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temps, des officiers dévoués lui amenèrent des troupes fidèles qui occupaient différents postes. Il se mit à leur tête et porta le ravage et la désolation dans les campagnes environnantes.

Sur ces entrefaites, Ali-ben-Hamdoun, gouverneur de Mecila, ayant réuni un corps de troupe, opéra sa jonction avec les contingents des Ketama et Sanhadja et s'avança à marches forcées au secours des Fatemides. Les garnisons de Constantine et de Sicca Veneria (le Kef) se joignirent à eux. Mais Aïoub, fils d'Abou-Yezid, suivait depuis Badja tous leurs mouvements, et, une nuit, il attaqua à l'improviste Ibn-Hamdoun dans son camp. Les confédérés, surpris avant d'avoir pu se mettre en état de défense, se trouvèrent bientôt en déroute et les Nekkariens en firent un grand carnage. Ali-ben-Hamdoun, lui-même, tomba, en fuyant, dans un précipice où il trouva la mort1. Les débris de l'armée, sans penser à se rallier, rentrèrent dans leur cantonnement.

Tunis était tombée, quelques jours auparavant, au pouvoir de Hacen-ben-Ali, général d'El-Kaïm, qui avait fait un grand massacre des Kharedjites et de leurs partisans.

Aussitôt après sa victoire, Aïoub se porta sur Tunis, mais le gouverneur Hacen étant sorti à sa rencontre, plusieurs engagements eurent lieu avec des chances diverses. Aïoub finit cependant par écraser les forces de son ennemi et le couper de Tunis, où les Nekkariens entrèrent de nouveau en vainqueurs. Hacen, qui s'était réfugié sous la protection de Constantine, toujours fidèle, entreprit de là plusieurs expéditions contre les tribus de l'Aourès.

Encouragé par ce regain de succès, Abou-Yezid voulut tenter un grand coup. Dans le mois de janvier 916, il alla, à la tête d'un rassemblement considérable, attaquer Souça, et, pendant plusieurs mois, pressa cette place avec un acharnement qui n'eut d'égal que la résistance des assiégés.

Sur ces entre

MORT D'EL-KAIM. REGNE D'ISMAÏL-EL-MANSOUR. faites, un dimanche, le 18 mai 946, le khalife Abou-l'Kacem-elKaïm cessa de vivre à El-Mehdïa. Il était âgé de 55 ans. Avant sa mort, il désigna comme successeur son fils Abou-Tahar-Ismaïl qui devait plus tard recevoir le surnom d'El-Mansour (le victorieux). Selon El-Kairouani, El-Kaïm aurait, un mois avant sa mort, abdiqué en faveur de son fils 2.

1. Histoire des Beni-Hamdoun (Appendice III au t. Il de l'Histoire des Berbères, p. 554.)

2. Page 103.

Ismaïl, le nouveau khalife fatemide, était âgé de 32 ans. C'était un homme courageux, instruit et distingué.

Il s'élevait, dit Ibn-Hammad, au-dessus de tous les princes de la famille obéïdite par la bravoure, le savoir et l'éloquence. Dans les circonstances où il prenait le pouvoir, il lui fallait autant de prudence que de décision; aussi, pour éviter de fournir un nouveau sujet de perturbation, commença-t-il par tenir secrète la mort de son père. Rien, à l'extérieur, ne laissa supposer le changement de règne.

Souça était alors réduite à la dernière extrémité. Le premier acte d'Ismaïl fut d'envoyer une flotte porter des provisions et un puissant renfort aux assiégés. Les généraux Rachik et Yakoubben-Ishak, qui commandaient cette expédition, abordèrent heureusement et, secondés par les troupes de la garnison, vinrent avec impétuosité attaquer le camp des Nekkariens, au moment où ceuxci se croyaient sûrs de la victoire. Après une courte lutte, les kharedjites furent mis en déroute et leur camp demeura aux mains des Fatemides. Souça était sauvée.

Abou-Yezid chercha un refuge à Kaïrouan, où se trouvaient ses femmes et le fidèle Abou-Ammar. Mais les habitants de la ville, indisposés contre lui à cause de ses cruautés, et voyant son étoile sur le point d'être éclipsée, fermèrent les portes à son approche et refusèrent de le recevoir. Il se retira à Sebiba, suivi seulement de quelques partisans. En même temps, le khalife Ismaïl, après avoir passé par Souça, faisait son entrée à Kaïrouan (fin mai 946). Il accorda une amnistie générale aux habitants de cette ville. Les femmes et les enfants d'Abou-Yezid furent respectés, et le prince fit pourvoir à leurs besoins.

