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CHAPITRE XIII

AFFAIBLISSEMENT DES EMPIRES MUSULMANS EN AFRIQUE, EN ESPAGNE

ET EN SICILE.

997 - 1045.

Ziri-ben-Atiya est défait par l'oméïade El-Modaffer. Victoires de Ziri-benAtiya dans le Magreb central. Guerres de Badis contre ses oncles et contre Felfoul. Mort de Ziri-ben-Atiya; fondation de la Kalaa par Hammad. - Espagne : Mort du vizir Ben-Abou-Amer. El-Moëzz, fils de Ziri, est nommé gouverneur du Mag`reb. — Guerres civiles en Espagne ; les Berbères et les chrétiens y prennent part. - Triomphe des Berbères et d'El-Mostaïn en Espagne. Luttes de Badis contre les Beni-Khazroun; Hammad se déclare indépendant à la Kalaa. Guerre entre Badis et Hammad. — Mort de Badis, avènement d'El-Moëzz. - Conclusion de la paix entre ElMoëzz et Hammad. — Espagne : Chute des Oméïades; Fedriside Ali-benHammoud monte sur le trône. — Anarchie en Espagne; fractionnement de l'empire musulman. Guerres entre les Mag'raoua et les Beni-Ifrene. Luttes du sanhadjen El-Moëzz contre les Beni-Khazroun de Tripoli; préludes de sa rupture avec les Fatemides. - Guerres entre les Mag'raoua et les Beni-Ifrene. Événements de Sicile et d'Italie; chute des Kelbites. Exploits des Normands en Italie et en Sicile; Robert Wiscard. Rupture entre El-Moëzz et le hammadite El-Kaïd.

ZIRI-BEN-ATIYA EST DÉFAIT PAR L'OMEÏADE EL-MODAFFER. En rompant courageusement avec le vizir oméïade, Ziri avait peutêtre beaucoup présumé de ses forces; il se prépara néanmoins, de son mieux, à lutter contre lui. Débarqué à Tanger, le général Ouadah entra aussitôt en campagne (997). Pendant trois ou quatre mois ce fut une série d'escarmouches sans action décisive; Ouadah parvint alors à surprendre de nuit le camp de Ziri, près d'Azila, et à s'en emparer. Le chef berbère dut opérer sa retraite vers l'intérieur, tandis que Nokour et Azila tombaient au pouvoir des troupes oméïades.

Ces succès étaient bien insignifiants aux yeux d'Ibn-Abou-Amer, et, comme Ziri avait repris l'offensive et forcé Ouadah à la retraite, le vizir se décida à envoyer dans le Magreb de nouvelles troupes, sous le commandement de son fils Abd-el-Malek-el-Modaffer, et vint lui-même s'établir à Algésiras, afin de surveiller de plus près le départ des renforts. L'arrivée du fils du puissant vizir en Afrique produisit le plus grand effet sur l'esprit si versatile des Berbères. De toutes parts, les chefs des tribus, entraînant une partie de leurs

gens, désertèrent la cause de Ziri, pour se ranger sous les étendards oméïades.

Malgré ces défections, Ziri, dont l'âme ne se laissait pas facilement abattre, attendit l'ennemi dans la province de Tanger et se prépara, avec une armée fort nombreuse, à soutenir son choc. Quand El-Modaffer eut réuni toutes les ressources dont il pouvait disposer, il se mit en marche pour attaquer son adversaire. Celuici s'avança bravement à sa rencontre, et, en octobre 998, les deux armées se heurtèrent au sud de Tanger. La bataille s'engagea aussitôt, acharnée et meurtrière; longtemps, l'issue en demeura indécise; enfin les troupes oméïades commençaient à plier, lorsque Ziri, qui se trouvait au plus fort de l'action, fut frappé de trois coups de lance par un de ses propres serviteurs, un nègre dont il avait fait tuer le frère. Le meurtrier accourut aussitôt dans les rangs ennemis porter la nouvelle de la mort de l'émir des Mag'raoua. Cependant Ziri, bien que grièvement blessé au cou, n'était pas tombé et son étendard tenait encore debout, de sorte qu'El-Modaffer ne savait ce qu'il devait croire des rapports du transfuge ou du témoignage de ses yeux. Ayant alors remarqué un certain désordre parmi les Mag'raoua, il entraîna une dernière fois ses guerriers dans une charge furieuse, et parvint à mettre en déroute l'ennemi.

Les Mag'raqua et leurs alliés se dispersèrent dans tous les sens; quant à Ziri, on le transporta tout sanglant à Fès, où se trouvait alors sa famille; mais les habitants refusèrent de le recevoir, et ce fut avec beaucoup de peine qu'on put obtenir d'eux la remise de son harem. Ziri ne trouva de sécurité pour lui et les siens qu'en se réfugiant dans les profondeurs du désert.

