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La cause de la révolte perdit dès lors, de jour en jour, des partisans et Ameur eut à lutter, à son tour, contre son lieutenant Abdes-Selam-ben-Feredj, qui le força à se réfugier à Karna, dans le voisinage de Badja. Ameur étant mort sur ces entrefaites, ses fils et ses derniers adhérents allèrent, selon sa recommandation, faire leur soumission à Ziadet-Allah, qui les accueillit avec bonté (828). Abd-es-Selam continua à tenir la campagne, mais il cessa bientôt d'être dangereux, et Ziadet-Allah put s'occuper de l'expédition de Sicile, dont nous allons parler plus loin '.

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MORT D'EDRIS II; PARTAGE DE SON EMPIRE. En 828, Edris II mourut subitement à Fès. Il s'étouffa, dit-on, en avalant un grain de raisin. Ce prince n'avait que trente-trois ans, et si la mort n'était venue prématurément arrêter sa carrière, on ne peut prévoir où se seraient arrêtées ses conquêtes. Son royaume comprenait alors tout le Mag'reb extrême et s'étendait, dans le Mag`reb central, jusqu'à la Mina. Il avait combattu avec ardeur le kharedjisme, dans les dernières années de sa vie, et abattu l'orgueil des BeniIfrene et Mag`raoua. Mais, dans la vallée du haut Moulouïa, les Miknaça régnaient toujours en maîtres, et la dynastie des BeniQuaçoul à Sidjilmassa protégeait ouvertement le schisme. Fès était devenue une brillante capitale où les savants et les artistes étaient certains de rencontrer un accueil empressé.

Ainsi, au fond de la Berbérie, florissait un centre de pure civilisation arabe, tout entouré de sauvages indigènes.

Edris laissa douze fils. L'aîné d'entre eux, Mohammed, lui succéda à Fès. Peu après, ce prince, suivant le conseil de son aïeule Kenza, partagea son empire avec sept de ses frères, en âge de régner. Ayant conservé pour lui Fès et son territoire, il donna :

A El-Kassem: les villes de Tanger, Basra, Ceuta, Tetouane et les contrées maritimes qui en dépendaient;

A Omar la région maritime du Rif, avec Tikiça et Tergha, contrée habitée par les R'omara ;

A Daoud: Taza, Teçoul, Meknas et toutes les possessions edrisides de l'est, jusqu'à la Mina, pays comprenant les Riatha, Houara, etc.;

A Abdallah: les régions du sud, comprenant le Sous et les montagnes de l'Atlas, avec les villes d'Ar'mat et d'Anfis, pays habité par les Masmouda et Lamta;

1. Ibn-Khaldonn, Hist. de l'Ifrikiya et de la Sicile, l. 11, 12 et 13. EnNouéïri, p. 406 et suiv. El-Kaïrouani, p. 83. Baïan, t. I, passim.

A Yahïa : les villes d'Azila et d'El-Araïch, avec la région maritime environnant ces ports, sur l'Océan, et habitée par les Ouergha; A Aïça: les villes de Salé et Azemmor, sur l'Océan, et le pays de Tamesna, avec les tribus qui en dépendaient;

Enfin Hamza eut Oulili et la contrée environnante.

Tlemcen, avec son territoire, fut placée sous l'autorité de Aïça, fils de Soleiman, son oncle.

Ainsi l'empire edriside se trouvait fractionné en neuf commandements; ce démembrement ne pouvait que lui être fatal, car c'est en vain que Mohammed avait espéré conserver une suprématie sur le royaume et prévenir toute tentative d'usurpation de la part de ses frères. La jalousie et l'ambition de ces princes allaient bientôt être fatales à la dynastie edriside1.

ÉTAT DE LA SICILE AU COMMENCEMENT DU IX SIÈCLE. Nous allons quitter un instant la terre d'Afrique pour nous transporter en Sicile, où les armes musulmanes vont cueillir de nouveaux lauriers; mais il convient, avant de commencer ce récit, d'examiner quelle était la situation de cette île au 1xe siècle.