DÉFAITES D'ABOU-YEZID.- Cependant, l'Homme à l'âne, qui avait obtenu quelques succès sur des corps isolés, réunit encore une armée et vint, avec confiance, se présenter devant Kaïrouan; il attaqua même le camp d'Ismaïl qui se trouvait en dehors de la ville. On combattit pendant plusieurs jours avec des alternatives diverses; enfin le khalife, ayant reçu des renforts et pris une vigoureuse offensive, repoussa les kharedjites dans le sud.

Abou-Yezid envoya alors des corps isolés inquiéter les environs de Kaïrouan et couper la route de cette ville à El-Mehdïa et à Souça. Le chef de la révolte semblait néanmoius à bout de forces; Ibrahim crut pouvoir entrer en pourparlers avec lui et lui offrir de lui rendre ses femmes à condition qu'il s'éloignerait pour toujours. L'Homme à l'âne accepta et reçut le pardon pour lui et ses par

tisans.

Mais c'est en vain que le prince fatemide avait espéré obtenir la paix en traitant le rebelle avec cette générosité. A peine AbouYezid fut-il rentré en possession de son harem qu'il revint attaquer les Fatemides plongés dans une trompeuse sécurité (août 916). Le khalife résolut alors d'en finir par la force avec ce lâche ennemi. Ayant réuni un corps nombreux de troupes régulières et d'auxiliaires Ketama et Berbères et de l'est, il se mit à leur tête et vint attaquer les Kharedjites qui, en masses tumultueuses, se préparaient à renouveler leurs agressions. Lorsqu'on fut en présence, Ismaïl disposa sa ligne de bataille en se plaçant au centre avec les troupes régulières et en formant son aile droite avec les contingents de l'Ifrikiya et son aile gauche avec les Ketama. Il attendit dans cet ordre le choc de ses ennemis.

Abou-Yezid vint attaquer impétueusement les Berbères de l'aile droite et, les ayant mis en déroute, se heurta contre le centre qui l'attendit de pied ferme sans se laisser entamer. Après avoir laissé aux Karedjites le temps d'épuiser leur ardeur, Ismaïl charge à la tête de sa réserve et force l'ennemi à la retraite. Bientôt les adhérents d'Abou-Yezid sont en déroute; ils fuient dans tous les sens en abandonnant leur camp et les vainqueurs en font le plus grand carnage. Dix mille têtes de ces partisans furent, dit-on, envoyées à Kaïrouan, où elles servirent d'amusement à la lie du peuple.

Ce fut alors qu'Ismaïl traça le plan de la ville de Sabra à un mille au sud-ouest de Kaïrouan. Cette place, qui devait être la capitale de l'empire obéïdite, reçut le nom de son fondateur: Mansouria (la ville de Mansour). Après sa défaite, Abou-Yezid avait en vain essayé de se jeter dans Sebiba. De là, il prit la route de l'ouest et se présenta devant Bar'aï; cette forteresse, qu'il n'avait pu enlever au début de la campagne, lui ferma de nouveau ses portes et il dut en commencer le siège.

Mais il avait affaire à un ennemi dont les qualités militaires se développaient avec les difficultés de la campagne. Sans lui laisser aucun répit, Ismaïl confia le commandement de Kaïrouan à l'esclavon Merah, et, se mettant à la tête des troupes, alla établir son camp à Saguïet-Mems, où il reçut les contingents des Ketama et ceux des cavaliers nomades du sud et de l'est (octobre 946).

POURSUITE D'ABOU-YEZID PAR ISMAÏL. Alors commença cette chasse mémorable qui devait se terminer par la chute de l'agitateur. Ismaïl marcha d'abord sur Bar'aï. A son approche, AbouYezid prit la fuite à travers les montagnes, vers l'ouest, en passant par Bellezma et Negaous; il pensait pouvoir résister dans la place

forte de Tobna, mais le khalife arriva sur ses talons et il fallut fuir

encore.

Dans cette localité, Djafer-ben-Hamdoun, gouverneur de Mecila et du Zab, vint apporter des présents à son souverain et lui présenter ses hommages. Il lui amenait aussi un jeune chef de partisans qui se disait le Mehdi et qu'on avait fait prisonnier dans l'Aourès, à la tête d'une bande. Le khalife ordonna de l'écorcher vif. «< Ainsi faisait-il de tous ceux qu'il prenait », dit Ibn-Hammad, ce qui lui valut le surnom de l'écorcheur. D'autres prisonniers eurent les mains et les pieds coupés.

Ismaïl reçut également de Mohammed, fils d'El-Kheir-benKhazer, chef des Mag'raoua, un message amical. Ce prince, allié des Oméïades d'Espagne, avait, au profit de l'anarchie, étendu son autorité jusqu'à Tiharet et exerçait sa prépondérance sur tout le Magreb central. Jusqu'alors il avait soutenu l'Homme à l'âne, mais la cause de l'agitateur devenait par trop mauvaise, et le chef des Mag`raoua se hâtait de l'abandonner avant qu'elle fût tout à fait perdue.