Cette seule victoire rendit le Magreb aux Oméïades. Aussi, lorsque la nouvelle en parvint à Cordoue, le Vizir ordonna-t-il des réjouissances publiques. Il envoya ensuite à son fils El-Modaffer le diplôme de gouverneur du Magreb. Ce prince confia le commandement des provinces à ses principaux officiers, puis il s'occupa de faire rentrer les contributions qu'il avait frappées sur les populations rebelles. Sidjilmassa avait été évacuée par les BeniKhazroun; le gouverneur oméïade y envoya, pour le représenter,

un officier du nom de Hamid-ben-Yezel '.

VICTOIRES DE ZIRI-BEN-ATIYA DANS LE MAG REB CENTRAL. Lorsque

1. Ibn-Khaldoun, Berbères, t. III, p. 24 ́t et suiv., 257. Kartas, p. 147 et suiv. Dozy, Musulmans d'Espagne, t. III, p. 235 et suiv. El-Bekri, passim.

Ziri-ben-Atiya fut à peu près guéri de ses blessures, il rallia autour de lui les Beni-Khazroun et autres tribus dépossédées et repartit en guerre; mais, n'osant s'attaquer aux Oméïades, ce fut contre les Sanhadja qu`il tourna ses armes. Il envahit leur pays et mit en déroute Itoueft et Hammad, qui avaient voulu lui barrer le passage. Il vint alors assiéger Tiharet, où Itoueft s'était réfugié.

Sur ces entrefaites, les oncles de Badis, ayant à leur tête Makcen et Zaoui, deux d'entre eux, se mirent en état de révolte, et leur exemple fut suivi par leur parent Felfoul-ben-Khazroun, fils et successeur du commandant de Tobna. Itoueft, Hammad et AbouI'Behar restèrent fidèles au gouverneur. Ces graves événements décidèrent Badis à marcher en personne contre les ennemis. En 999, il se porta sur Tiharet, débloqua cette ville et força Ziri à la retraite; mais, en même temps, Felfoul-ben-Khazroun s'avançait vers l'est et entrait en Ifrikiya. Force fut à Badis de revenir sur ses pas pour garantir le siège de son commandement, sans avoir pu compléter sa victoire. Ziri reprit alors l'offensive, et après avoir de nouveau défait Itoueft et Hammad, s'empara de Tiharet et de Mecila, puis, se portant vers le nord, il conquit Chelif, Ténės et Oran. Dans toutes ces villes, de mème qu'à Tlemcen qu'il avait conservée, il fit célébrer la prière au nom de Hicham II et de son vizir.

Encouragé par ses succès, Ziri pénétra au cœur du pays des Sanhadja et vint mettre le siège devant Achir. En même temps, il écrivit au vizir de Cordoue pour lui rendre compte de ses victoires et lui demander pardon de sa rébellion. Ceux des oncles de Badis que Ziri avait recueillis furent chargés de porter le message en Espagne. Ils y arrivèrent en l'an 1000 et furent bien reçus par Ibn-Abou-Amer; le vizir parut oublier les fautes de Ziri; il rappela son fils El-Modaffer, permit aux Beni-Ouanoudine de rentrer å Sidjilmassa et nomma le général Ouadah gouverneur résidant à Fès. Quant à Ziri, il lui abandonna le commandement des provinces conquises dans le Mag`reb central 1.

GUERRES DE BADIS CONTRE SES ONCLES ET CONTRE FELFOUL-benKHAZROUN. En Ifrikiya, Felfoul-ben-Khazroun était venu mettre le siège devant Bar'aï. De là il avait, dit-on, demandé des secours en Orient au khalife fatemide, alors en froid avec le gouverneur de Kaïrouan. Celui-ci lui aurait expédié Yahïa-ben-Hamdoun, ré

1. Ibn-Khaldoun, t. II, p. 16, 17, t. III, p. 246, 247, 260, 261. Kartas, p. 147, 148. Dozy, Musulmans d'Espagne, t. III, p. 237. Baïane, passim.

fugié en Egypte depuis l'assassinat de son frère; mais ce chef, accompagné de quelques troupes, n'aurait pu traverser le pays de Barka, occupé par la tribu hilalienne des Beni-Korra, récemment. transportée de Syrie, et ainsi Felfoul serait demeuré réduit à ses propres forces.

Cependant, la panique était grande à Kaïrouan, et déjà l'on barricadait les rues pour se défendre, mais Badis, arrivant à marches forcées, obligea Felfoul à lever le siège de Bar'aï et à rétrograder vers l'ouest. Makcen, oncle de Badis, et ses adhérents, se joignirent alors à Felfoul, et les confédérés firent une nouvelle expédition contre Tebessa, mais ils furent repoussés. Makcen resta seul avec Felfoul, ses autres frères étant allés rejoindre Ziri-benAtiya.

