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LETTRE SUR LES TOMBEAUX CIRCULAIRES

DE LA PROVINCE DE CONSTANTINE

MONSIEUR LE PRÉSIDENT,

A quel usage étaient affectés, dans l'antiquité, les petits monuments de forme circulaire dont il existe de nombreux vestiges sur plusieurs points de la province de Constantine? Quel peuple les a construits? Tel est le sujet de ma lettre.

Les diverses positions que j'ai occupées dans l'armée d'Algérie, ainsi que les fonctions que j'y remplis aujourd'hui, m'ont souvent appelé à parcourir la province de Constantine en tous sens. Pendant ces pérégrinations, mon attention a été attirée par des petits monuments d'un genre particulier, édifiés, les uns avec de simples moellons ou des cailloux roulés, les autres avec des dalles ou pierres plates rustiquement taillées. La forme circulaire paraît seule avoir été adoptée pour ces constructions dont le diamètre varie de deux à douze mètres.

La hauteur même des plus élevées, n'a jamais dû dépasser un mètre soixante centimètres au-dessus du sol naturel; car beaucoup d'entre elles sont encore coiffées ou recouvertes d'immenses tables de pierres ou monolithes épais d'environ huit à dix centimètres.

Longtemps j'ai cherché à me rendre compte de l'affectation qu'avaient pu avoir ces petits monuments, isolés ou groupés le long de chemins, aux sommets des cols, sur les crêtes des montagnes ou de leurs contre-forts, aux flancs des vallées, sur les mamelons de moindre élévation, partout enfin, excepté dans les bas-fonds et près des ruines importantes. Longtemps j'ai visité sans succès, ceux de ces édicules qui, dans le voisinage des routes et sur les collines du Tell, avaient les premiers frappé ma vue. Ne possédant aucune donnée historique sur ce sujet, je ne voyais qu'une certaine quantité de cercles pavés en moellons et légèrement bombés vers leur milieu. (Voir planche 32).

Sur ces entrefaites et au printemps de l'année 1859, la curiosité me porta au pied du Djebel Mahmel (l'ancien Aurasius-Mons), dans la vallée de l'Oued Chemora (l'Amigas de Procope), pour reconnaître, non loin des ruines de Thamugas, une soixantaine de petites tours affaissées, qui venaient d'être signalées au lieu dit Chouchet-erRoumaïl1, et dans lesquelles, les premiers explorateurs ont, un instant, pensé retrouver les travaux de défense, exécutés par les Maures, sujets de labdas, lors de l'ap

Le nom de cette localité

signine calotte de شوشة الرومايل

Sables, dénomination très-exacte, car ces tours, vues à quelque distance, ont l'aspect des chechias que portent les Indigènes.

proche de Salomon, pour rendre inaccessibles les avenues de la montagne. (Procope, Guerre contre les Vandales, 1. 11, c. XIII.)

Mon excursion fut d'autant plus fructueuse qu'elle me fit découvrir une quantité considérable de tours en dehors de celles déjà connues: car pour le canton de Roumaïl, j'en estime le nombre à plus de quinze cents. (Voir leur position aux planches 33, 35 et 36 de l'Album).

L'année suivante, ayant une tournée à faire dans l'Aurès, je dûs traverser le Djebel Kharouba, qui fait suite à l'un des contre-forts du Mahmel. En cet endroit, les tours sont en plus grande quantité qu'à Roumaïl : peutêtre en existe-t-il de deux à trois mille. Muni tour à tour du crayon et de la pioche, j'interrogeai ces ruines énigmatiques, sous leurs différents aspects; mes dessins sont ceux de la planche 38; quant aux fouilles, elles ont mis à nu des ossements humains, à peu près réduits en poussière. Les monuments disséminés sur cette terre étaient-ils en réalité des tombeaux, ou bien le hasard avait-il voulu qu'un arabe fût inhumé à cette place? Comme le devoir m'appelait sur un autre point, je continuai ma route, avec l'espoir que la solution du problême ne m'échapperait point.

Plus tard et à chacune de mes sorties, comme si l'œil acquérait l'expérience de ce que l'on cherche, je rencontrais toujours sous mes pas, ou des cercles pavés de pierre, ou des petites tours à moitié ruinées, vides ou remplies de terre fine, et le plus souvent recouvertes d'une large dalle. (Voir les planches nos 49, 50 et 51.)

Malheureusement, la marche des affaires ne me permettait jamais de faire la moindre pose. Aussi deux années

se passèrent-elles sans que j'eusse le loisir d'éclaircir les doutes soulevés par l'exploration du Djebel-Kharouba. C'est seulement au mois d'octobre 1859, que je pus étudier sans préoccupation les environs de Firès. (Voir la planche 37.)

Le versant oriental du mont Bou-Drieçen, qui est couvert de bois, offrait une multitude de monuments semblables à ceux qu'on remarque à Chouchet-er-Roumaïl et sur les hauteurs du Kharouba. Dire qu'ils se compteraient par milliers, si quelqu'un avait la patience de le faire, c'est rester loin de la vérité. Ces petits édifices sont assez rapprochés les uns des autres quelques-uns ne sont séparés que par une distance de trois ou quatre mètres. J'ai fait déblayer ceux qui paraissaient le plus dignes d'intérêt, par leur état de conservation. Chaque dalle soulevée montrait une auge rectangulaire formée de pierres plates et mesurant en moyenne 090 sur 045. Presque toutes ces tombes contenaient des ossements humains mêlés à une poussière légère que le vent ou l'infiltration des eaux y avait introduite.

J'en ai dessiné une, où gîsait un squelette couché diagonalement sur le flanc gauche, avec les jambes repliées le long du corps, de façon à ce que les pieds touchassent le crâne. La tête était posée du côté de l'Orient. Dans un coin de l'auge se trouvait un vase en terre mal cuite. Une dalle de fond complétait l'ensemble de ce sarcophage. Le doute avait disparu. La destination réelle de ces tourelles à fleur de sol n'avait plus rien d'incompréhensible, et il ne s'agissait plus que d'en multiplier les exemples. (Voir les planches 45, 46, 46 bis, 47 et 48.) En examinant ces images, et en les comparant avec les

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