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s'y défendit avec le courage du désespoir. En vain les assiégeants s'avancèrent, en traversant des ravins escarpés et en escaladant les roches, jusqu'au pied du dernier escarpement, malgré la grêle de pierres et de projectiles que leur lançaient les assiégés, ils ne purent arriver au sommet, et la nuit les surprit avant qu'ils eussent achevé d'assurer leur victoire. Pendant la nuit, Ibrahim fit incendier les broussailles qui environnaient le fort, afin qu'elles ne pussent favoriser la fuite de son ennemi. Les Houara, dont les habitations avaient été brulées et les bestiaux enlevés, vinrent le soir même faire leur soumission.

Ismaïl avait pu se convaincre, dans ces journées de luttes, qu'il n'avait pas assez de troupes pour réduire son ennemi. Il demanda des soldats réguliers à Kaïrouan et, en attendant leur arrivée, s'installa à son camp du Nador. « Tant que je n'aurai pas triomphé de mon ennemi, disait-il 1, mon trône sera où je campe. » Le khalife passa ainsi de longs mois, pendant lesquels il employa les troupes que le blocus laissait disponibles à pacifier la contrée.

Enfin les renforts arrivés par mer parvinrent au camp du Nador et l'on donna l'assaut. Cette fois, la forteresse fut enlevée. AbouYezid, ses fils et quelques serviteurs dévoués, s'étaient réfugiés dans une sorte de réduit où ils tenaient encore. On finit par y pénétrer, mais l'agitateur n'y était plus; il était sorti par un passage secret et fuyait au milieu des roches, porté par trois hommes, car il était couvert de blessures. Peut-être aurait-il échappé encore si ceux qui le portaient ne l'avaient laissé rouler dans un ravin profond, d'où il fut impossible de le retirer.

Les vainqueurs finirent par le trouver à demi-mort. Ils l'apportèrent au khalife, qui l'accabla de reproches sur son manque de foi et sa conduite envers lui; néanmoins, comme il le réservait pour son triomphe, il fit soigner ses blessures; mais, quelques jours après, l'Homme à l'âne rendait le dernier soupir (août 947). Son corps fut écorché et sa peau bourrée de paille pour être rapportée à El-Mehdïa. Sa chair et les têtes de ses principaux adhérents ayant été salées, furent expédiées à El-Mehdia. Du haut de la chaire, on y annonça la victoire du khalife, et les preuves sanglantes en furent livrées à la populace.

La chute d'Abou-Yezid fut le dernier coup porté aux Nekkariens. Aïoub et Fadel, fils de l'homme à l'àne, qui avaient pu échapper, tentèrent de rallier les débris des adhérents de leur père. S'étant associés à un ambitieux de la famille d'Ibn-Khazer,

1. Selon Ibn-Hammad.

nommé Mâbed, ils parvinrent à réunir une armée et allèrent attaquer Tobna et même Biskra. Mais le khalife ayant envoyé contre eux ses généraux Chafa et Kaïcer, soutenus par les contingents des Sanhadja avec Ziri-ben-Menad, les agitateurs furent défaits. et durent se réfugier dans les profondeurs du désert.

Ainsi se termina la révolte de l'Homme à l'âne, sous les coups de laquelle l'empire fatemide avait failli s'écrouler. Abou-Yezid, dont on ne saurait trop admirer la ténacité, l'indomptable énergie et même les talents militaires, se laissa, comme beaucoup d'autres, griser par le succès. Par la seule faute qu'il commit, en ne marchant pas sur El-Mehdïa après la prise de Kaïrouan, il perdit à jamais sa cause. Doit-on le regretter? Nous n'osons affirmer que son succès aurait été bien avantageux pour l'Afrique '.

1. Nous avons suivi, pour tout le récit de la révolte d'Abou-Yezid, les auteurs suivants: Ibn-Khaldoun, Berbères, t. II, p. 530-542, t. III, p. 201-213. El-Bekri, passim. Ibn-Hammad, passim. El-Kaïrouani, p. 98 et suivantes. Documents sur l'hérétique Abou-Yézid, par Cherbonneau. Revue africaine, no 78, et collection du Journal asiatique.

