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HANNIBAL AU CENTRE ET DANS LE MIDI DE L'ITALIE. BATAILLE de CANNES. Le sort de la guerre semblait favorable aux Karthaginois l'Etrurie était ouverte et Rome, s'attendant à voir paraître l'ennemi, coupait ses ponts et se préparait à la résistance. Q. Fabius Maximus, nommé dictateur, fut chargé de la périlleuse mission de repousser les Karthaginois. Cependant Hannibal, ne se jugeant pas assez fort pour tenter un effort décisif et ne voulant rien livrer au hasard, était passé en Ombrie et dans le Picénum et s'occupait à refaire son armée et à former ses auxiliaires à la tactique romaine. Jusqu'alors, il avait dû ses succès à sa brillante cavalerie berbère, mais pour triompher de la solide infanterie ennemie, il lui fallait avant tout des fantassins. Du Picénum, Hannibal descendit, en suivant l'Adriatique, vers l'Italie méridionale, ravageant tout sur son passage. Fabius le suivait, couvrant Rome, harcelant sans cesse l'ennemi et l'affaiblissant, mais en ayant soin d'éviter une grande bataille, ce qui lui valut le nom de « temporiseur ». Mais l'impatience populaire, habilement exploitée par les ennemis du dictateur, ne s'accommodait pas de cette prudence; les armées romaines avaient remporté des succès en Espagne et dans le nord de l'Italie; quant à Hannibal, qui avait compté sur le soulèvement des populations de la Grande-Grèce, il n'avait rencontré partout qu'hostilité et défiance; abandonné à lui-même, il se trouvait dans une situation en somme assez critique. C'est pourquoi l'on réclamait à Rome une action décisive. Fabius ayant résigné le pouvoir, le parti populaire nomma consul T. Varron, tandis que la noblesse élisait Paul-Emile.

Au printemps de l'année 216, Hannibal avait repris l'offensive en Apulie et était venu s'emparer de la place forte de Cannes. Ce fut lå que les nouveaux consuls vinrent l'attaquer, avec une armée forte de quatre-vingt mille hommes d'infanterie et de six mille chevaux. Paul-Emile, élève de Fabius, ne voulait pas encore attaquer, mais Varron, héros populaire sans aucun talent, tenait avant tout à plaire à l'opinion de la masse, et comme les deux consuls avaient, tour à tour, le commandement pendant un jour, il donna le signal du combat. Dix mille hommes furent laissés à la garde du camp; le reste s'avança dans la plaine en masses profondes, disposition qui avait été adoptée par Varron pour donner plus de solidité à la résistance, mais qui lui enlevait son principal avantage en laissant dans l'inaction une partie de ses forces.

Hannibal n'avait à mettre en ligne que cinquante mille hommes, mais sur ce nombre il possédait dix mille cavaliers berbères, et il sut, avec son génie habituel, disposer son armée pour envelopper celle de l'ennemi. Après une lutte acharnée, dans laquelle la cava

lerie numide, commandée par Asdrubal, se couvrit de gloire, la défaite des Romains fut consommée; un très petit nombre parvint à s'échapper. Paul-Emile et presque tous les chevaliers romains. restèrent sur le champ de bataille; les dix mille hommes laissés à la garde du camp furent faits prisonniers. Les pertes de Hannibal étaient, cette fois encore, peu considérables et portaient principalement sur les auxiliaires gaulois.

ÉNERGIQUE RÉSISTANCE

CONSÉQUENCES DE LA BATAILLE de Cannes. DE ROME. Après la victoire de Cannes, Hannibal ne voulut pas encore marcher directement sur Rome; son armée, composée en partie de mercenaires, ne lui offrait pas une confiance assez grande pour se lancer dans les périls d'une longue route au milieu de nations hostiles, avec cette perspective de trouver comme but une ville puissamment fortifiée et défendue par une population résolue. Il préféra continuer méthodiquement la guerre qui lui avait si bien réussi jusqu'alors. Un certain nombre de villes, parmi lesquelles Capoue, la seconde cité de l'Italie, lui offrirent leur soumission. Les populations grecques résistèrent généralement; Hannibal se vit donc contraint d'entreprendre une série d'opérations de détail, afin de réduire par la force les opposants. En même temps il envoyait à Karthage son frère Magon pour demander instamment des secours; il ne pouvait en attendre d'Espagne, car les Scipions avaient continué à y remporter des avantages et, soutenus par la puissante confédération des Celtibériens, ils empêchaient absolument le passage des Pyrénées.

