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SYPHAX EST FAIT PRISONNIER PAR MASSINISSA. Mais avant de porter les derniers coups à la métropole punique, Scipion jugea qu'il fallait la priver de ses alliés; Massinissa brûlait trop du désir de tirer vengeance de son rival pour ne pas le pousser dans cette voie. Ce fut Massinissa lui-même que Scipion chargea de ce soin, en lui adjoignant Lélius. Syphax marcha bravement à la rencontre de ses ennemis et leur livra bataille; mais dans l'action, son cheval s'étant abattu, il se blessa et fut fait prisonnier. Après ce premier succès, Massinissa, dépassant sans doute les instructions reçues, marche directement avec Lélius sur Cirta, la place forte de la Numidie. Il trouve la population disposée à la lutte à outrance; mais il montre Syphax enchaîné et profite de la stupeur des Berbères pour se faire ouvrir les portes. Il pénètre dans la ville, court aut château et en retire Sophonisbe1. Puis on reprend le chemin de Tunis, et Massinissa se présente à Scipion, en traînant à sa suite Syphax captif; Sophonisbe suivait aussi, mais dans un tout autre équipage. Scipion, ayant appris que Massinissa se disposait à en faire sa femme, craignit que l'influence de la belle Karthaginoise ne détachât de lui le prince numide, et exigea, malgré les supplications de celui-ci, qu'elle lui fût livrée, sous le prétexte que tout le butin appartenait à Rome. Mais Sophonisbe évita, par le poison, la honte d'orner son triomphe; on ne remit qu'un cadavre au général romain.

BATAILLE DE ZAMA.- La chute de Syphax acheva de démoraliser Karthage. On s'empressa d'abord de rappeler d'Italie Magon et Hannibal; puis, la flotte fut envoyée au secours d'Utique; mais cette diversion, bien qu'ayant forcé Scipion à quitter son camp de Tunis, n'eut aucune conséquence décisive. Les Karthaginois proposèrent alors des ouvertures de paix que Scipion accueillit; il fit connaître ses conditions, et, comme elles étaient acceptables, les bases de la paix furent arrêtées et des envoyés partirent pour Rome, afin de soumettre le traité à la ratification du Sénat.

Pendant ce temps, Magon et Hannibal quittaient l'Italie. Le premier, grièvement blessé quelque temps auparavant, ne devait jamais revoir son pays; quant à Hannibal, qui avait depuis longtemps pris ses dispositions pour la retraite, il s'embarqua sans être inquiété, à Crotone, après avoir massacré ses alliés italiens qui ne voulaient pas suivre sa fortune, et débarqua heureusement à Leptis. Pour la première fois depuis trente-six ans, il se retrouvait

1. Tite-Live, XXX, 13. 2. Actuellement Lamta.

dans sa patrie. De Leptis, il gagna Hadrumète, puis, se lançant dans l'intérieur des terres, vint prendre position au midi de Karthage (202). Il sut attirer à lui un certain nombre de chefs indigènes parmi lesquels Mezétule, et fut rejoint par Vermina, lui amenant les derniers soldats et alliés de son père, de sorte que son armée présenta bientôt un effectif imposant.

Le retour de Hannibal et des troupes d'Italie rendit l'espoir aux Karthaginois, et au mépris de la trêve, ils recommencèrent les hostilités en attaquant une flotte romaine de transport et même un vaisseau portant les ambassadeurs de Rome. Justement irrité de ce manque de foi, Scipion se remit en campagne, saccageant et massacrant tout sur son passage. Il remonta le cours de la Medjerda et se trouva bientôt en présence de Hannibal, au lieu dit Zama, que l'on place dans les environs de Souk-Ahras1. Après une entrevue entre les deux généraux, entrevue dans laquelle ils ne purent réussir à s'entendre, on en vint aux mains.

