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Djouher s'était présenté en Egypte comme un pacificateur. Il continua ce rôle après la victoire, rétablit la marche régulière de l'administration, en plaçant partout des fonctionnaires pris parmi les Ketama et Sanhadja, et s'appliqua surtout à ne pas froisser les convictions religieuses et à maintenir les usages qui n'étaient pas contraires à la Sonna et au Koran. Il jeta, dit-on, les fondations de la fameuse mosquée El-Azhar 1.

REVOLTES EN AFRIQUE. ZIRI-BEN-MENAD ÉCRASE LES ZENETES. Dans le Magreb, la cause fatemide était loin d'obtenir d'aussi brillants succès. Aussitôt après le départ de Djouher, le feu de la révolte y avait de nouveau éclaté. La rivalité qui existait entre les Mag'raoua, commandés par Mohammed-ben-el-Kheïr, petit-fils d'Ibn-Khazer, et Ziri-ben-Menad, avait été habilement exploitée par le khalife El-Hakem. Les agents oméïades avaient également réussi à exciter Djafer-ben-Hamdoun contre Ziri, en lui faisant remarquer combien il était humiliant pour lui de voir les faveurs du souverain fatemide être toutes pour le chef des Sanhadja. Bientôt la révolte éclatait sur un autre point et, tandis que Djouher partait pour l'Egypte, un certain Abou-Djâfer se jetait dans l'Aourès, en appelant à lui les mécontents et en ralliant les débris des Nekkariens. El-Moëzz, en personne, marcha contre le rebelle, mais, à son approche, les Nekkariens se débandèrent, et AbouDjâfer n'eut d'autre salut que dans la fuite. Le khalife, qui s'était avancé jusqu'à Bar'aï, chargea Bologguine, fils de Ziri, de poursuivre les révoltés et rentra dans sa capitale. Peu après, AbouDjâfer faisait sa soumission.

La rivalité entre les Sanhadja et les Mag'raoua s'était transformée en un état d'hostilité permanente. Sur ces entrefaites, Mohammed-ben-el-Kheïr, chef de ces derniers, contracta alliance avec les autres tribus zenètes, toutes dévouées aux Oméïades, et leva l'étendard de la révolte.

Les partisans avérés des Fatemides furent massacrés et on proclama, dans tout le Magreb, l'autorité d'El-Hakem. Tandis que les Mag'raoua et Zenata se préparaient à prendre l'offensive, Ziriben-Menad fondit sur eux à l'improviste à la tête de ses meilleurs guerriers sanhadja. Sou fils Bologguine commandait l'avant-garde. Le premier moment de surprise passé, les Zenètes confédérés essayèrent de reformer leurs lignes, et un combat acharné s'engagea. Enfin les Beni-Ifrene lâchèrent pied en abandonnant les Mag'raoua. Ceux-ci, enflammés par l'exemple de leur chef, se

1. Amari, Musulmans de Sicile, t. II, p. 284 et suiv.

firent tuer jusqu'au dernier. Mohammed-ben-el-Kheïr, après avoir vu tomber tous ses guerriers, se perça lui-même de son épée. Les pertes des Zenètes, et surtout des Mag'raoua, furent considérables. On expédia à Kaïrouan les têtes des principaux chefs (970). Le résultat de cette victoire fut de rétablir, pour un instant, l'autorité fatemide dans le Magreb '.

MORT DE ZIRI-BEN-MENAD. SUCCÈS DE SON FILS BOLOgGUINE DANS LE MAG‍REB. — El-Moëzz n'était pas sans inquiétude sur les intentions de Djâfer-ben-Hamdoun, dont la jalousie venait d'être excitée par les derniers succès de Ziri. Il le manda amicalement à sa cour; mais le gouverneur de Mecila, craignant quelque piège, leva le masque et alla rejoindre les Zenètes, qui avaient été ralliés par El-Kheir, fils de Mohammed-ben-Khazer, brûlant du désir de tirer vengeance de la mort de son père. Bientôt ces deux chefs envahirent le pays des Sanhadja, à la tête d'une armée considérable. Ziri-ben-Menad, pris à son tour au dépourvu et séparé de son fils Bologguine, rassembla à la hâte ses guerriers et marcha contre l'ennemi avec sa bravoure habituelle. Cette fois la victoire se déclara contre lui. Après un engagement sanglant, les Sanhadja commencèrent à prendre la fuite. En vain Ziri tenta de les rallier son cheval s'étant abattu, il fut aussitôt percé de coups par ses adversaires, qui se précipitèrent sur son corps et le décapitèrent (juillet 971). Yahïa, frère de Djàfer-ben-Hamdoun, fut chargé de porter à Cordoue la tête de Ziri. On l'exposa sur le marché de la ville.