CHAPITRE XI

FIN DE LA DOMINATION FATEMIDE

947-973

Etat du Magreb et de l'Espagne. Expédition d'El-Mansour à Tiharet. Retour d'El-Mansour en Ifrikiya. Situation de la Sicile; victoires de Ouali Hassan-ben-Ali en Italie. Mort d'El-Mansour, avènement d'ElMoezz. Les deux Mag'reb reconnaissent la suprématie oméïade. Les Mag'raoua appellent à leur aide le khalife fatemide. Rupture entre les Oméïades et les Fatemides. Campagne de Djouher dans le Mag'reb; il soumet ce pays à l'autorité fatemide. — Guerre d'Italie et de Sicile. Evénements d'Espagne; mort d'Abd-er-Rahman-en-Nacer; son fils ElHakem II lui succède. Succès des Musulmans en Italie et en Sicile. Progrès de l'influence oméïade en Mag'reb. Etat de l'Orient; El-MoëZZ prépare son expédition. - Conquête de l'Egypte par Djouher. Révoltes en Afrique; Ziri-ben-Menad écrase les Zenètes.- Mort de Ziri-ben-Menad; succès de son fils Bologguine dans le Mag'reb. El-Moëzz se dispose à quitter l'Ifrikiya. - El-Moëzz transporte le siège de la dynastie fatemide en Egypte. Appendice. Chronologie des Fatemides d'Afrique.

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ÉTAT DU MAG`REB et de l'Espagne. — Il n'avait pas fallu à Ismaïl moins de deux années de luttes incessantes pour triompher de la terrible révolte de l'Homme à l'âne. C'était un grand résultat, obtenu grâce à l'énergie du khalife, et le surnom d'El-Mansour qui lui fut donné, il faut le reconnaître, était mérité. Mais, si le principal ennemi était abattu, il restait bien des plaies à fermer. Pendant cette crise, l'autorité fatemide avait perdu tout son prestige dans l'ouest, au profit des Oméïades d'Espagne. Le Mag`reb et Akça, en entier, leur obéissait déjà. Les fils de Ben-Abou-l'-Afia, nommés El-Bouri, Medien et Abou-el-Monkad, y gouvernaient en leur nom. Les Edricides, toujours cantonnés dans le pays des Romara et obéissant à leur chef Kennoun, se tenaient seuls éloignés du khalife espagnol, mais en se gardant bien de témoigner contre lui la moindre hostilité.

Auprès de Tlemcen, les Beni-Ifrene avaient peu à peu étendu leur domination sur leurs voisins; ayant pris une part active à la révolte d'Abou-Yezid, ils avaient profité de la période de succès de cet agitateur pour augmenter leur empire. Le khalife En-Nacer, par une habile politique, avait nommé leur chef, Yala-ben-Mohammed, gouverneur du Mag'reb central. Enfin, à Tiharet, commandait Hamid-ben-Habbous pour les Oméïades.

T. I.

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En Espagne, Abd-er-Rahman-en-Nacer avait obtenu, dans le nord, de non moins grands succès, en profitant de la discorde qui paralysait les forces des chrétiens; Castille et Léon étaient en guerre. Les Castillans, sous le commandement de Ferdinand Gonzalez, surnommé l'excellent Comte, avaient cherché à s'affranchir du joug un peu lourd de Ramire II, prince de Léon; mais la fortune avait trahi Ferdinand fait prisonnier par son ennemi, il avait été tenu dans une dure captivité et n'avait obtenu la liberté qu'en renonçant à exercer aucun commandement. Les Musulmans, pendant ces luttes fratricides, avaient reporté leur frontière jusqu'au delà de Medina-Céli '.

Le khalife Ismaïl voulut

EXPÉDITION D'EL-MANSOUR A THARET. profiter de son séjour dans l'ouest pour tâcher d'y rétablir son autorité. Ayant convoqué ses alliés à Souk-Hamza, il fut rejoint dans cette localité par Ziri-ben-Menad avec ses Sanhadja. Dans le mois de septembre 917, l'armée s'ébranla et marcha directement sur Tiharet; Hâmid prit la fuite à son approche et gagna Ténės, d'où il s'embarqua pour l'Espagne.

