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Abandonnés de l'Europe, ne pouvant plus peut-être communiquer avec elle par mer, ces survivants, comme on les appelait, restaient réduits à leurs propres ressources; dès lors, toute relation avec l'extérieur étant anéantie, la nécessité dut leur imposer l'obligation de s'assimiler au peuple berbère qui les entourait. Cette fusion des deux races était cimentée par un même sentiment d'indépendance, et, qui le sait, par une communauté de croyance religieuse, ce qui est encore possible, puisque, du temps de Firmus, les montagnards du Jurjura professaient le christianisme (1). D'après la tradition locale, confirmée par plusieurs documents authentiques que nous aurons le soin de reproduire textuellement, nous pourrons suivre longtemps encore la trace de ce restant de population chrétienne. Quant à la ville elle-même, l'antique Saldæ, elle dut rester étrangère aux événements qui survinrent dans la région accessible aux Arabes. A la suite de tremblements de terre, peut-être d'un événement partiel dont la tradition locale n'a conservé aucun souvenir, tel qu'une descente de corsaires arabes qui l'auraient pillée, ou bien encore l'oeuvre du temps s'accomplissant sans que la main de l'homme en réparat les dégâts (2), hypothèse qui me paraît la plus admissible, car il est dans la nature humaine de ne plus s'intéresser à ce qu'on est exposé à perdre; toujours est-il que les monuments de Salda tombèrent en ruines et que, sur ces ruines le prince En-Nacer vint ensuite fonder

(1) Ammien Marcellin.

(2) La tradition locale prétend, à tort ou à raison, que la ville de Bougie a été renversée sept fois par les tremblements de terre ou les dévastations de l'ennemi.

Bougie, capitale d'un royaume berbère, qui brilla d'un certain éclat sur la côte d'Afrique.

Avant de nous engager dans le récit des événements multiples qui marquèrent les phases de ce royaume, il convient d'indiquer d'abord le nom des diverses dynasties qui, tour à tour, y occupèrent le pouvoir.

En 335 (946 de J.-C.), la dynastie de Ziri ben Menad est investie du commandement des Berbères Sanhadja. En-Nacer, chef de la branche des Sanhadja Hammadites, fonde Bougie en 460 (1067) et en fait sa capitale. Abd el-Moumen, souverain des Almohades, s'empare de cette ville en 546 (1152) et renverse les Hammadites. En 626 (1228), Abou Zakaria Ier, le Hafside, se fait reconnaître souverain. Sous la dynastie Hafside, Bougie demeure le chef-lieu d'une principauté dépendant du gouvernement de Tunis et appartenant, à titre d'apanage, au Gls de l'émir.

Au quatorzième siècle, commence une longue série de luttes entre les trois dynasties des Beni Merin, de Fès, des Beni Zeïan, de Tlemsen, et des Hafsides, de Tunis; luttes dont le résultat devait être la décadence progressive des peuples africains. Durant ces longues et sanglantes collisions, Bougie, située au centre de ce vaste champ de bataille, est tour à tour la proie de l'un des partis (1). Au moment du débarquement des Espagnols, en 1509, un prince de la famille Hafside gouvernait encore Bougie.

Les Sanhadja, d'après Ibn Khaldoun, étaient une des tribus berbères, les plus considérables par leur nombre, (1) Carette. Exploration scientifique.

et formaient la majeure partie de la population du Moghreb. Chaque montagne, chaque plaine de cette région, renferme, dit-il, une peuplade Sanhadjienne; c'en est au point que bien des personnes les regardent comme formant le tiers de toute la race berbère. Leur chef, Ziri ben Menad, fonda la principauté d'Achir (1).

En 335 de l'hégire (946 de J.-C.), le khalife Mansour, successeur d'El-Kaïm, quitta sa résidence de Kaïrouan, pour s'avancer à la poursuite de l'infatigable agitateur Abou Yezid. Il devait traverser la principauté d'Achir. Au lieu d'opposer au khalife une résistance que son origine africaine devait faire craindre, Ziri vint pacifiquement à sa rencontre, et lui offrit sa soumission et son concours. Pénétré de reconnaissance pour cette démarche, le khalife le combla d'honneurs et le confirma dans son titre de prince d'Achir et de ses dépendances. Depuis lors, la principauté féodale d'Achir, s'accrut encore des libéralités du souverain (2).