Abou-Yezid, ne sachant où trouver un appui, dépêcha son fils Aïoub en Espagne pour tâcher d'obtenir une diversion des Oméïades. En attendant leur secours, il se jeta dans les montagnes de Salat, sur les confins occidentaux du Hodna. Ce pays était occupé par les Beni-Berzal, fraction des Demmer, qui professaient ses doctrines. Grâce à l'appui de ces indigènes, il put atteindre la montagne abrupte de Kiana. Mais le khalife l'y poursuivit, força les Beni-Berzal à la soumission et mit en déroute les adhérents de l'agitateur.

Abou-Yezid, qui avait gagné le désert, y resta peu de temps et reparut dans le pays des R'omert, au sud du Hodna. Ismaïl vint l'y relancer, et l'Homme à l'âne chercha en vain à rentrer dans le pâté montagneux de Salat. Rejeté vers le sud, il entraîna à sa poursuite les troupes fatemides, qui reçurent, des mains des Houara de Redir, Abou-Ammar l'aveugle et un autre partisan qu'ils avaient arrêtés. L'armée du khalife éprouva les plus grandes privations dans cette marche, tant par le fait des intempéries que par le manque de vivres, et elle perdit beaucoup d'hommes et de matériel.

Ismaïl pénétra alors dans le pays des Sanhadja, où il fut reçu par Ziri-ben-Menad avec les honneurs dus à un suzerain. Pour reconnaître sa fidélité, le khalife le nomma gouverneur de toute

1. Actuellement le Djebel-Mezita à 12 milles de Mecila, dit IbnHammad.

2. Ce fait, avancé par Ibn-Hammad, est contredit par Ibn-Khaldoun.

la région, au nom des Fatemides, et lui accorda l'autorisation d'achever la ville d'Achir, dont il avait commencé la construction dans le Djebel-el-Akhdar 1, pour en faire sa capitale.

Après être arrivé à Hamza, Ismaïl tomba malade et dut séjourner quelque temps dans le pays des Sanhadja. On avait complètement perdu la trace d'Abou-Yezid, lorsque tout à coup on apprit qu'il était venu, à la tête d'un rassemblement de Houara et de Beni-Kemlane, mettre le siège devant Mecila. Ismaïl, qui se disposait à pousser jusqu'à Tiharet, se hâta d'accourir au secours d'Ibu-Hamdoun (fin janvier 947). Bientôt Abou-Yezid fut délogé de ses positions: ayant été abandonné par ses partisans, las de partager sa mauvaise fortune, il n'eut d'autre ressource que de se jeter encore dans les montagnes de Kiana.

CHUTE D'ABOU-Yezid. Après s'être ravitaillé à Mecila, Ismaïl, en attendant des renforts, alla bloquer la montagne où s'était réfugié son ennemi. Mais celui-ci recevait des vivres de Bantious et autres oasis du Zab, et ne souffrait nullement du blocus. Les contingents des tribus alliées étant enfin arrivés, l'armée fatemide attaqua la montagne; le combat fut rude; mais à force d'énergie, les défilés gardés par les kharedjites furent tous enlevés et les rebelles se dispersèrent en désordre.

Abou-Yezid, entraîné dans la déroute, reçut un coup de lance qui le jeta en bas de son cheval. Ceux qui le poursuivaient, et en tête desquels étaient, dit-on, Ziri-ben-Menad, se précipitèrent sur lui pour le prendre vivant; mais son fils Younès et ses partisans accoururent à son secours, et un nouveau combat acharné s'engagea sur son corps. Les Nekkariens purent enfin emporter leur chef blessé. Un grand nombre de kharedjites avaient été tués. On décapita tous les cadavres, ce qui valut à cette bataille le nom de journée des têtes 2.

L'Homme à l'âne avait pu gagner le sommet de la montagne de Kiana et se renfermer dans une citadelle établie sur un piton appelé Tagarboucet (l'arçon). Ismaïl l'y poursuivit, mais le refuge du rebelle était dans une position tellement escarpée qu'il dut renoncer à l'enlever sur-le-champ. Il planta ses tentes au lieu dit En-Nador (l'observatoire), sur un des contreforts de la montagne, et y commença le Ramadan le vendredi 26 mars 947. Le lendemain, il ordonna l'assaut, mais Abou-Yezid, entouré de ses fils3,

1. Voir Revue africaine, no 74.

2. Ibn-Hammad.

3. Selon Ibn-Khaldoun, Abou-Ammar était aussi avec lui.

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