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toutes les surprises; il trouva tous les postes gardés et dut se contenter de ravager la campagne environnante. Vers le même temps, Capoue était réduite à capituler (211). L'année suivante se passa en opérations dans lesquelles Hannibal obtint quelques succès; mais cette situation ne pouvait se prolonger, s'il ne recevait promptement de puissants renforts. En 209, tandis que les troupes karthaginoises étaient retenues dans le centre, le vieux consul Fabius parvenait à rentrer en possession de Tarente; quelque temps après le brave Marcellus, écrasé par Hannibal, trouvait sur le champ de bataille la mort du guerrier (208).

TAURE.

SUCCÈS DES ROMAINS EN ESPAGNE ET EN ITALIE. BATAILLE DU MÉCette terrible guerre se poursuivait en Italie avec un acharnement égal de part et d'autre, et il était difficile d'en prévoir le dénouement, quand les événements d'Espagne vinrent changer la face des choses. En 209, Publius Scipion, profitant de ce que les troupes karthaginoises étaient disséminées à l'intérieur, alla surprendre et enlever Karthagène, quartier général des Phéniciens, où il trouva des approvisionnements considérables, un nombreux matériel de guerre, des vaisseaux, de l'argent, des otages. Le tout lui fut livré par le général Magon, après une résistance qui aurait pu être plus héroïque. Pour assurer les conséquences de cet important succès, Scipion marcha contre Asdrubal et le défit, mais il ne put empêcher le hardi Karthaginois de prendre, avec des forces importantes, des éléphants et de l'argent, le chemin du Nord. En route, Asdrubal reforma son armée, traversa les Pyrénées et fit invasion en Gaule (208).

Bientôt on apprit à Rome que les Karthaginois menaçaient le nord de l'Italie. La consternation fut grande, mais comme toujours les viriles résolutions triomphèrent. L'argent manquait on fit appel au patriotisme des citoyens et des alliés; les légions étaient disséminées, on les fit rentrer d'Espagne et de Sicile et l'on appela tous les hommes valides aux armes. Les consuls Marcus Livius et Caius Néron reçurent la mission d'empêcher la jonction des Karthaginois.

Hannibal, qui voyait enfin son plan sur le point d'être réalisé, s'empressa de marcher vers le nord pour y tendre la main à son frère, mais les consuls lui barrèrent le passage, et après plusieurs actions dans lesquelles il n'eut pas l'avantage, il se trouva arrêté à Canusium, en Apulie, ayant en face de lui C. Néron, tandis que Marcus gardait la frontière du Nord. Sur ces entrefaites, un courrier, envoyé par Asdrubal à son frère, étant tombé entre les mains des Romains, les mit au courant du plan et de la situation de l'en

nemi. Néron laissa alors son camp à la garde d'une faible partie de son armée et se porta, par marches forcées, avec le reste de ses troupes, contre les Karthaginois dont il connaissait la position et l'itinéraire. En combinant ses forces avec celles de son collègue, il put surprendre les ennemis au moment où ils franchissaient le Métaure. En vain Asdrubal essaya de se dérober par la retraite à l'attaque des Romains, il fallut combattre, et on le fit de part et d'autre avec un grand courage. La journée se termina par la défaite des Karthaginois, dont le chef se fit bravement tuer. Quatorze jours après son départ, Néron rentrait dans son camp et faisait lancer dans les lignes ennemies la tête d'Asdrubal. Ce fut ainsi que Hannibal apprit qu'il ne lui restait plus d'espoir d'être secouru et qu'il ne pouvait plus compter que sur lui-même (207). Il se mit en retraite, atteignit le Bruttium, s'y retrancha et y résista pendant plusieurs années encore aux attaques des troupes romaines.

