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golfe de Gabès1. Cette mince bande de terre reçut le nom de Province romaine d'Afrique. Un gouverneur, résidant à Utique, fut chargé de l'administration de ce territoire.

Aussitôt après sa victoire, Scipion chargea Polybe de reconnaître les établissements phéniciens du littoral, à l'ouest de Karthage. Le récit de ce voyage, qui a été écrit par Polybe, manque dans son ouvrage, et nous n'en connaissons que l'analyse incomplète donnée par Pline. Cette perte est regrettable à tous les points de vue, car nous ignorons quelle était l'action des Karthaginois sur la civilisation berbère. Cette action est incontestable et il est à supposer qu'elle s'exerçait par des colonies de marchands établis dans les principales villes. C'est ce qui explique qu'à Cirta, par exemple, existait un temple dédié à Tanit. On en a retrouvé les vestiges à un kilomètre de la ville, ainsi qu'un grand nombre d'inscriptions votives qui se trouvent maintenant au musée du Louvre 2.

1. Pline, H. N., V, 3, 22.

2. V. Recueil des notices et mémoires de la société archéologique de Constantine, années 1877, 1878.

CHAPITRE V

LES ROIS BERBÈRES VASSAUX DE ROME

146-89

L'élément latin s'établit en Afrique..

pation de Jugurtha.

contre les Romains.

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Règne de Micipsa.. Première usurDéfaite et mort d'Adherbal. - Guerre de Jugurtha Première campagne de Métellus contre Jugurtha. - Deuxième campagne de Métellus. — Marius prend la direction des opérations. Chute de Jugurtha. Partage de la Numidie. Coup d'œil sur l'histoire de la Cyrénaïque; cette province est léguée à Rome.

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A peine Scipion Emi

L'ÉLÉMENT LATIN S'ÉTABLIT En Afrique. lien avait-il quitté l'Afrique que l'on vit « affluer la troupe avide des négociants de toute sorte, des chevaliers romains commerçants ou fermiers de l'Etat, qui envahissent bientôt tout le trafic de la nouvelle province, aussi bien que des pays numides et gétules, fermés jusqu'alors à leurs entreprises1». Les Berbères, qui n'avaient subi que l'influence de la civilisation punique, allaient connaître les moeurs et le génie romains. Malgré les imprécations officielles lancées contre Karthage, cette ville, dans toute la partie avoisinant les ports, ne tarda pas à se relever de ses ruines.

Enfin, vingt-quatre ans s'étaient écoulées depuis la chute de Karthage, lorsque Caïus Gracchus, désigné pour exécuter la loi Rubria qui en ordonnait le rétablissement, débarqua en Afrique avec six mille colons latins, et les établit sur l'emplacement de la vieille cité punique à laquelle il donna le nom nouveau de Junonia. De là, les Italiens allaient rayonner dans tout le pays et s'établir, comme artisans ou comme commerçants, dans les villes de la Numidie. L'année suivante la loi Rubria fut rapportée; mais Karthage, quoique déchue de son titre, n'en continua pas moins à se relever de ses ruines et à reprendre son importance politique et commerciale 3.

1. G. Boissière, Esquisse d'une histoire de la conquête romaine, p. 183. 2. En plaçant la nouvelle colonie sous la protection de Junon, Gracchus rendait hommage à la divinité protectrice de Karthage, la maîtresse Tanit, reflet de Baal, que les Romains assimilèrent à Junon céleste. 3. Voir Le Capitole de Carthage », par M. Castan (Comptes rendus de l'Académie des Inscr. et B. Lettres, 1885, p. 112).