Les échecs éprouvés par les Romains, loin d'abattre leur courage, n'avaient eu pour conséquence que de surexciter leur énergie et de leur inspirer de mâles résolutions. Le Sénat, par sa fermeté, rendit à tous la confiance. Les forces furent réorganisées; on appela aux armes tous les hommes valides, même les esclaves, même les criminels. Le préteur Marcus Claudius Marcellus reçut la mission de sauver la patrie; les voix qui osèrent parler de traiter furent bientôt réduites au silence.

A Karthage, tout autre était l'attitude. Là, nul enthousiasme; l'annonce des victoires de Hannibal ne suscitait que la jalousie du parti de Hannon et la défiance de tous. Alors que l'envoi d'importants renforts en Italie eût été nécessaire pour terminer promptement la campagne, le frère de Hannibal obtint avec beaucoup de difficulté le départ de quatre mille Berbères et de quarante éléphants. On autorisa, il est vrai, Magon, à lever des troupes en Espagne, mais ce projet ne se réalisa pas (216).

Hannibal demeurait donc, pour ainsi dire, abandonné à lui

même, car ces secours étaient insuffisants et le temps s'écoulait, permettant chaque jour aux Romains de reprendre de nouvelles forces sous l'habile direction de Marcellus. La confédération italique était brisée, mais la résistance était partout, chacun combattant pour son compte. Dans cette conjoncture, Hannibal, qui était en relations avec Philippe, roi de Macédoine, signa avec lui un traité d'alliance offensive et défensive, d'après lequel le roi devait arriver en Italie avec deux cents vaisseaux (215).

En attendant, la position de Hannibal, entouré par trois armées romaines, devenait de jour en jour plus critique; pour éviter d'être cerné, le général karthaginois se décida même à se porter vers le nord-est, espérant que le roi de Macédoine le rejoindrait sur les côtes de l'Adriatique.

En Sicile, Hiéronyme, roi de Syracuse, qui avait contracté alliance avec les Karthaginois, était vaincu par les légions échappées à Cannes et périssait assassiné.

L'année 214 se passa en opérations militaires dans lesquelles les généraux déployérent de part et d'autre un véritable génie. Les succès des Romains furent positifs : presque toute l'Apulie était reconquise et Capoue étroitement bloquée. Enfin, en Espagne, les Romains n'avaient cessé de remporter des avantages décisifs: la plus grande partie de la Péninsule avait été conquise par eux. Cependant les Karthaginois tenaient encore fermement dans les provinces du sud-est.

La guerre en SICILE. Après la mort de Hiéronyme, Karthage tenta de recueillir l'héritage de son allié. Un parti avait proclamé à Syracuse une sorte de république; mais cette ville ne pouvait rester neutre entre les deux grandes rivales; d'habiles émissaires, envoyés, dit-on, par Hannibal, la décidèrent à appeler les Karthaginois. A cette nouvelle, Rome chargea Marcellus de prendre la direction des affaires en Sicile; le brave général commença aussitôt le siège de Syracuse; mais cette ville avait été fortifiée avec soin par Hiéron, durant son long règne, et elle était défendue par une population énergique, avec le génie d'Archimède pour auxiliaire; aussi les Romains, après six mois d'efforts infructueux, durent-ils renoncer aux opérations actives et se contenter d'un blocus. En même temps, des troupes nombreuses, dont le chiffre atteignait, dit-on, trente mille hommes, avaient été envoyées par Karthage, en Sicile. Bientôt la plus grande partie de l'ile fut arrachée aux Romains. Quant à Marcellus, il concentrait tous ses efforts contre Syracuse.

Hannibal avait compté sur le secours que Philippe s'était engagé

T. I.

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à lui fournir par son traité, et il est certain que, si le roi de Macédoine avait envoyé en Sicile ou en Italie des secours importants aux Karthaginois, la situation des Romains serait devenue fort critique. Son indécision, ses retards, sa mollesse compromirent tout, et Rome en profita habilement pour attaquer Philippe chez lui et semer la défiance et l'esprit d'opposition parmi les confédérés grecs; le secours du roi de Macédoine fut donc annulé.

En 212, Syracuse se rendit à Marcellus, qui livra la ville au pillage. La guerre, transformée en lutte de guérillas, devint dès lors funeste aux Karthaginois. Le consul Lævinus leur enleva toutes leurs conquêtes.