A la nouvelle de ce désastre, Bologguine accourut pour venger son père et préserver ses provinces. Il atteignit bientôt les Zenètes et leur infligea une entière défaite. Il reçut alors du khalife le diplôme d'investiture, en remplacement de son père, et l'ordre de continuer la campagne si bien commencée. A la tête d'une armée composée de guerriers choisis, Bologguine se porta d'abord dans le Zab, pour en expulser les partisans d'Ibn-Hamdoun, et s'avança jusqu'à Tobna et Biskra; puis, reprenant la direction de l'ouest, il chassa devant lui tous les Zenètes dissidents. Après un séjour à Tiharet, il se lança résolument dans le désert, où El-Kheïr et ses Zenètes avaient cherché un refuge, et les poursuivit jusqu'auprès de Sidjilmassa. Les ayant atteints, il les mit de nouveau en déroute; El-Kheïr, fait prisonnier, fut mis à mort.

1. Ibn-Khaldoun, Berbères, t. II, p. 7, 149, 549, t. III, p. 234 et suiv. El-Kairouani, p. 125. El-Bekri, passim.

2. Nous suivons ici l'usage indigène consistant à donner le nom de l'aïeul, devenu patronymique, en supprimant celui du père.

Quant à Djâfer, il alla demander un asile en Espagne, auprès d'El-Hakem.

Traversant alors le Mag'reb extrême, Bologguine revint vers le Rif, où les Edrisides s'étaient de nouveau déclarés les champions de la cause oméïade. El-Hacen-ben-Kennoun dut, encore une fois, changer de drapeau et jurer fidélité au khalife fatemide. Après cette courte et brillante campagne, dans laquelle les Mag'raoua et Beni-Ifrene avaient été en partie dispersés, au point qu'un certain nombre d'entre eux étaient allés chercher un refuge en Espagne, Bologguine se disposa à revenir vers l'est; auparavant, il défendit aux Berbères du Magreb de se livrer à l'élève des chevaux, et, pour compléter l'effet de cette mesure, ramena avec lui toutes les montures qu'on put saisir 1.

En passant à Tlemcen, il déporta une partie de la population de cette ville et la fit conduire à Achir 2.

Pendant que la

EL-MOEZZ SE PRÉPARE A QUITTER L'IFRIKIYA. cause fatemide obtenait ces succès en Mag`reb, ses armées, habilement conduites, achevaient de détruire en Syrie la résistance des derniers partisans de la dynastie ikhchidite. Le fils de Djouher conduisit lui-même à Kaïrouan les membres de cette famille faits prisonniers. Le khalife les reçut avec une grande pompe, couronne en tête, et leur rendit la liberté.

Mais les Fatemides trouvèrent bientôt devant eux, en Syrie, des adversaires autrement redoutables; les Karmates, sous le commandement d'El-Hassan-ben-Ahmed, avaient conquis une partie de ce pays et s'avançaient menaçants. Le général ketamien Djâferben-Felah, envoyé contre eux, fut entièrement défait et perdit la vie dans la rencontre. Damas tomba aux mains des Karmates, qui marchèrent ensuite contre l'Egypte.

Les brillantes victoires remportées par les Fatemides risquaient d'être annihilées, comme effet, si une main puissante ne venait prendre le commandement dans la nouvelle conquête. Djouher pressait depuis longtemps le khalife de transporter en Egypte le siège de l'empire; mais El-Moëzz, au moment de réaliser le rêve de sa famille, hésitait à quitter cette Ifrikiya, berceau de la puissance fondée par le mehdi. En présence des complications survenues en Syrie Djouher redoubla d'instances, et comme, en même

