Images de page
PDF
ePub

DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE

(BERBÉRIE)

PREMIÈRE PARTIE

PÉRIODE ANTIQUE

JUSQU'A 642 DE L'ERE CHRÉTIENNE

CHAPITRE Ior

PÉRIODE PHÉNICIENNE

1100-268 AVANT J.-C.

[ocr errors]

Temps primitifs. Les Phéniciens s'établissent en Afrique. Fondation de Cyrene par les Grecs. Données géographiques d'Hérodote. - Prépondérance de Karthage.Découvertes de l'amiral Hannon. · Organisation politique de Karthage. Conquêtes de Karthage dans les îles et sur le littoral de la Méditerranée. Guerres de Sicile. Révolte des Berbères. - Suite des guerres de Sicile. Agathocle, tyran de Syracuse. la guerre en Afrique. Agathocle évacue l'Afrique. Nouvelles guerres dans cette ile. Anarchie en Sicile.

cile.

[ocr errors]

-

- Il porte Pyrrhus, roi de Si

TEMPS PRIMITIFS. L'incertitude la plus grande règne sur les temps primitifs de l'histoire de la Berbérie. Le nom de l'Afrique est à peine prononcé dans la Bible, et si, dans les récits légendaires tels que ceux d'Homère, la notion de ce pays se trouve plusieurs fois répétée, les détails qui l'accompagnent sont trop vagues pour que l'histoire positive puisse s'en servir. Sur la façon dont s'est formée la race aborigène de l'Afrique septentrionale, on ne peut émettre que des conjectures, et l'hypothèse la plus généralement admise est qu'à un peuple véritablement autochtone que l'on peut appeler chamitique, s'est adjoint un double élément arian (blond) et sémitique (brun), dont le mélange intime a formé la race berbère, déjà constituée bien avant les temps historiques. L'antiquité grecque n'a commencé à avoir de détails précis sur la partie occidentale de l'Afrique du nord que par ses navigateurs, lors de ses tentatives de colonisation en Egypte et sur les rivages

T. I.

1

de la Méditerranée. Hérodote est le premier auteur ancien qui ait écrit sérieusement sur ce pays (ve siècle av. J.-C.); nous examinerons plus loin son système géographique.

Selon cet historien, les Libyens étaient des nomades se nourrissant de la chair et du lait de leurs brebis. « Leurs habitations sont des cabanes tressées d'asphodèles et de joncs, qu'ils transportent à volonté. » Plus tard, Diodore les représentera comme <«< menant une existence abrutie, couchant en plein air, n'ayant qu'une nourriture sauvage; sans maisons, sans habits, se couvrant seulement le corps de peaux de chèvres. » Ils obéissent à des rois qui n'ont aucune notion de la justice et ne vivent que de brigandage. « Ils vont au combat, dit-il encore, avec trois javelots et des pierres dans un sac de cuir..... n'ayant pour but que de gagner de vitesse l'ennemi, dans la poursuite comme dans la retraite............. En général, ils n'observent, à l'égard des étrangers, ni foi ni loi. » Ce tableau de Diodore s'applique évidemment aux Africains nomades. Dans les pays de montagne et de petite culture, les mœurs devaient se modifier suivant les lieux.

LES PHÉNICIENS S'ÉTABLISSENT EN AFRIQUE. Dès le xe siècle avant notre ère, les Phéniciens qui, selon Diodore, avaient déjà des colonies, non seulement sur le littoral européen de la Méditerranée, mais encore sur la rive océanienne de l'Ibérie, explorèrent les côtes de l'Afrique et les reconnurent, sans doute, jusqu'aux Colonnes d'Hercule. Les relations commerciales avec les indigènes étaient le but de ces courses aventureuses et, pour assurer la régularité des échanges, des comptoirs ne tardèrent pas à se former. Les Berbères ne firent probablement aucune opposition à l'établissement de ces étrangers, qui, sous l'égide du commerce, venaient les initier à une civilisation supérieure, et dans lesquels ils ne pouvaient entrevoir de futurs dominateurs. Il résulte même de divers passages des auteurs anciens que les indigènes étaient très empressés à retenir chez eux les Tyriens. Quant à ceux-ci, ils se présentaient humblement, se reconnaissaient sans peine les hôtes des aborigènes et se soumettaient à l'obligation de leur payer un tribut 1.