Depuis longtemps, nous l'avons vu, les Musulmans convoitaient la Sicile et avaient exécuté contre cette grande île diverses expéditions; l'une d'elles se serait certainement terminée par la conquête du pays, si la révolte kharedjite n'avait forcé le gouverneur arabe à rappeler toutes ses forces pour les conduire en Mag`reb2. En présence de cette menace, les empereurs byzantins s'étaient efforcés de mettre la Sicile en état de défense et d'y envoyer des troupes, car ils tenaient à conserver ce boulevard de leur puissance en Occident. Mais la période d'anarchie que traversa l'empire d'Orient pendant le vir siècle, les guerres qu'il eut à soutenir, les révoltes qu'il dut réprimer, son déplorable système administratif qui consistait à pressurer les populations et à les livrer à la rapacité de leurs patrices, les persécutions religieuses, à la suite des hérésies des Monothélites et des Iconoclastes, et enfin les conséquences de l'hostilité du pape, qui s'était déclaré en quelque sorte souverain indépendant, en posant les bases de son pouvoir temporel; toutes ces conditions avaient eu pour résultat de rendre la situation de la Sicile très critique, au commencement du 1x siècle. La haine des populations contre l'Empire était portée à son comble

1. Ibn-Khaldoun, Berbères, t. II, p. 563. El-Bekri, Idricides. Kartas, p. 61 et suiv.

2. V. ci-devant, ch. III (Révolte de Meicera).

et, comme les souverains de Byzance avaient pris l'habitude d'exiler en Sicile les personnages disgraciés, il en résultait des rébellions. continuelles, affaiblissant de jour en jour l'autorité byzantine 1. Plusieurs fois, les rebelles avaient cherché un appui ou un refuge auprès des princes arabes de Kaïrouan. Du reste, les courses des Musulmans d'Afrique et d'Espagne contre les îles de la Méditerranée étaient pour ainsi dire incessantes, et répandaient la terreur parmi les populations de ces rivages, au mépris des traités particuliers, souscrits de temps à autre, dans l'intérêt du commerce, entre les gouvernements oméïade, edriside ou ar lebite et le patrice de Sicile, le pape ou les républiques maritimes.

EUPHEMIUS APPELLE LES ARABES EN SICILE. Expédition du CADI ACED. — A la fin de l'année 820, Michel le Bègue, qui allait être livré au bourreau, est porté par une révolution de palais au trône de l'empire. A cette nouvelle, les Syracusains, ayant à leur tête un certain Euphémius, mettent à mort le patrice Grégoire qui gouvernait l'île et se déclarent indépendants; mais l'empereur envoie en Sicile une armée qui défait les Syracusains et écrase cette révolte. Euphémius se réfugie en Afrique, avec sa famille, et offre à Ziadet-Allah la suzeraineté de la Sicile, s'il veut l'aider à y reprendre le pouvoir, assurant qu'il a de nombreux partisans dans l'armée et la population et que la conquête sera facile (826).

Ziadet-Allah était alors absorbé par ses luttes contre les rebelles. Cependant, après la mort d'El-Mansour, sa sécurité étant assurée, il s'occupa des propositions d'Euphémius et, comme il avait reçu de Platha, gouverneur de Sicile, des communications destinées à le détourner de cette entreprise, il convoqua une assemblée de notables et lui soumit la question. Plusieurs membres répugnaient à cette expédition, ne voulant pas rompre une trêve conclue en 813; mais Euphémius fit ressortir que ce traité était détruit, ipso facto, puisque des Musulmans étaient détenus en Sicile, et le cadi Aced, prenant la parole, insista avec tant de force pour que l'aventure fût tentée, qu'il finit par décider l'assemblée à autoriser l'expédition, comme une opération isolée, et non dans un but de conquête. Aced, s'étant proposé pour diriger cette entreprise, fut nommé, par Ziadet-Allah, cadi-émir chef de l'expédition.

La guerre sainte fut proclamée et l'expédition se prépara à Souça, sous les yeux d'Euphémius et d'Aced. Un grand nombre de

1. Amari, Storia dei Musulmani di Sicilia, t. I, p. 76 et suiv., 178 et suiv., 194 et suiv.

Berbères, particulièrement de la tribu de Houara, des réfugiés espagnols, des miliciens, accoururent à Souça, et bientôt une armée de mille cavaliers et de cinq cents fantassins s'y trouva réunie1. On ne saurait trop remarquer l'analogie de cette expédition avec celle qui livra, un peu plus d'un siècle auparavant, l'Espagne aux Musulmans ce sont les mêmes causes et les mêmes procédés d'exécution; jusqu'à l'effectif de l'armée qui est sensiblement le même; enfin, la guerre de Sicile va absorber les forces actives des Musulmans de l'Ifrikiya et consolider la puissance des Arlebites en arrêtant l'ère des révoltes.

CONQUÊTE DE LA SICILE. Le 13 juin 827, selon En-Nouéïri, la flotte, composée d'une centaine de barques portant l'armée expéditionnaire, leva l'ancre et le lendemain aborda à Mazara. Dès lors, Aced écarta Euphémius et se réserva pour lui seul la direction des opérations; un rameau placé sur le heaume des Musulmans leur servit de signe de ralliement.

