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et marchèrent sur Karthage, pensant que les portes de la ville allaient tomber devant eux. Quel ne fut par leur étonnement de trouver toutes les entrées soigneusement fermées et les murailles garnies de défenseurs en armes. Une tentative d'assaut fut repoussée et les consuls purent se convaincre qu'il fallait entreprendre des opérations régulières de siège. Les Romains s'appuyaient sur Utique et sur une partie des places du littoral oriental; mais Asdrubal, avec une nombreuse cavalerie, tenait l'intérieur et était en communication avec Karthage, qu'il ravitaillait régulièrement. Enfin une population de 700,000 âmes occupait la ville et était décidée à une résistance héroïque. Quant à Massinissa, qui ne voyait pas sans jalousie les Romains attaquer une ville qu'il considérait comme sa proie, il se tenait dans une réserve absolue.

Le consul Censorinus avait donc à lutter contre des difficultés aussi grandes qu'inattendues; néanmoins il commença avec activité le siège. Asdrubal vint établir son camp à Néphéris, de l'autre côté du lac, et ne cessa d'inquiéter les assiégeants qui, d'autre part, avaient à résister aux sorties des assiégés. Censorinus avait concentré ses efforts contre le mur, plus faible, établi sur la langue de terre (la tania), séparant le lac de Tunis de la mer; ayant réussi à y faire une brèche, il ordonna l'assaut; mais les Phéniciens repoussèrent facilement leurs ennemis.

Quelque temps après, le consul Manilius, à qui était resté le commandement, par suite du départ de Censorinus, tenta contre le camp d'Asdrubal, à Néphéris, une attaque qui se serait terminée par un véritable désastre pour lui, sans l'habileté et le dévouement de Scipion.

Ainsi se passèrent les premiers mois du siège, sans que les Romains pussent obtenir un seul avantage sérieux.

MORT DE MASSINISSA. Sur ces entrefaites, le vieux Massinissa, sentant sa mort prochaine, fit venir auprès de lui le jeune Scipion Emilien, tribun dans l'armée romaine, car il le désignait comme son exécuteur testamentaire. Scipion se mit en route pour Cirta, mais, à son arrivée, le prince numide venait de mourir (fin de 119). Cet homme remarquable laissait un grand nombre d'enfants, dont trois seulement furent désignés comme devant hériter du pouvoir. Ils se nommaient Micipsa, Gulussa et Manastabal. Le premier avait reçu de Massinissa l'anneau, signe du commandement. Une des dernières recommandations de leur père avait été de conserver la fidélité aux Romains.

Scipion, pour éviter tout froissement entre les frères, leur laissa le pouvoir, en conservant à tous trois le titre de roi. Micipsa eut

cependant l'autorité principale avec Cirta comme résidence; Gulussa reçut le commandement des troupes et la direction des choses relatives à la guerre; enfin Manastabal fut chargé des affaires judiciaires. Tous les trésors restèrent en commun.

Après avoir pris ces sages dispositions, Scipion revint au camp, amenant avec lui Gulussa et une troupe de guerriers numides1.

SUITE DU SIÈGE de Karthage. La situation des Romains devant Karthage, sans être critique, commençait à devenir difficile. Les maladies, conséquence de l'agglomération, de la chaleur et des privations, s'étaient mises dans le camp; les approvisionnements arrivaient mal et étaient souvent interceptés par l'ennemi: enfin les sorties des assiégés et les attaques d'Asdrubal tenaient les assiégeants sans cesse en éveil et paralysaient toutes leurs entreprises. Dans ces conjonctures, le jeune Scipion avait su par son activité et ses talents militaires rendre les plus grands services; plusieurs fois il avait sauvé l'armée, aussi son nom était-il devenu très populaire parmi les soldats. Enfin sa connaissance du pays et des indigènes le désignait pour le commandement suprême, dans ce pays qui semblait être le patrimoine des Scipions.

Sur ces entrefaites, les consuls Calpurnius Pison et L. Mancinus vinrent prendre la direction du siège, tandis que Scipion allait à Rome préparer son élection à l'édilité (148). Les nouveaux généraux trouvèrent des troupes fatiguées et démoralisées à ce point qu'ils renoncèrent, pour le moment, à pousser les opérations contre Karthage. Pison entreprit une expédition vers l'ouest et, après avoir pillé quelques places sans importance, vint mettre le siège devant Hippône; mais il échoua misérablement dans cette entreprise et dut opérer une retraite désastreuse. La situation commençait à devenir inquiétante; la discipline était complètement relâchée; on ne pouvait plus compter sur les soldats; enfin les frères de Gulussa ne lui envoyaient aucun renfort.