Ainsi les colonies de Leptis (Lebida), Hadrumet (Souça), Utique, Tunės (Tunis), Karthage, Hippo-Zarytos (Benzert), etc., furent

1. Mommsen, Histoire romaine, trad. de Guerle, t. II, p. 206 et suiv. Voir la tradition recueillie par Trogue-Pompée et Virgile, sur la fondation de Karthage par Didon.

2. En phénicien « la ville neuve (Kart-hadatch) par opposition à Utique (Outik) « la vieille ».

successivement établies sur le continent africain, et le littoral sud de la Méditerranée fut ouvert au commerce par les Phéniciens, comme le rivage nord et les îles l'avaient été par les Grecs.

FONDATION DE CYRENE PAR LES GRECS. Les rivaux des Phéniciens dans la colonisation du littoral méditerranéen furent les Grecs. Depuis longtemps, ils tournaient leurs regards vers l'Afrique, lorsque Psammetik Ier combla leurs vœux en leur ouvrant les ports de l'Egypte. Après avoir exploré cette contrée jusqu'à l'extrême sud, ils firent un pas vers l'Occident, et dans le VIIe siècle1, une colonie de Grecs de l'île de Théra vint, sous la conduite de son chef Aristée, surnommé Battos, s'établir à Cyrène. Les peuplades indigènes que les Théréens y rencontrèrent leur ayant dit qu'elles s'appelaient Loub ou Loubim, ils donnèrent à leur pays le nom de Libye (Aus), que l'antiquité conserva à l'Afrique. La tradition a gardé le souvenir des luttes qui éclatèrent entre les Grecs de Cyrène et leurs voisins de l'Ouest, les Phéniciens, au sujet de la limite commune de leurs possessions, et l'histoire retrace le dévouement des deux frères Karthaginois qui consentirent à se laisser enterrer vivants pour étendre le territoire de leur patrie jusqu'à l'endroit que l'on a appelé en leur honneur « Autel des Philènes »2.

DONNÉES GEOGRAPHIQUES D'HERODOTE. Vers 420, Hérodote, qui avait lui-même visité l'Egypte, écrivit sur l'Afrique des détails précis que ses successeurs ont répétés à l'envi. Ses données, très étendues sur l'Egypte, sont assez exactes relativement à la Libye, jusqu'au territoire de Karthage; pour le pays situé au delà, il reproduit les récits plus ou moins vagues des voyageurs grecs.

Pour Hérodote, la Libye comprend le « territoire situé entre l'Egypte et le promontoire de Soleïs (sans doute le cap Cantin). Elle est habitée par les Libyens et un grand nombre de peuples libyques et aussi par des colonies grecques et phéniciennes établies sur le littoral. Ce qui s'étend au-dessus de la côte est rempli de bêtes féroces; puis, après cette région sauvage, ce n'est plus qu'un désert de sable prodigieusement aride et tout à fait désert » 3.

1. On n'est pas d'accord sur la date de la fondation de Cyrène. Sclon Theophraste et Pline, il faudrait adopter 611. Solin donne une date antérieure qui varie entre 758 et 631.

2. A l'est de Leptis, au fond de la Grande Syrte. Salluste, Bell. Jug..., XIX, LXXVIII.

3. Lib. IV.

Après avoir décrit le littoral de la Cyrénaïque et des Syrtes, Hérodote s'arrête au lac Triton (le Chot du Djerid). Il ne sait rien, ou du moins ne parle pas spécialement de Karthage. « Au delà du lac Triton, dit-il, on rencontre des montagnes boisées, habitées par des populations de cultivateurs nommés Maxyes. Enfin, il a entendu dire que, bien loin, dans la même direction, était une montagne fabuleuse nommée Atlas et dont les habitants se nommaient Atlantes ou Atarantes. Au midi de ces régions, au delà des déserts, se trouve la noire Ethiopie.

[ocr errors]

Parmi les principaux noms de peuplades donnés par Hérodote, nous citerons :

Les Adyrmakhides, les Ghiligammes, les Asbystes, les Auskhises, etc., habitant la Cyrénaïque.

Les Nasamons et les Psylles établis sur le littoral de la Grande Syrte.

