nombreux troupeaux des indigènes qui viennent y camper pendant l'hiver. Une grande partie pourrait être facilement cultivée, car la terre végétale a une couche très épaisse et est de très bonne qualité, surtout le long du pied du Fedjoudj.

Il n'y a pas de rivière considérable dans la tribu; la plupart des cours d'eau sont des torrents, à sec pendant la plus grande partie de l'année. - Parmi les plus importantes, on remarque l'oued Kleb au nord, l'oued Kercha dans la plaine du même nom; l'oued Ourkis sur la limite avec Aïn Beïda; l'oued Miseb dans l'Aguedel el-beylik.

II.

A l'époque romaine, une ville d'une certaine importance, dont on voit encore les vestiges sur un mamelon au pied duquel coule l'oued el-Kleb, existait aux Segnïa. C'était Sigus, une des trentes villes libres signalées par Procope. M. Cherbonneau l'a explorée avec soin, et a publié dans ce Recueil (année 1868, page 428), le résultat de ses intéressantes découvertes. Une inscription, relevée au milieu des ruines de l'antique cité, et encastrée actuellement dans le mur du caravanserail de Sigus, éta

blit d'une manière positive le nom de cette ville, qui se retrouve encore dans celui de la tribu : Sigus, Siguenses, d'où dérive le nom moderne de Segnïa. Voici, du reste, la copie de cette inscription:

VICTORIAE AUG. SACR

CVLTORES QVI SIGVS CONSISTVNT

Une lettre de Cyprien nous apprend que le territoire de Sigus possédait une mine, « metallum Siguense, » où des chrétiens, ainsi que leurs chefs spirituels, avaient été déportés par suite de persécutions. >>

A l'époque romaine, le travail des mines était une des peines que subissaient les criminels. L'histoire nous a transmis les souffrances des chrétiens que l'on y enchaînait en expiation de leur foi. Les Vandales exercèrent les mêmes rigueurs au nom de l'arianisme.

Quoiqu'il en soit, les recherches entreprises, soit par les ingénieurs, soit par les officiers, n'ont encore signalé aucun indice de nature à fixer l'emplacement de l'exploitation de Sigus, la mine la plus rapprochée, celle d'où l'on extrayait de l'antimoine, il y a quelques années, se trouvant dans la montagne de Sidi Reghis à quarante kilomètres du bordj de Sigus.

Quelques personnes, supposant que les déportés chrétiens étaient aussi employés à l'exploitation des carrières du marbre, dit numidique, que les Romains recherchaient tant pour leurs meubles de luxe, ont fait, autour de Sigus, des recherches qui sont restées également infructueuses.

Durant le v siècle de notre ère, Sigus fut le siége d'un

évêché. Les ruines romaines y sont nombreuses, et on trouve même parmi elles des monuments de forme celtique, tels que dolmens, cromlechs et alignements de pierres, entre autres aux environs de Sigus même, à Aïoun Diab et à Ras el-Aïn bou Merzoug (1).

Que se passa-t-il dans cette région, depuis l'époque romaine jusqu'au moment de l'invasion arabe? L'histoire ne nous fournit, à ce sujet, aucun détail particulier. D'après Ibn Khaldoun, cette partie de la province de Constantine était habitée par la population berbère des Haouara, dont une partie professait la religion de Moïse, et au milieu de laquelle vint se fondre la tribu arabe des Soleïm. Pendant de longues années, c'est-à-dire jusqu'au commencement de la domination turque, au XVIe siècle, le territoire des Segnia fut soumis à l'autorité des Chabbia, douaouda ou famille noble de la tribu des Dreïd de la Tunisie. A la suite de guerres et de bouleversements politiques, comme il s'en produisit souvent au moyenâge, d'autres familles influentes, lasses de leur rôle secondaire, se mirent à la tête de partisans qui, sous le nom de Hanencha, Nememcha, Haracta, Segnia ou tout simplement de Kherareb, les fractions, réussirent à s'affranchir de la suprématie des Chabbia. C'est alors que la tribu des Segnïa se forma, et adopta pour nom patronymique celui de l'ancienne ville romaine de Sigus, autour de laquelle se dressaient ses campements, nom antique qui s'est transmis de père en fils dans la tradition locale. Ce fait est, du reste, démontré par les récits

(1) Voir le travail que nous avons publié à ce sujet, dans ce Recueil, volume de l'année 1864.

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