EVÉNEMENTS D'AFRIQUE. RIVALITÉ DE MASSINISSA ET DE SYPHAX. Pendant que l'Italie était le théâtre de ces événements, Scipion poursuivait en Espagne le cours de ses succès. Vainqueur des généraux karthaginois Hannon, Magon et Asdrubal, fils de Giscon, les Romains conquirent toute l'Espagne méridionale, de telle sorte que les Phéniciens ne conservèrent plus que Gadès et son territoire. Scipion sut en outre détacher Massinissa de la cause de ses ennemis. On dit que ce dernier se laissa séduire par la générosité du général romain qui avait laissé la liberté à son neveu Massiva1; il accepta une entrevue avec Silanus, lieutenant de Scipion, et s'attacha pour toujours aux Romains. C'était une nouvelle conquête, et l'on n'allait pas tarder à en avoir la preuve en Afrique (207). Scipion, cela n'est pas douteux, avait déjà l'intention bien arrêtée d'attaquer Karthage chez elle. Une condition de réussite était d'avoir l'appui des Berbères. Il renoua donc les relations avec Syphax qui, après avoir reconquis son royaume, avait recouvré une grande puissance en Masséssylie et alla même audacieusement lui rendre visite en Afrique. Asdrubal, fils de Giscon, l'avait devancé auprès du prince numide; mais, malgré tous ses efforts, il ne put empêcher Syphax de conclure avec Scipion un traité d'alliance contre Karthage. Rentré en Espagne après une fort courte absence, Scipion eut une entrevue avec Massinissa et le décida à se prononcer ouvertement contre les Phéniciens, dont il sut habilement faire ressortir l'ingratitude vis-à-vis de lui, en lui rappelant

1. Tite-Live, 1. XXVII.

qu'il leur avait rendu les plus grands services avec ses cavaliers numides, dans la péninsule (206).

Mais Asdrubal, resté auprès de Syphax, n'eut pas de peine à tirer parti de cette circonstance pour susciter la jalousie de ce prince berbère et le détacher des Romains. La main de sa fille, la célèbre Sophonisbe qui, dit-on, avait autrefois été promise à Massinissa', scella la nouvelle alliance.

MASSINISSA, ROI DE NUMIDIE. Ce n'était pas sans motif que Massinissa s'était prononcé contre les Karthaginois; en effet, tandis qu'il luttait pour eux en Espagne, ils assistaient impassibles à sa spoliation. Gula étant mort, le pouvoir passa, selon la coutume du pays, dans les mains de son frère Desalcės, vieillard fatigué, qui ne tarda pas à le suivre au tombeau. Il laissait deux jeunes fils, Capusa et Lucumacès. Le premier hérita du pouvoir; mais un intrigant Massylien, nommé Mézétule, profita de sa faiblesse pour le renverser et faire proclamer à sa place son jeune frère Lucumacès, en se réservent pour lui la direction des affaires.

Il était temps, pour Massinissa, de venir prendre une part active à la lutte. En 206, il passa en Maurétanie et se rendit auprès de Bokkar, roi de cette contrée, duquel il obtint, non sans difficulté, une escorte pour se rendre à Massylie. Arrivé dans son pays, il vit accourir un grand nombre de Berbères las de la tyrannie de l'usurpateur, et ne tarda pas, avec leur appui, à entrer en lutte ouverte contre son cousin. Lucumacès, réduit à la fuite, parvint à se réfugier auprès de Syphax et obtint de lui un corps de troupe considérable avec lequel il vint offrir la bataille à Massinissa; mais le sort des armes fut favorable à celui-ci et cette victoire lui rendit son royaume. Il entra alors en pourparlers avec Lucumacès, lui offrant de partager le pouvoir avec lui, ce qui fut accepté. Le jeune prince rentra ainsi en Massylie avec Mezétule.

Le but de Massinissa, par

MASSINISSA EST VAINCU PAR SYPHAX. cette transaction, avait été de ne pas diviser ses forces, dans la prévision de l'attaque imminente de Syphax. Bientôt, en effet, les Masséssyliens envahirent, avec des forces nombreuses, son territoire. En vain Massinissa essaya de tenir tête à ses ennemis : vaincu dans un grand combat, il perdit en un jour sa couronne et se vit réduit à fuir avec quelques cavaliers (205). Il chercha un refuge dans le mont Balbus, non loin de Clypée et, ayant été rejoint

2

1. Ce fait, attesté par Appien, est passé sous silence par Tite-Live. 2. Près de la côte orientale de la Tunisie.

par un certain nombre d'aventuriers, y vécut pendant quelque temps de brigandage et du produit de ses incursions sur les terres karthaginoises. Mais un corps d'armée envoyé par Syphax, sous la conduite de son lieutenant Bokkar, vint l'y relancer, le vainquit en deux rencontres et dispersa ses adhérents.