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REGNE DE MICIPSA. Pendant que l'Afrique propre était le théâtre de ces graves événements, Micipsa continuait à régner paisiblement à Cirta. C'était un homme d'un caractère tranquille et studieux, tout occupé de la philosophie grecque, et ne manifestant aucune ambition. Son royaume s'étendait alors du Molochath aux Syrtes, avec la petite enclave formée par la province romaine. Micipsa vit successivement mourir ses deux frères et continua à exercer seul le pouvoir, avec l'aide de ses deux fils, Adherbal et Hiemsal, et de son neveu Jugurtha, fils naturel de Manastabal, s'appliquant, particulièrement, à conserver l'amitié des Romains, en remplissant ses devoirs de roi vassal. Lors du siège de Numance (133), il avait envoyé à ses maîtres une armée auxiliaire, sous la conduite de Jugurtha. Peut-être espérait-il se débarrasser ainsi de ce neveu dont l'ambition l'effrayait, non pour lui, mais pour ses enfants. Or, il arriva que le prince berbère sut échapper à tous les dangers, bien qu'il les affrontât avec le plus grand courage; ses talents lui valurent l'estime de tous et il rapporta en Afrique la renommée d'un guerrier accompli, ce qui ne contribua pas peu à augmenter son influence sur les Berbères. Ainsi tout réussissait à ce jeune hommme que Micipsa avait dû adopter en lui accordant un rang égal à ses fils.

En 119, Micipsa, sur le point de mourir, recommanda à ses deux fils et à son neveu de vivre en paix et unis et de s'entr'aider pour la défense de leur royaume numide. Il s'éteignit ensuite après un paisible règne de trente années 1, pendant lequel il s'était appliqué à continuer l'oeuvre de civilisation commencée par Massinissa, appelant à lui les artistes et les savants étrangers, pour orner la capitale de la Numidie. Il léguait à ses successeurs un vaste royaume paisible et prospère.

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PREMIÈRE USURPATION DE Jugurtha. A peine Micipsa avait-il fermé les yeux que des discussions s'élevèrent entre ses deux fils et son neveu, à l'occasion du partage du royaume et des trésors. Ce conflit se termina par une transaction dans laquelle chaque partie se crut lésée et qu'elle n'accepta qu'avec le secret espoir d'en violer les clauses, à la première occasion. Jugurtha dut se contenter de la Numidie occidentale, s'étendant du Molochath à une ligne voisine du méridien de Salda (Bougie). Adherbal et Hiemsal se partagèrent le reste, conservant ainsi tout le pays riche

1. Salluste, Bell. Jug., VIII et suiv. Nous suivons pour, l'usurpation et la guerre de Jugurtha, les détails précis donnés par cet auteur et l'appendice de M. Marcus à la fin de sa traduction de Maunert.

et civilisé, la Numidie proprement dite, avec Cirta et toutes les conquêtes de l'est.

Jugurtha n'était pas homme à s'accommoder d'une situation inférieure; il lui fallait l'autorité suprême et, du reste, il devait songer à prévenir les mauvaises dispositions de ses cousins à son égard. Sans différer l'exécution de son plan, il fit, la même année, assassiner à Thermida' Hiemsal, celui des deux frères qui, par son énergie, était à craindre. Puis il envahit à la tête d'un grand nombre de partisans la Numidie propre. Adherbal, déconcerté par une attaque si soudaine, s'empressa de demander des secours à Rome, et essaya, néanmoins, de tenir tête aux envahisseurs; mais il fut vaincu en un seul combat, et contraint de chercher un refuge dans la province romaine. En une seule campagne, Jugurtha se rendit maître de la Numidie et s'assit sur le trône de Cirta.