Les Garamantes divisés en Garamantes du nord, habitant les montagnes de Tripoli, et Garamantes du sud, établis dans l'oasis de Garama (actuellement Djerma dans le Fezzan), dont ils ont pris le nom.

Les Troglodytes, voisins des précédents et en guerre avec eux. Les Lotophages, établis dans l'île de Méninx (Djerba) et sur le littoral voisin.

Les Makhlyes, habitant le littoral jusqu'au lac Triton.

Les Maryes, les Aceses, les Zaouekès et les Ghyzantes au nord du lac Triton et sur le littoral en face des îles Cercina (Kerkinna)1. Tels sont les traits principaux de la Libye d'Hérodote. Comme détail des mœurs de ces indigènes, il cite la vie nomade, l'absence de toute loi, la promiscuité des femmes, etc. Il parle encore de peuplades fabuleuses habitant l'extrême sud.

PRÉPONDÉRANCE De Karthage, -La prospérité des comptoirs phéniciens, augmentant de jour en jour, attira de nouveaux immigrants, et Karthage, dont la fondation date du commencement du xe siècle (av. J.-C.), devint la principale des colonies de Tyr et de Sidon en Afrique. Ces métropoles envoyaient à leurs possessions de la Méditerranée des troupes qui, chargées d'abord de les protéger contre les indigènes, servirent ensuite à dompter ceux-ci. Bientôt les villages agricoles avoisinant les colonies phéniciennes furent soumis, et les cultivateurs berbères durent donner à leurs

1. Hérodote, 1. IV, ch. 143.

2. Vivien de Saint-Martin, Le Nord de l'Afrique dans l'Antiquité, passim.

anciens locataires, devenus leurs maîtres, le quart du revenu de leurs terres, tant il est vrai que deux peuples ne peuvent vivre côte à côte sans que le plus civilisé, fût-il de beaucoup le moins nombreux, arrive à imposer sa domination à l'autre.

La puissance de Karthage devint donc plus grande et s'étendit sur les tribus du tel de la Tunisie et de la Tripolitaine. Les Berbères du sud, maintenus dans une sorte de vasselage, servaient d'intermédiaires pour le commerce de l'intérieur de l'Afrique'. Non seulement Karthage, après avoir cessé de payer tribut aux indigènes, en exigea un de ceux-ci, mais elle devint la capitale des autres colonies phéniciennes, qui durent lui servir une redevance. De plus, elle s'était peu à peu débarrassée des liens qui l'unissaient à la mère patrie et avait conquis son autonomie à mesure que la puissance du royaume phénicien déclinait *.

En même temps les navigateurs puniques fondaient à l'ouest de nouvelles colonies: Djidjel (Djidjeli, Salde (Bougie', Kartenna (Ténès), Yol Cherchel), Tingis (Tanger), etc. Les Karthaginois conclurent avec les rois ou chefs de tribus de ces contrées éloignées, des traités de commerce et d'alliance.

DÉCOUVERTES DE L'AMIRAL HANNON. Mais cette extension ne suffisait pas à l'ambition des Phéniciens; il leur fallait de nouvelles conquêtes. Entre le vro et le ve siècle, le gouvernement de Karthage chargea l'amiral Hannon de reconnaître le littoral de l'Atlantique et d'y établir des colonies. Le hardi marin partit avec une flotte de soixante navires portant trente mille colons phéniciens et libyens, et les provisions nécessaires pour le voyage et les premiers temps de l'établissement. Il franchit le détroit de Gades, répartit son monde sur la côte africaine de l'Océan et s'avança jusqu'au golfe formé par la pointe qu'il appelle Corne du Midi et que M. Vivien de Saint-Martin identifie à la pointe du golfe de Guinée. Seule, la crainte de manquer de vivres l'obligea à s'arrêter. Il retourna sur ses pas après avoir accompli un voyage qui ne devait être renouvelé que deux mille ans plus tard 3.

Le succès de l'entreprise de Hannon frappa tellement ses concitoyens que les principales circonstances de son voyage furent relaune inscription qu'on plaça dans le temple de Karthage. Cette inscription, traduite plus tard par un voyageur grec, nous

tées en

1. Ragot. Sahara, de la province de Constantine, IIe partie, p. 147 (Recueil des notices de la Société arch. de Constantine, 1875).

2. Justin, XIX, 1,2.

3. Par les Portugais en 1462.

« PrécédentContinuer »