Quant aux Karthaginois, ils reprenaient confiance et redoublaient d'activité pour se créer des ressources et des alliés. Malheureusement les divisions intestines, qui avaient été si fatales à Karthage et qui disparaissaient quand le danger était pressant, avaient recommencé leur jeu. Le parti numide continuait ses intrigues et, comme on lui donnait pour chef Asdrubal, petit-fils de Massinissa, les patriotes le mirent à mort.

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d'Afrique ne cessaient de porter à Rome le trouble et l'inquiétude. La voix publique désignait Scipion pour la direction de cette campagne; cependant, le jeune tribun, qui briguait alors l'édilité, ne pouvait encore recevoir le consulat. On fit fléchir la loi; d'une voix unanime, le peuple le nomma consul (147).

A peine arrivé à Utique, Scipion alla porter secours au consul Mancinus qui se trouvait bloqué, dans une situation très critique, à Karthage même, puis il vint s'établir avec toute son armée dans un camp fortifié, non loin de cette ville, et appliqua ses premiers soins au rétablissement de la discipline. Asdrubal le Barkide, laissant son armée à Néphéris, alla, accompagné d'un chef berbère nommé Bithya, prendre position en face du camp romain. Mais l'on put bientôt s'apercevoir que la direction du siège était passée dans d'autres mains. Une attaque de nuit, vigoureusement conduite; rendit Scipion maître du faubourg de Meggara, compris dans l'enceinte de la ville, mais séparé d'elle par des jardins coupés de murs et de clôtures faciles à défendre.

Cette perte causa une vive douleur aux assiégés qui, sous l'impulsion de leur chef Asdrubal, massacrèrent tous leurs prisonniers romains. Le camp karthaginois avait dû être abandonné et tous les défenseurs se trouvaient maintenant retranchés dans la ville. Scipion coupa toute communication entre Karthage et la terre, en fermant par un mur le large isthme qui donne accès à la presqu'île sur laquelle la ville est bâtie. Une double ligne de circonvallation, formée de fossés et de palissades, complétait le blocus. La mer restait libre et, bien que les navires romains croisassent constamment devant le port, de hardis marins réussissaient à passer et à apporter des vivres aux assiégés. Scipion entreprit de fermer aussi cette voie il fit construire un môle de pierre ayant 92 ou 96 pieds à la base1, et allant de la tonia jusqu'au môle, travail gigantesque renouvelé par Louis XIII au siège de La Rochelle.

Mais les assiégés, de leur côté, ne restaient pas inactifs: pendant que les Romains leur fermaient cette entrée, ils s'en taillaient une autre dans le roc. En même temps on travaillait à Karthage à faire une flotte en utilisant les bois de construction. Ainsi, au moment où les Romains croyaient avoir achevé leur blocus, ils virent paraître les navires puniques. Ceux-ci ne surent pas profiter de la surprise de leurs ennemis et, quand ils se représentèrent trois jours après, les Romains, prêts à combattre, forcèrent la flotte à rentrer dans le port après lui avoir infligé de grandes pertes. Scipion profita de ce succès pour s'établir dans une position avan

1. Le pied romain était de 0 m. 296 mill.

tageuse, lui permettant d'attaquer les ouvrages qui couvraient le second port (le Cothôn). Mais des hommes déterminés sortirent dans la nuit de Karthage, s'approchèrent à la nage des lignes romaines et incendièrent les machines des assiégeants.

Les succès des Romains se réduisaient encore à peu de chose et avaient été chèrement achetés. Cependant Scipion avait atteint un grand résultat, celui de compléter le blocus de la ville. Déjà la famine s'y faisait sentir. En attendant l'action de ce puissant auxiliaire, Scipion alla avec Lélius et Gulussa attaquer le camp de Néphéris, où se trouvait une puissante armée Karthaginoise dont on ne s'explique pas l'inaction. Cette expédition réussit à merveille: le camp fut pris et enlevé et toute l'armée ennemie taillée en pièces. Les cantons environnants ne tardèrent pas à offrir leur soumission aux Romains (117).