Hammad, descendant de Ziri, fonda, en 378, (1007-8), la ville d'El-Kalâa, sur le flanc méridional d'une montagne voisine de Mcila, nommée Kiana, habitée de nos

(1) Achir, ville fondée dans le Kef el-Akhdar, à 100 kilomètres environ au sud d'Alger. Berbrugger.

(2) Le chroniqueur Ibn Hammad entre dans de très grands détails sur cette alliance du khalife arabe avec le prince berbère. M. Cherbonneau, le savant orientaliste, a publié dans le Journal asiatique (no 15 de l'année 1853), la traduction d'un chapitre relatif à cet événement. Ziri, comblé d'honneurs et de cadeaux par le khalife, lui prêta son concours pour combattre les partisans d'Abou Yezid. Cet agitateur, battu dans plusieurs rencontres, s'était réfugié dans la montagne de la Kiana (le djebel Aïad, au nord de Mcila). Les troupes, arabes et berbères gravirent cette montagne et prirent Abou Yezid vivant.

jours par la tribu arabe des Aïad. Il peupla cette ville qu'il entoura de murs, après y avoir construit plusieurs mosquées, caravanserails et autres édifices publics. La Kalâa atteignit bientôt une haute prospérité; sa population s'accrut rapidement, et les artisans, ainsi que les étudiants, s'y rendirent en foule, des pays les plus éloignés et des extrémités de l'empire. Cette affluence de voyageurs eut pour cause les grandes ressources que la nouvelle capitale offrait à ceux qui cultivaient les sciences, le commerce et les arts. Le royaume Hammadite comprenait la province de Constantine et celle d'Alger, c'est-à-dire à peu près les trois quarts de l'Algérie actuelle ; il devait s'étendre depuis le méridien de La Calle, jusqu'à celui de Ténès (1).

Les papes, conservant les anciennes dénominations de l'époque romaine, donnaient aux princes Hammadites, avec lesquels ils eurent des relations très suivies, le titre de Rois de la Mauritanie Setifienne (2).

En l'an 453 (1062-3 de J.-C.), En-Nacer, fils d'Alennas, quatrième successeur de Hammad, son aïeul, arrivait au pouvoir. Ce fut sous son règne que la dynastie hammadite atteignit au faîte de sa puissance. Ce monarque éleva

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(2) Des pièces en or (de la valeur de 18 fr.) remontant à cette époque et trouvées dans les ruines de la Kalâa, portent ces mots:

Sur une face: Il n'y a d'autre Dieu que Dieu, Mahomet est son prophète.

Sur l'autre : L'Émir souverain des Beni Hammad.

En exergue sont plusieurs mots, parmi lesquels nous n'avons pu lire que

صنهاكة

le nom de Sanhaka, — les Sanhadja, d'après l'orthographe adoptée. Ces pièces remontent donc au Ve siècle de l'hégire, le XIe de l'ère chrétienne.

des bâtiments magnifiques, fonda plusieurs grandes villes et fit de nombreuses expéditions dans le Moghreb (1).

En-Nacer s'empara de la montagne de Bougie (Bedjaïa) et y fonda une ville à laquelle il donna le nom d'En-Naceria, mais que tout le monde appela Bougie, du nom de la tribu. Il y construisit un palais d'une beauté admirable, qui porta le nom de Château de la Perle (Kasr elLouloua). Ayant peuplé sa nouvelle capitale, il exempta les habitants de l'impôt et, en l'an 461 (1068-9), il alla s'y établir lui-même (2).

La tradition locale nous a conservé sur ce monarque des souvenirs encore très populaires. Moula en-Nacer, c'est ainsi qu'il est nommé, choisit, en effet, Bougie pour en faire la capitale de ses états; des milliers d'ouvriers se mirent à l'œuvre et construisirent, en quelques mois, l'immense mur d'enceinte flanqué de bastions qui, des bords de la mer, s'élève encore par gradins et va se perdre dans les rochers abruptes du mont Gouraïa (3). Son prolongement suivait les sinuosités de la baie et fermait également la ville du côté de la mer. Au sud-ouest de Bougie, entre la Kasba et notre parc à fourrages, existait un quartier nommé Dar-Senâa, darse, arsenal maritime, chantier de construction de la marine bougiote. De ce point, partait un large môle qui contournait les assises de la Kasba, passait devant l'emplacement de la ville ac

(1) Ibn Khaldoun.

(2) Ibn Khaldoun.

(3) Pendant que la ville se contruisait, le sultan habitait sous la tente le quartier qui, depuis, a porté le nom de Dar-Nacer, au-delà du fort Clauzel, au pied de la montagne.

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