Hannibal couvrit son front de ses éléphants, au nombre de quatre-vingts, et rangea son infanterie en trois lignes, en mettant en réserve ses vétérans d'Italie, et disposant sa cavalerie sur les ailes. Scipion prit des dispositions analogues, mais en ayant soin de laisser dans ses lignes des espaces pour que les éléphants pussent les traverser sans les rompre. Massinissa avait joint sa cavalerie à celle de Scipion. Dès le commencement de l'action, le désordre fut mis dans l'armée de Hannibal par ses éléphants qui se jetèrent sur ses ailes, puis des mercenaires karthaginois, se croyant trahis, entrèrent en lutte contre la milice punique. Cependant l'ordre se rétablit ; les vétérans se formèrent en ligne, et l'on combattit de part et d'autre avec le plus grand courage. Mais la cavalerie romaine, qui s'était un peu écartée à la poursuite de celle de l'ennemi, étant revenue vers la fin de la journée, enveloppa l'armée de Hannibal et décida la victoire. Elle fut complète. Le général karthaginois parvint, non sans peine, à se réfugier à Hadrumète, avec une poignée d'hommes. Les Romains avaient acheté leur victoire par de cruelles pertes (202).

FIN DE LA II GUERRE PUNIQUE. TRAITÉ AVEC ROME. Après ce dernier échec, Karthage ne pouvait plus songer à combattre encore. Scipion, ayant écrasé Vermina, était venu reprendre ses positions à Tunis et à Utique. Quant à Hannibal il s'efforçait, à Hadru

1. A Naraggara. Voir « Naraggara» par M. Goyt. Recueil de la soc. arch. de Constantine, 20e vol. et Recherches sur le champ de bataille de Zama, par M. Lewal, Revue afr., t. II, p. 111.

mėte, de reconstituer une armée, mais sans aucun espoir sur l'issue de la lutte. Rappelé à Karthage, il conseilla énergiquement à ses concitoyens de traiter. Une ambassade fut envoyée à Scipion pour lui proposer la paix. Le vainqueur de Zama était maître. absolu de la situation; mais, soit qu'il eût hâte de terminer cette guerre, parce que la fin de son consulat approchait, soit qu'il craignît les revers de la fortune, en poussant les Karthaginois au désespoir, il s'empressa de traiter en dictant des conditions fort dures pour Karthage, mais qui auraient pu encore être plus désastreuses. Un armistice de trois mois fut conclu, à la condition que le gouvernement punique paierait une première indemnité de vingt-cinq mille livres d'argent, et fournirait à l'armée romaine tout ce dont elle aurait besoin pour vivre.

Peu après, dix commissaires furent envoyés de Rome et adjoints à Scipion pour la conclusion du traité, qui fut arrêté sur les bases

suivantes :

Karthage livrera tous les prisonniers, les transfuges, ses vaisseaux, excepté dix, et tous ses éléphants.

Elle conservera ses lois et ses possessions en Afrique.

Elle renoncera à tous droits sur ses anciennes colonies de la Méditerranée.

Elle paiera à Rome dix mille talents en cinquante ans et lui livrera cent otages.

Massinissa, reconnu roi de Masséssylie, avec Cirta comme capitale, recevra une indemnité de Karthage et sera respecté comme allié. Enfin Karthage ne pourra lever de mercenaires ni entreprendre de guerre sans l'autorisation de Rome.

Ce traité fut aussitôt ratifié et mis à exécution: Scipion se fit remettre cinq cents vaisseaux qu'on incendia, par son ordre, dans la rade de Karthage. Il reçut quatre mille prisonniers et un certain nombre de transfuges qui périrent dans les supplices, puis il partit pour Rome, où l'attendaient les honneurs du triomphe. Quant à Syphax, envoyé précédemment en Italie avec le butin, il était mort de misère et de chagrin à Albe1 (201).

La deuxième guerre punique se terminait par la ruine effective de Karthage; dépouillée de toutes ses forces et de ses ressources, passée à l'état de vassale, elle a cessé d'exercer aucune prépondérance sur l'Afrique. Les Berbères vont bientôt connaître de nouveaux maîtres.

1. Pour la fin de la 2e guerre punique, voir Tite-Live, Polybe et Appien. Voir aussi l'Afrique ancienne » dans l'« Univers pittoresque », édition Didot, t. II et VII.

CHAPITRE IV

TROISIÈME GUERRE PUNIQUE

201-146

Situation des Berbères en l'an 201.

Hannibal, dictateur de Karthage; il

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Prepon

est contraint de fuir. Sa mort. - Empiètements de Massinissa. dérance de Massinissa. Situation de Karthage. Karthage se prépare à la guerre contre Massinissa. - Défaite des Karthaginois par Massinissa. Troisième guerre punique. Héroïque résistance de Karthage. Mort de Massinissa. Suite du siège de Karthage. Scipion prend le commandement des opérations. Chute de Karthage. L'Afrique province

romaine.