CHUTE DE

Chute de KarthaGE. Depuis près d'un an Scipion avait pris la direction des affaires et, bien qu'il eût obtenu de grand succès, la ville assiégée ne semblait pas encore disposée à se rendre, malgré la famine à laquelle elle était en proie. Au printemps de l'année 146, le général romain se décida à frapper un grand coup en tentant une attaque de nuit sur le Cothôn. Asdrubal, pour déjouer son plan, incendia la partie sur laquelle il semblait que l'effort des assiégeants allait se porter. Mais pendant ce temps Lélius parvenait à escalader la porte ronde du Cothôn et à l'ouvrir à l'armée qui se précipitait dans la ville. Scipion attendit sur le forum le lever du soleil; puis il donna l'ordre de marcher sur Byrsa, la colline où se trouvaient le grand temple de Baal et la citadelle. Trois rues bordées de hautes maisons y conduisaient; mais à peine les soldats commencèrent-ils à s'y engager qu'ils furent écrasés sous une grêle de traits et de projectiles de toute sorte: l'ennemi était partout: en face, sur les côtés et en haut, car des plates-formes tendues sur les terrasses des maisons les reliaient. entre elles. Il ne fallut pas moins de six jours de luttes acharnées pour que l'armée romaine pût atteindre le pied du roc sur lequel s'élevait la citadelle et où étaient réfugiés Asdrubal et ses derniers adhérents. Scipion fit alors incendier et démolir les quartiers qui venaient d'être conquis, et cette opération barbare coûta la vie à un grand nombre de Karthaginois, spécialement des vieillards, des femmes et des enfants qui se tenaient cachés dans ces constructions. «... Le mouvement et l'agitation, dit Appien, la voix des hérauts, les sons éclatants de la trompette, les commandements des tribuns et des centurions qui dirigeaient le travail des cohortes, tous ces bruits enfin d'une ville prise et sac

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cagée, inspiraient aux soldats une sorte d'enivrement et de fureur qui les empêchaient de voir ce qu'il y avait d'horrible dans un pareil spectacle.

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Depuis sept jours Scipion était maître de la ville, lorsque des Karthaginois vinrent lui dire qu'un grand nombre d'assiégés, se trouvant dans la citadelle, demandaient à se rendre à la condition qu'on leur laissât la vie sauve. Le général leur accorda cette demande, ne refusant de quartier qu'aux transfuges. Cinquante mille personnes sortirent ainsi de Byrsa, où il ne resta que Asdrubal, sa famille et les transfuges au nombre de neuf cents environ. Tous se réfugièrent dans le temple et s'y défendirent d'abord avec vigueur; mais peu à peu, le manque de vivres, la discorde et l'impossibilité d'espérer le salut poussèrent ces malheureux au désespoir. Asdrubal eut alors la lâcheté de se présenter en suppliant à Scipion pour obtenir la vie, pendant que ses adhérents incendiaient leur dernier refuge et que sa femme se précipitait dans les flammes avec ses deux enfants pour ne pas survivre à sa honte' (146).

L'AFRIQUE PROVINCE ROMAINE. Cette fois Karthage, la métropole de la Méditerranée, la rivale de Rome, n'existait plus; le vœu de Caton était exaucé. La colonisation phénicienne en Afrique avait vécu et allait faire place à la colonisation latine. Scipion laissa son armée piller les ruines fumantes de la ville, pendant que Rome célébrait par des offrandes aux dieux le succès de ses armes. Bientôt dix commissaires, choisis parmi les patriciens, arrivèrent en Afrique pour régler avec Scipion le sort de la nouvelle conquête. Ils commencèrent par achever la destruction des pans de murs qui restaient encore debout, notamment dans les quartiers de Meggara et de Byrsa; puis ils prononcèrent, au milieu de cérémonies religieuses, les imprécations les plus terribles contre ceux qui seraient tentés de venir habiter ces lieux maudits voués par eux aux dieux infernaux.

Utique, pour prix de sa trahison, reçut le pays compris entre Karthage et Hippo-Zarytos; les villes qui avaient soutenu les Phéniciens furent, au contraire, privées de leur territoire et de leur libertés municipales et durent payer une taxe fixe. Les princes numides conservèrent les régions usurpées par eux dans l'Afrique propre. La limite de la province romaine s'étendit depuis le fleuve Tusca (O. Z'aïn ou O. Berber), en face de la Sicile, jusqu'à la ville de Thena (Tina) en face des îles Kerkinna, au nord du

1. Appien, Pun.

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