Une fois maître de Tiharet, le souverain fatemide ne jugea pas à propos de s'enfoncer davantage dans l'ouest, il préféra entrer en pourparlers avec Yala, le puissant chef des Beni-Ifren. Afin de le détacher de la cause oméïade, il lui offrit de le reconnaître comme son représentant dans le Magreb central, avec la suprématie sur toutes les tribus zenetes. Yala accueillit ces ouvertures et adressa à El-Mansour un hommage plus ou moins sincère de soumission. Tranquille de ce côté, le khalife alla châtier les tribus louatiennes de la vallée de la Mina, lesquelles étaient infectées de kharedjisme. Après les avoir contraintes à la soumission, il se disposa à rentrer en Ifrikiya; mais, auparavant, il renouvela l'octroi de ses faveurs à Ziri-ben-Menad, dont le secours lui avait été si utile, et lui confirma l'investiture de chef des tribus sanhadjiennes et de tout le territoire occupé par elles jusqu'à Tiharet. Cette vaste région comprenait, en outre des villes d'Achir et de Hamza, celles de Lemdia (Médéa), Miliana, et enfin une bourgade à peine connue auparavant, mais qui avait pris, depuis peu, un grand développement et était destinée au plus brillant avenir, nous avons nommé

P.

417.

p.

213 et

1. Dozy, Musulmans d'Espagne, t. III, p. 64 et suiv. Kartas, Ibn-Khaldoun, Berbères, t. I, p. 270, t. II, p. 148-569, t. III, suiv. El Bekri, trad., art. Idricides. Ibn-Hammad, loc. cit. El Marracki, éd. Dozy, p. 27 et suiv.

2. Actuellement Bouira, au N.-E. d'Aumale.

Djezaïr-beni-Mezr'anna (Alger). Bologguine, fils de Ziri, fut investi par son père du commandement de ces trois dernières places1.

RETOUR D'EL-MANSOUR EN IFRIKIYA. Avant de reprendre le chemin de l'est, le khalife adressa en Ifrikiya des lettres par lesquelles il annonçait la mort de son père et son avènement sous le titre d'El-Mansour-bi-Amer-Allah (le vainqueur par l'ordre de Dieu). Le 18 janvier 948, il faisait son entrée triomphale à Kaïrouan, précédé par un chameau sur lequel était placé le mannequin d'Abou-Yezid, soutenu par un homme. De chaque côté, deux singes, qui avaient été dressés à cet office, lui donnaient des soufflets et le tiraient par la barbe. Les plus grands honneurs furent prodigués au souverain victorieux.

Peu de temps après, on reçut la nouvelle que Fadel, fils d'AbouYezid, était sorti du Sahara à la tête d'une bande de pillards, qu'il ravageait l'Aourès et était venu mettre le siège devant Bar'aï. Mais bientôt il fut mis à mort par un chef zenatien, qui envoya sa tête au kalife. Celui-ci fit expédier en Sicile la peau d'Abou-Yezid et la tête de son fils, mais le vaisseau qui portait ces tristes restes fit naufrage et tout le monde périt. Seul le mannequin de l'Homme à l'âne fut rejeté sur le rivage; on l'attacha à une potence, où il resta jusqu'à ce qu'il eût été mis en lambeaux par les éléments. Aioub, l'autre fils de l'apôtre nekkarien, fut également assassiné par un chef zenète, et ainsi la famille de l'agitateur se trouva entièrement détruite; ses cendres mêmes furent dispersées.

SITUATION DE LA SICILE; VICTOIRES DE L'OUALI HASSAN-EL-KELBI EN ITALIE. Pendant les années d'anarchie qui avaient été la conséquence de la révolte d'Abou-Yezid, la Sicile était demeurée abandonnée aux aventuriers berbères amenés par Khalil. Personne n'y exerçait effectivement l'autorité, et les chrétiens en avaient profité pour cesser de payer le tribut. Ceux-ci tenaient, en réalité, la partie méridionale de l'ile, mais ils étaient misérables et vivaient. dans un état de luttes permanentes, incertains du lendemain. Beaucoup de villes, tributaires des Musulmans, avaient rompu tout lien avec l'empire. A Palerme, la famille des Beni-Tabari, d'origine persane, avait usurpé peu à peu l'autorité.

Un des premiers soins d'El-Mansour fut de placer à la tête de

1. Ibn-Khaldoun, t. II, p. 6.

2. Ibn-Hammad, loc. cit.

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