1. El-Kairouani, p. 127.

2. Ibn-Khaldoun, t. II, p. 8, 150, 548, t. III, p. 234, 235, 255. Kartas, p. 125. El-Bekri, Idricides, passim.

temps, arriva à Kaïrouan la nouvelle de la pacification du Mag`reb par Bologguine, El-Moëzz se décida à partir pour l'Orient. Il établit son camp à Sardenia, entre Kaïrouan et Djeloula, y réunit les troupes qu'il devait emmener, et s'occupa de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de l'abandon définitif du pays. La grande difficulté était de pouvoir laisser l'Ifrikiya dans des mains sûres. Afin de ne pas donner trop de puissance à son représentant, il divisa le pouvoir entre plusieurs fonctionnaires. Le Ketamien Abd-Allah-ben-Ikhelef fut nommé gouverneur de la province de Tripoli. En Sicile, la famille des Ben-el-Kelbi avait conservé le commandement; El-Moëzz craignit que l'influence énorme dont elle jouissait la poussât à se déclarer indépendante. Il rappela de l'ile le gouverneur Abmed-ben-el-Kelbi, et chargea un affranchi, du nom de laïch, de la direction des affaires. Mais, à peine celui-ci était-il arrivé, que la révolte éclatait et que le prince s'empressait d'envoyer dans l'ile, comme gouverneur, Bel-Kassem-el-Kelbi. Quant au poste quasi-royal de gouverneur de l'Ifrikiya et du Magreb résidant à Kaïrouan, le khalife le réserva à Bologguine, fils de Ziri, dont l'intelligence et le dévouement lui étaient connus. La perception de l'impôt fut confiée à deux fonctionnaires, sous les ordres directs du khalife; le cadi et quelques chefs de la milice furent également réservés à sa nomination; enfin, un conseil de grands officiers fut chargé d'assister Bologguine'.

EL-MOEZZ TRAnsporte le siège de la dynastie FATEMIDE En Egypte. Au commencement de l'automne de l'année 972, Bologguine rentra de son heureuse expédition. Le khalife l'accueillit avec les plus grands honneurs et lui accorda les titres honorifiques de Sifed-Daoula (l'épée de l'empire) et d'Abou-el-Fetouh (l'homme aux victoires); il voulut en outre qu'il prît le nom de Youçof. Lui ayant annoncé son intention de le nommer gouverneur de l'Afrique, il lui traça sa ligne de conduite, et lui recommanda surtout de ne cesser de faire sentir aux Berbères une main ferme, de ne pas exempter les nomades d'impôts, et de ne jamais donner de commandement important à une personne de sa famille, qui serait amenée à vouloir partager l'autorité avec lui. Il lui prescrivit encore de combattre sans cesse l'influence des Oméïades dans le Mag'reb et de faire son possible pour expulser définitivement leurs adhérents du pays.

1. Ibn-Khaldoun, t. II, p. 9, 10, 549, 550. El-Kairouani, p. 110. IbnEl-Athir, passim. De Quatremère, Vie d'El-Moez. Amari, Musulmans de Sicile, p. 287 et saiv.

T. I.

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Dans le mois de novembre 972, El-Moëzz se mit en route et fut accompagné jusqu'à Sfaks par Bologguine. Le khalife emportait avec lui les cendres de ses ancêtres et tous ses trésors fondus en lingots. C'était bien l'abandon définitif d'un pays que les Fatemides avaient toujours considéré comme lieu de séjour temporaire.

El-Moëzz arriva à Alexandrie dans le mois de mai 973. Le 10 juin suivant, il fit son entrée triomphale au vieux Caire (Misr) et alla fixer sa résidence au nouveau Caire (El-Kahera-el-Moëzzia'. Nous perdrons de vue, maintenant, les faits particuliers à sa dynastie en Egypte, pour ne suivre que le cours des événements accomplis en Magreb 1.

Ainsi les derniers souverains de race arabe ont quitté la Berbérie, car nous ne comptons plus les Edrisides dispersés et sans forces et dont la dynastie est sur le point de disparaître de l'Afrique. Partout le peuple berbère a repris son autonomie; il n'obéit plus à des étrangers; il va fonder de puissants empires et avoir ses jours de grandeur.

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1. Ibn-Khaldoun, t. II, p. 10, 550, 551. El-Kairouani, p. 111, 124. ElBekri, passim. Amari, Musulmans de Sicile, p. 287 et suiv.

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