Bientôt Platha s'avança contre les envahisseurs à la tête de toutes les forces chrétiennes, que les auteurs arabes portent, avec leur exagération habituelle, à cent cinquante mille hommes. Le 15 juillet, l'action fut engagée par Aced, qui attaqua bravement les Grecs en avant de Mazara. Entraînés par l'exemple de leurs chefs, les Musulmans traversent les lignes ennemies, culbutent partout les chrétiens et remportent une grande victoire. La Sicile

était ouverte.

Tandis que Platha cherchait un refuge en Calabre, Aced, après avoir assuré sa base d'opérations, marcha contre la capitale, en recevant sur sa route l'hommage des populations. A la fin du mois. de juillet, il commença le siège de Syracuse; mais cette ville se défendit avec vigueur et reçut des secours d'Orient et de Venise. Dans l'été de 828, Syracuse était sur le point de tomber aux mains des Musulmans et avait déjà fait des offres de reddition, d'ailleurs repoussées, lorsque Aced mourut. Dès lors la fortune abandonna les Musulmans. Mohammed-ben-el-Djouari, successeur d'Aced, eut à lutter contre des séditions et vit partout la résistance s'organiser. En même temps, le comte de Lucques faisait une descente sur les côtes de Tunisie et empêchait le gouverneur ar lebite d'envoyer des secours à l'expédition. Forcés de lever le siège de Syracuse, les Musulmans tentèrent d'abord de fuir par mer; mais, la flotte ennemie leur ayant coupé le chemin, ils descendirent à terre, incendierent leurs vaisseaux et se réfugièrent dans des montagnes

1. Ibn-Khaldoun, t. I, p. 277. Amari, Storia, t. I, p. 258 et suiv.

escarpées, avec Euphémius qui avait pris le titre d'empereur. Reprenant ensuite l'offensive, ils s'emparèrent de Minée, de Girgenti et de Castro-Giovanni (Enna), où ils mirent à mort Euphémius, soupçonné d'être entré en pourparlers avec l'ennemi. Mohammedel-Djouari fit alors battre monnaie à son nom; il mourut en 829 et fut remplacé par Zoheïr-ben-R'aouth.

La situation des Musulmans, réduits à la possession de Mazara et de Minée, était assez précaire, lorsque, dans l'été de 830, une flotte arriva d'Afrique avec trente mille hommes: Berbères, Arabes, aventuriers espagnols et autres, envoyés par Ziadet-Allah, pour reconquérir le terrain perdu. Les Musulmans reprirent une vigoureuse offensive et vinrent assiéger Palerme. Après une héroïque résistance de plus d'un an, cette ville capitula dans l'automne de 831', et les habitants qui avaient échappé aux dangers. et aux privations du siège furent réduits en esclavage. Ainsi les Musulmans étaient maîtres d'une grande partie de la Sicile. Ils s'établirent solidement à Palerme et fondèrent une colonie où accoururent Africains et Espagnols. Ziadet-Allah nomma de ses parents comme gouverneurs de l'île, et la guerre suivit son cours entre les musulmans et les chrétiens, avec les alternatives ordinaires de succès et de revers 2.

MORT DE ZIADET-ALLAH. SON FRÈRE ABOU-EÏKAL-EL-AR LEB LUI SUCCEDE. Pendant que la Sicile était le théâtre de ces événements, le rebelle Abd-es-Selam continuait à tenir la campagne en Ifrikiya. Un certain Fadel ayant, en 833, levé l'étendard de la révolte, dans la péninsule de Cherik, Abd-es-Selam opéra avec lui sa jonction; mais les troupes du gouverneur les mirent en déroute, et la paix se trouva enfin rétablie d'une manière définitive (836).

Le vice-roi put alors se consacrer entièrement à la direction de la guerre sainte et aux travaux d'embellissement qu'il avait entrepris à Kaïrouan. Selon En-Nouéïri, il rebâtit la mosquée qui avait été construite par Yezid-ben-Hatem, fit établir un pont à la porte d'Abou-Rebia et compléta les fortifications de Souça. Le 10 juin 838, la mort vint le surprendre au milieu de ces travaux. Il était âgé de cinquante et un ans et avait exercé le pouvoir pendant vingt et un ans, sept mois et huit jours. Malgré les difficultés toujours renaissantes contre lesquelles il avait eu à lutter, son règne, illustré

1. Ibn-el-Athir donne à cet événement la date de 832. En-Nouéïri et Elie de la Primaudaie, (Arabes et Normands en Sicile et en Italie), 835. Nous adoptons la date donnée par M. Amari, t. I, p. 290.

2. Amari, t. I, p. 294 et suiv.

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