SITUATION DES BERBÈRES EN L'AN 201. Jusqu'à présent, l'histoire de l'Afrique s'est concentrée, pour ainsi dire, dans celle de Karthage. A mesure que la puissance phénicienne penche vers son déclin, nous allons voir s'élever celle des princes indigènes, et les Berbères, qui n'ont paru jusqu'ici que comme comparses, vont occuper la scène. Il est donc utile d'examiner quelle est la situation respective des royaumes indigènes.

Dans la Massylie, agrandie de Cirta et de son territoire, règne Massinissa, sous la tutelle de Rome. Le prince numide jette des regards avides sur le territoire de Karthage, sur la Byzacène et la Tripolitaine. En attendant, il s'applique à discipliner les Berbères, à les fixer au sol et à les initier à des procédés plus perfectionnés de culture.

La Masséssylie occidentale, depuis l'Amsaga jusqu'à la Molochath, obéit à Vermina, qui a fait sa soumission à Rome, et a été laissé sur le flanc de Massinissa pour assurer sa fidélité.

La Maurétanie ou Maurusie est soumise, au moins en grande partie, à une famille princière dont le chef porte le nom de Bokkar. Ce pays est encore peu connu des Romains; mais les Maures (Berbères de l'Ouest) ne vont pas tarder à prendre part aux affaires de l'Afrique.

Quant aux tribus désignées sous le nom de Gétules (Zenètes et Sanhadja) elles continuent à errer dans les hauts plateaux et le désert, ne perdant aucune occasion de faire des incursions dans le Tel et de chercher à s'y établir au détriment des anciennes popu

lations. Mais leurs efforts sont isolés et les Gétules ne forment pas, à proprement parler, un royaume.

De même, dans l'est, les tribus des Nasamons, Psylles, Troglodytes, etc. (Berbères de l'est), obéissant à des chefs distincts, continuent à occuper la Tripolitaine, où l'influence phénicienne est en pleine décadence.

HANNIBAL DICTATEUR DE KARTHAGE. IL EST CONTRAINT DE FUIR; SA MORT. Après la conclusion d'une paix aussi désastreuse, les dissensions, les vengeances, les récriminations stériles, occupèrent les Karthaginois. Hannibal essaya en vain de rétablir la concorde. parmi ses concitoyens, en leur représentant combien il était peu patriotique de consumer ses forces dans des divisions intestines, sous l'œil de l'ennemi héréditaire, au lieu de s'appliquer à réparer les désastres et à se prémunir contre les attaques imminentes de Massinissa. Mais le parti aristocratique, ayant à sa tête Hannon, ennemi irréconciliable des Barcides, voulait avant tout la ruine de cette famille, dût-elle entraîner celle de Karthage. Hannibal, décrété d'accusation, sous le prétexte qu'il avait trahi en ne marchant pas sur Rome après la bataille de Cannes, échappa à une condamnation trop certaine, par une sorte de coup d'état qu'il exécuta avec l'appui du parti populaire. Resté maître du pouvoir, il exerça sa dictature pour le plus grand bien de la république, rétablissant les finances, réorganissant les forces, se créant des alliances et s'efforçant de cicatricer les maux de la dernière guerre (195).

Mais les Romains suivaient d'un œil jaloux le relèvement de Karthage, et étaient tenus par le parti aristocratique au courant de tous les progrès accomplis. Déjà, ils avaient adressé plusieurs fois des représentations aux Karthaginois, au sujet de prétendus préparatifs militaires; car ils craignaient toujours de voir paraître Hannibal en Italie pendant que la plupart des légions étaient occupées en Asie. Il fallait à tout prix se débarrasser du vainqueur de Cannes. Une ambassade fut donc envoyée, sous divers prétextes, à Karthage, dans le but réel de se saisir de Hannibal avec l'appui du parti aristocratique. Mais le héros karthaginois, qui avait pénétré le dessein de ses ennemis, sut leur échapper. Il partit de nuit et gagna rapidement, au moyen de relais, la côte près de Thapsus, où il s'embarqua sur une galère qu'il avait fait préparer, fuyant ainsi une ingrate patrie qui le récompensait si mal de son héroïque dévouement. Il se rendit d'abord à Tyr et de là à la cour du roi Antiochus, et décida ce prince à entrer en lutte contre les Romains. Il espérait que les succès des rois de Syrie auraient en Occident un contre-coup qui permettrait à Karthage de reprendre avec fruit.

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