En 1001, Hammad marcha contre les rebelles, les attaqua vigoureusement et les mit en pleine déroute. Makcen et ses enfants, étant tombés aux mains du vainqueur, furent livrés par lui à des chiens affamés qui les mirent en pièces. Hammad poursuivit les fuyards jusque dans le mont Chenoua, près de Cherchel, où ils s'étaient réfugiés, et les obligea à se rendre, à la condition qu'on leur permit de passer en Espagne.

MORT DE ZIRI-BEN-ATIYA. FONDATION DE LA KALAA PAR HAMMAD. Au moment où Hammad obtenait ces succès, Ziri-ben-Atiya rendait le dernier soupir sous les murs de la ville d'Achir, qu'il assiégeait depuis longtemps sans succès. On dit que sa mort fut causée par les blessures que lui avait faites le nègre et qui s'étaient incomplètement guéries. Son fils El-Moëzz prit alors le commandement et offrit au gouvernement de Cordoue une forte somme d'argent, avec son fils Moannecer comme otage, pour se faire nommer gouverneur du Mag`reb.

Mais Hammad s'avançait à marches forcées, et El-Moëzz ne jugea pas prudent de l'attendre, car son ennemi culbutait tout devant lui et semblait précédé par la victoire. Achir délivrée, Hamza et Mecila rentrèrent aussi au pouvoir du général sanhadjien, qui rendit à l'empire ses anciennes limites. Il rasa un grand nombre de villes infidèles ou difficiles à défendre et vint fonder, dans les montagnes abruptes de Kiana, au nord de Mecila ', une ville forte qu'il appela la Kalâa (le château), et qu'il peupla avec les habitants des cités détruites.

1. Les ruines de la Kalàa (Galàa, selon la prononciation locale) se voient encore dans le Djebel-Nechar, qui ferme, au nord, le bassin du Hodna.

Badis, de son côté, n'était pas resté inactif; sans laisser de répit à Felfoul, il l'avait contraint à se jeter dans le désert. Voyant sa route coupée, le chef mag'raouien chercha un refuge dans la province de Tripoli, alors en proie à l'anarchie, car le khalife du Caire y envoyait des gouverneurs que son représentant de Kaïrouan refusait de reconnaître. Il entra en maître à Tripoli, dont les habitants l'accueillirent en libérateur. Un certain nombre de Mag raoua le rejoignirent dans cette localité 1.

La peste et la famine ravageaient alors l'Afrique et faisaient des milliers de victimes 2.

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ESPAGNE : MORT DU VIZIR IBN-ÁBOU-AMER. EL-Moezz, fils de Ziri, EST NOMMÉ GOUVERNEUR DU MAG REB, Dans le mois d'août 1002, le vizir El-Mansour-ben-Abou-Amer, qui venait de rentrer d'une dernière expédition en Castille, mourut à Medina-Céli. Le rôle qu'il a joué dans l'histoire des Musulmans d'Espagne est considérable; par son indomptable énergie, il a retardé le démembrement. de l'empire oméïade, et, par son audacieuse activité, étendu ses frontières jusqu'au coeur des pays chrétiens. Les Musulmans avaient maintenant trois capitales: Léon, Pampelune et Barcelone; les basiliques les plus célèbres avaient été pillées ou détruites, le culte du Christ aboli. Aussi les populations chrétiennes accueillirentelles avec un soupir de soulagement la nouvelle de la mort du terrible vizir.

Avant de mourir, Ibn-Abou-Amer avait fait venir son fils, Abdel-Malek, et lui avait fait les plus minutieuses recommandations, car il sentait bien que, malgré l'apparence de la force, son pouvoir était précaire et résultait surtout de la manière dont il l'exerçait. A son arrivée à Cordoue, El-Modaffer trouva le peuple soulevé et réclamant à grands cris son souverain. Or, Hicham II ne tenait nullement à se charger des soucis du gouvernement, et, grâce à ces dispositions, le vizir parvint assez rapidement à faire reconnaître son autorité. Suivant alors l'exemple de son père, il donna tous ses soins à la guerre sainte 3.

El-Modaffer avait trouvé dans sa capitale l'ambassade envoyée du Magreb par El-Moëzz, fils de Ziri. Il accueillit avec empressement ses propositions, qui lui laissaient plus de liberté d'action pour ses entreprises contre les chrétiens. Le général Ouadah fut

1. Ibn-Khaldoun, t. II, p. 16, 17, t. III, p. 248, 263. Kartas, p. 148. El-Bekri, passim. Ibn-el-Athir, année 386.

2. Ibn-er-Rakik, cité par les auteurs musulmans.

3. Dozy, Musulmans d'Espagne, t. III, p. 238 et suiv.

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