LES BERBERES PRENNENT PART A LA LUTTE. SYPHAX ET MASSINISSA. Les Berbères étaient depuis trop d'années mêlés, par leurs mercenaires, à la lutte de Rome et de Karthage, pour qu'il leur fût possible d'en demeurer plus longtemps les spectateurs désintéressés. Gula, fils de ce Naravase qui avait aidé Amilcar à triompher des Mercenaires, était chef des Massyliens. Syphax1 régnait sur les Masséssyliens, c'est-à-dire, sur la Numidie occidentale. Par ses traditions, par sa situation, Gula devait s'allier aux Karthaginois qui, du reste, lui prodiguaient leurs bons offices; c'est ce qu'il fit. Quant à Syphax, il accueillit, dit-on, les propositions et les promesses que les Scipions lui envoyèrent d'Espagne et se prononça pour Rome (213). Il s'occupa d'abord à organiser son armée sous la direction de centurions romains, et, quand il se crut assez fort, il se mit en marche contre les Massyliens.

Mais Gula, prévenu de ces dispositions, n'était pas resté inactif. Son fils Massinissa, jeune homme de dix-sept ans, doué des plus belles qualités 2, marcha, à la tête de troupes massyliennes et karthaginoises, à la rencontre de Syphax, le vainquit dans une grande bataille, où celui-ci perdit, dit-on, plus de trente mille hommes, et le contraignit à abandonner Siga, sa capitale, pour se réfugier dans les montagnes de la Maurétanie. Syphax ayant voulu se reformer avec l'appui des Maures fut de nouveau vaincu (212). Toute la Numidie se trouva alors réunie sous le sceptre de Gula, dont le royaume s'étendit de la Molochat à l'Afrique propre.

GUERRE D'ESPAGNE. Ces victoires éloignaient, pour le moment, un danger qui avait menacé directement Karthage. Celle-ci songea

1. Il serait beaucoup plus simple d'adopter pour ce nom l'orthographe Sifax, car rien ne nous oblige d'employer l'y et ph, sinon la traduction. 2. Tite-Live.

alors à tenter un grand effort en Espagne pour arrêter les succès des Scipions. Asdrubal, qui était venu lui-même coopérer à la campagne contre Syphax, s'empressa de retourner dans la péninsule, emmenant avec lui des renforts considérables fournis en grande partie par les Numides, et avec eux Massinissa, dont il avait pu apprécier la valeur.

Les Scipions appelèrent aux armes les populations espagnoles nouvellement soumises et, comme les Karthaginois avaient divisé leurs troupes en trois corps, ils formèrent aussi trois armées pour les leur opposer. Le résultat fut désastreux pour eux. Publius Scipion, abandonné par ses auxiliaires, fut d'abord défait, puis ce fut le tour de Cnéius. Enfin les débris de l'armée furent sauvés par Caius Marcius qui se retira derrière l'Ebre. Toute la ligne située au sud de ce fleuve rentra ainsi en la possession des Karthaginois. Massinissa et les Numides avaient puissamment contribué à ces importants succès (212).

Les deux Scipions étaient morts en combattant et il semblait qu'il restait peu d'efforts à faire aux Karthaginois pour débloquer le nord de l'Espagne et porter secours à Hannibal; mais la désunion qui régnait parmi les chefs phéniciens, d'autre part, l'habile tactique de C. Marcius et la promptitude de Rome à envoyer des secours arrêtèrent les conséquences d'une campagne si bien commencée. La guerre, avec ses péripéties, reprit son cours régulier. Massinissa d'un côté, le jeune Publius Scipion, de l'autre, se rencontrèrent sur ces champs de bataille.

Pendant que la Sicile,

CAMPAGNES DE HANNIBAL EN ITALIE. l'Afrique et l'Espagne étaient le théâtre de ces événements, Hannibal abandonné, enfermé en Italie, déployait les ressources inėpuisables de son génie pour tenir ses ennemis en échec. Un moment, en 213, il s'était trouvé dans une situation si critique que le Sénat, jugeant sa chute prochaine, avait cru pouvoir rappeler deux légions et les envoyer contre Capoue. Aussitôt, le général karthaginois avait repris l'offensive, reconquis une partie du terrain perdu dans la Lucanie et le Bruttium et s'était même fort approché de Rome. Peu après, Tarente lui ouvrait ses portes (212). Mais comme les Romains s'étaient réfugiés dans la citadelle de cette ville, les Karthaginois furent contraints d'en entreprendre régulièrement le siège.

En 211, pendant qu'une partie des troupes karthaginoises étaient retenues devant la citadelle de Tarente, Hannibal se porta par une marche rapide sur Rome, qu'il espérait surprendre par la soudaineté de son attaque. Mais la ténacité des Romains déjouait

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