Cependant Adherbal, qui n'avait rien pu obtenir du gouverneur de la province d'Afrique, se rendit à Rome où il réclama à haute voix justice contre la spoliation dont il était victime. Mais Jugurtha, qui connaissait parfaitement son terrain, envoyait en même temps, en Italie, des émissaires chargés de répandre l'or en son nom et de lui gagner des partisans parmi les principaux citoyens. En vain Adherbal retraça en termes éloquents les malheurs de sa famille et la perfidie de Jugurtha; il ne put rencontrer aucun appui effectif, car chacun était favorable à la cause de son ennemi. Néanmoins, comme la contestation était soumise au Sénat, ce corps ne put violer ouvertement toutes les règles de la justice. Il décida qu'une commission de dix membres serait chargée d'opérer entre les deux princes numides le partage de leurs états. Les commissaires, sous la présidence de Lucius Opimius, favorable à Jugurtha, rendirent à celui-ci toute la Numidie occidentale et replacèrent Adherbal à la tête de la Numidie propre, décision qui n'avait pour elle que l'apparence de l'équité, en admettant que Jugurtha, par son crime et son usurpation, n'eût pas perdu ses droits, car il était certain qu'Adherbal, laissé à ses propres forces, ne tarderait pas à devenir la victime de son cousin (114).

DÉFAITE ET MORT D'ADHERBAL. Après cette première tentative. qui n'avait réussi qu'à demi, Jugurtha s'appliqua à se mettre en mesure de recommencer, dans de meilleures conditions. Comme il avait vu que, malgré tout, Rome soutiendrait son cousin, il jugea qu'il fallait se créer un point d'appui sur ses derrières et, à

1. Ville de la Proconsulaire. 2. Salluste, Bell. Jug., XVI.

cet effet, il entra en relation avec son voisin de l'ouest, Bokkus, roi des Maures, et scella son alliance avec lui, en épousant sa fille. Puis, il recommença ses incursions sur les terres d'Adherbal, espérant le pousser à entamer la lutte contre lui, de façon à lui donner tous les torts aux yeux des Romains. Mais ce prince était bien résolu à tout supporter, et ce fut Jugurtha lui-même qui, perdant patience, ouvrit les hostilités, en envahissant le territoire de Cirta, à la tête d'une armée nombreuse.

Adherbal se porta à sa rencontre, avec toutes les troupes dont il pouvait disposer. Arrivé en présence de ses ennemis, il avait pris ses dispositions pour les attaquer le lendemain, lorsque, pendant la nuit, les troupes de Jugurtha se jetèrent sur son camp et l'enlevèrent par surprise. Adherbal put, avec beaucoup de peine, se réfugier derrière les remparts de Cirta. Jugurtha l'y suivit et commença le siège de cette place fortifiée par l'art et la nature, et dans laquelle se trouvaient un grand nombre d'artisans et marchands italiens, décidés à défendre la cause du prince légitime. Tandis qu'il pressait ces opérations, il reçut trois députés envoyés de Rome pour le sommer de mettre bas les armes ; il les congédia avec force démonstrations de respect et assurances de fidélité, mais ne tint aucun compte de leurs remontrances. Mandé, peu après, à Utique, par de nouveaux envoyés du Sénat, il se rendit dans cette ville, y accepta avec déférence les ordres à lui adressés; puis il revint à Cirta, dont le blocus avait été rigoureusement maintenu. Cette ville était alors réduite à la dernière extrémité par la famine. La nouvelle de l'échec des négociateurs romains y porta le découragement et le désespoir. Adherbal, voyant la fidélité de ses adhérents fléchir, se décida à traiter avec son cousin. Jugurtha lui promit la vie sauve; mais, dès qu'il eut entre les mains les clés de la ville, il ordonna le massacre général des habitants, sans épargner les Italiens, et fit périr Adherbal dans les tourments1.

Guerre de Jugurtha contre LES ROMAINS. Cette fois Jugurtha restait maître incontesté du pouvoir; il est possible que les Romains eussent fermé les yeux sur l'origine criminelle de sa royauté; mais des citoyens latins avaient été lâchement massacrés et il était impossible de tolérer cette insulte. Le parti du peuple accusa à bon droit la noblesse d'avoir encouragé ces crimes. En vain Jugurtha envoya à Rome son fils et deux de ses confidents: l'entrée du Sénat leur fut interdite et l'expédition d'Afrique résolue. Calpurnius Bestia, en ayant reçu le commandement, partit bientôt de Sicile à

1. Salluste, Bell. Jug., XXVI.

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