Blessé dangereusement, Massinissa fut transporté dans une caverne et échappa à la mort grâce au dévouement de quelques hommes restés avec lui. Aussitôt qu'il fut en état de monter à cheval, Massinissa rentra dans la Numidie où il fut bien accueilli par les Berbères qui, avec leur inconstance habituelle, vinrent en masse se ranger sous sa bannière. Syphax le croyait mort, lorsqu'il apprit qu'il était campé avec un énorme rassemblement entre Cirta et Hippone. Le roi des Masséssyliens marcha contre lui et le défit dans une sanglante bataille, dont le gain fut en grande partie dû à un habile mouvement tournant exécuté par Vermina, fils de Syphax. Cette fois il ne resta à Massinissa d'autre ressource que de gagner le pays des Garamantes et de se tenir sur la limite du désert en attendant les événements. Nous verrons, dans tous les temps, les agitateurs aux abois suivre cette tactique. Quant à Syphax, il demeura maître de toute la Numidie (201). Il vint alors s'établir à Cirta, ville qui, par son importance et sa situation centrale, était la réelle capitale du royaume.

ÉVÉNEMENTS D'ITALIE. L'INVASION DE L'AFRIQUE EST RÉSOLUE. Tandis que l'Afrique était le théâtre de ces événements, Magon, qui avait enfin reçu de Karthage quelques secours, quittait l'Espagne et allait débarquer à Gênes dans l'espérance de pouvoir débloquer son frère Hannibal, avec l'appui des Gaulois et des Liguriens. I obtint en effet quelques secours de ces peuplades; mais ce n'était pas avec de telles forces qu'il pouvait traverser l'Italie, et il n'avait pas le prestige qui donne la confiance et supplée à la faiblesse après quelques tentatives infructueuses, il fut à peu près réduit à l'inaction (205).

Pendant ce temps, Scipion qui, lui aussi, avait quitté l'Espagne, s'efforçait de faire adopter à Rome son plan d'invasion de l'Afrique, mais il se heurtait à une résistance invincible: les vieux sénateurs n'avaient pas confiance dans ce jeune homme qui affectait d'adopter les mœurs étrangères; ils oubliaient qu'il venait de conquérir l'Espagne et disaient, pour expliquer leur refus, qu'il ne fallait pas songer à une guerre lointaine tant que Hannibal n'aurait pas quitté l'Italie. A force d'insistance, Scipion finit cependant par arracher au Sénat l'autorisation d'attaquer Karthage chez elle, mais il n'obtint pas les forces matérielles nécessaires; on l'envoya en Sicile

organiser la flotte et former son armée des restes des légions de Cannes et des aventuriers et des mercenaires qu'il pourrait réunir, mais sans lui donner d'argent pour cela. L'activité et le génie du général suppléèrent à tout: il se fit remettre des subsides par les villes, mit en état la flotte, organisa l'armée et, au printemps de l'année 204, fit voile pour l'Afrique en emmenant trente mille hommes.

CAMPAGNE DE SCIPION EN AFRIQUE. Débarqué heureusement au Beau-Promontoire, près d'Utique, Scipion fut rejoint par Massinissa accouru avec quelques cavaliers'. Après divers engagements heureux contre les troupes karthaginoises, le général romain vint mettre le siège devant Utique. Mais Syphax, étant accouru avec une puissante armée au secours de ses alliés, força Scipion à lever le siège d'Utique et à aller prendre ses quartiers d'hiver dans un camp retranché, entre cette ville et Karthage. Les troupes phéniciennes et berbères se contentèrent de l'y bloquer étroitement. Au printemps suivant, Scipion profita de la sécurité dans laquelle il avait entretenu Syphax, en lui adressant des propositions de paix, comme s'il jugeait la campagne perdue; simulant un mouvement vers Utique, il se porta par une marche rapide sur les campements de ses ennemis divisés en deux groupes, les Karthaginois sous le commandement d'Asdrubal et les Berbères sous celui de Syphax, les surprit de nuit dans leur camp, et fit incendier celui des Numides par Lélius, son lieutenant, et par Massinissa; quant à lui, il se réserva l'attaque de celui des Phéniciens. Le succès de ce coup de main fut inespéré: quarante mille ennemis périrent, diton, dans cette nuit funeste, car ceux qui essayaient d'échapper aux flammes et au tumulte tombaient dans les embuscades des Romains (203).

Sans se laisser abattre par ce désastre, Karthage s'occupa avec activité de se refaire une armée. Quatre mille mercenaires celtibériens furent enrôlés, et bientôt une armée nombreuse de Berbères, envoyés par Syphax, arriva à Karthage. Asdrubal, à la tête d'une trentaine de mille hommes, marcha alors contre Scipion qui s'avança à sa rencontre et lui livra bataille en un lieu que les historiens appellent « les grandes plaines ». Cette fois encore, la fortune se prononça pour les Romains. Scipion remporta une victoire décisive, puis il marcha directement sur Karthage et vint se rendre maître de Tunis.

1. Tite-Live, XXIX, 29.

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